Tourbillon rossinien
Le premier acte se voit réduit à la maison de Bartolo vue de l’intérieur, un salon et un grand escalier, un second escalier, à l’envers et ne débouchant nulle part, achevant de donner à ce décor une touche surréaliste qui sied à merveille à la musique du cygne de Pesaro.
Surprise après l’entracte : le décor du second acte est installé, ou du moins en grande partie. Nous apprendrons plus tard que ce petit miracle, inattendu en cette soirée pour le moins particulière, nous le devons au metteur en scène lui-même qui a mis la main à la pâte afin que la seconde partie puisse se dérouler presque normalement. Qu’il en soit chaleureusement remercié.
Très beau décor, monumental, rappelant une salle de bal, aux murs couverts de portraits du maître des lieux, et à l’intérieur de laquelle se prépare activement le mariage du barbon avec sa pupille – élément de l’intrigue rarement donné à voir, et pourtant essentiel –. Une belle idée de théâtre, vraiment.
La direction d’acteurs, intelligente et précise, virevolte et tourbillonne ainsi que le trouble qui agite les esprits.
Musicalement, Angers-Nantes Opéra a su réunir une belle équipe, au sein de laquelle règnent une entente et une complicité de tous les instants.
Spécialiste du rôle de Berta qu’elle chante régulièrement à l’Opéra National de Paris, Jeannette Fischer démontre une fois encore ses talents de chanteuse ainsi que de comédienne, à la voix percutante et à l’humour piquant.
Franck Leguérinel fait profiter Bartolo de son expérience de la scène et de son art d’occuper l’espace. La voix, pourtant sonore et mordante, montre quelques signes de fatigue et un aigu par instants malaisé, et les récitatifs manquent parfois de noblesse. En revanche, dans son air, il démontre une agilité dans le sillabato à couper le souffle, d’autant plus impressionnant qu’il n’est pas italien, une véritable prouesse.
En Basilio élégant, au rire en fausset absolument irrésistible, Wenwei Zhang, que nous avons pu applaudir durant l’été 2009 dans la Zaira bellinienne à Montpellier, déploie son immense voix de velours sombre, remplissant sans effort la salle. Sa Calomnie, malgré un l’aigu manquant de rayonnement et de portée – car couvert d’une façon trop lourde, alors qu’il pourrait tonner bien plus en étant légèrement plus ouvert et dégagé –, se déploie avec force et autorité, confirmant ses talents dans le répertoire italien.
Beau Figaro du baryton Kevin Greenlaw, au timbre séduisant et à l’aisance scénique réjouissante. Seules les vocalises, encore un peu savonnées, pourraient être plus précises.
La belle mezzo italienne Paola Gardina se révèle une enchanteresse Rosina. La voix est superbe, à la fois pure et corsée, le grave sonore sans jamais être forcé ni poitriné à outrance, le médium se révèle plein et riche, l’aigu facile, et les vocalises se voient parfaitement exécutées. La comédienne est à croquer, d’une grâce rare, malicieuse et mutine, à tel point qu’on comprend aisément que son tuteur lui pardonne tout.
Avec Philippe Talbot, Almaviva plus que prometteur, nous tenons là une véritable révélation. La France attendait son ténor rossinien – et belcantiste –, peut-être le tenons-nous enfin. Que louer le plus ? Un timbre somptueux, latin en diable – qui nous rappelle irrésistiblement celui de Juan-Diego Florez, c’est dire l’essence même de cette voix pourtant française –, une émission parfaite, haute, claire et résonante, des aigus incisifs et aisés, une voix mixte d’un raffinement exquis – sa sérénade, qu’il accompagne lui-même à la guitare, talent rare, est à ce titre un délice –. Si nous pouvions oser une petite réserve, elle concernerait l’agilité : celle de notre jeune ténor est remarquable, parfaitement réalisée sur le souffle, dans un legato de grande école, mais elle manque encore un rien de vélocité et de feu pour le hisser à l’égal des grands belcantistes. Gageons que ce sera bientôt chose faite. Néanmoins, en regard des atouts qu’il a abattus ce soir, sa prestation est à saluer bien bas. Notre seul regret : qu’il n’ait pas tenté son certes difficile mais splendide air de fin, dans lequel il aurait sans aucun doute été splendide. Philippe Talbot nous doit cette revanche !
A la tête d’un Orchestre des Pays de la Loire brillant et virtuose, mais quelque peu épais dans sa sonorité, Giuseppe Grazioli mène ses troupes avec efficacité et professionnalisme.
Une soirée très particulière, commencée dans un climat de crainte et de tension, et achevée dans l’allégresse et un tourbillon de couleurs.
Angers. Le Quai, 13 octobre 2010. Gioacchino Rossini : Il Barbiere di Siviglia. Livret de Cesare Sterbini. Avec Il Conte d’Almaviva : Philippe Talbot ; Rosina : Paola Gardina ; Figaro : Kevin Greenlaw ; Bartolo : Franck Leguérinel ; Basilio : Wenwei Zhang ; Berta : Jeannette Fischer ; Fiorello : Eric Vrain. Chœur d’Angers-Nantes Opéra ; Direction : Xavier Ribes. Orchestre National des Pays de la Loire. Giuseppe Grazioli, direction musicale ; Mise en scène : Frédéric Bélier-Garcia. Décors : Jacques Gabel ; Costumes : Catherine Leterrier et Sarah Leterrier