mercredi 14 mai 2025

Venise. Palazzetto Bru Zane. Samedi 2 octobre 2010. Festival Luigi Cherubini 2010. Musique de chambre: Quintettes de Cambini, Boccherini, Cherubini. Quatuor Mosaïques. Raphaël Pidoux, violoncelle

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Cherubini révélé


Captivante perspective musicale que permet à Venise, dans son écrin du Palazzeto Bru Zane (salon de concert du 1er étage sous la fresque de Sebastiano Ricci), le Centre de musique romantique française… Jouer ainsi dans la continuité les Quintettes de Cambini, Boccherini et surtout en « apothéose » finale, celui de Cherubini élucide la place des Italiens à l’âge romantique,mais surtout ce génie spécifique d’un Cherubini, a contrario de ce qu’a pu écrire Berlioz: audacieux, éclectique, inventif, astucieux, voire délirant et même « excentrique ».
Terme usité à son époque par les détracteurs du dernier Beethoven, celui des ultimes Quators à partir de l’opus 127 (vers 1820, c’est à dire à la même époque où Cherubini « ose » son Quintette avec deux violoncelles).

Virtuose dans l’art des effets dramatiques et du théâtre lyrique (car il n’y a pas que Médée, créée en 1797, qui mérite d’être connues: des presque 30 ouvrages théâtraux, Cherubini a composé aussi nombre d’opéras comiques exaltants, tel Lodoïska, 1791; Elisa, 1794; L’hôtellerie portugaise, 1798; Les Deux journées, 1800; Les Abencérages, 1813; Ali Baba, 1833…) , Cherubini même dans un format chambriste sait mettre en avant chaque instrument, varier les climats, colorer les épisodes: tout revêt chez lui une nouvelle expressivité, qui portée à égalité par chacun des instruments du Quintette (2 violoncelles), se distingue par une sensibilité nouvelle, très individualisée, propice à l’essor d’un sentiment valorisé.
Le classique florentin, contemporain de Haydn et Mozart (et aussi de Beethoven auquel il survit 15 ans), francisé, acteur majeur du milieu musical hexagonal à travers les régimes, de la Révolution, à l’Empire puis à la Restauration (vraie période de sa gloire), est bien ce faiseur miraculeux, expert du modelé musical (de la demi teinte, de « la dégradation progressive du son » dira Berlioz admiratif, pourtant critique vis à vis de son aîné jalousé)… Italien, germanique, finalement français par cet éclectisme architecturé et fluide, Cherubini est évidemment ce jalon essentiel entre Gluck et Berlioz, c’est à dire passionnant pour l’essor du romantisme naissant.
Chambriste, Cherubini l’est sans discussion. Il traite la formation comme un tremplin expérimental. Son Quintette avec deux violoncelles en mi mineur n°1, daté des années 1820, c’est à dire contemporain des grands Quatuors de Beethoven parmi les plus audacieux (adagio de l’opus 127 précédemment cité), nous emmène ailleurs, riche en surprises, climats, idées multiples pas vraiment développées mais propices en texture instrumentale nouvelle, a contrario des opus de Cambini et de Boccherini qui même s’ils exigent davantage de tension continue des violoncelles, paraissent en comparaison plus prévisibles et même convenus, néohaydniens.

Le Centre Vénitien a bien raison de dédier son festival d’Automne à Luigi le Florentin (Festival Luigi Cherubini (1760-1842) et les premiers romantiques) : maître d’un éclectisme synthétique et spécifique qui alors que les Italiens n’ont cessé de sévir à Paris depuis Marie-Antoinette et la Révolution, malgré l’essor des autrichiens, défend coûte que coûte un romantisme proprement français, efficace, mesuré, lumineux même, savant certes mais naturel et fluide dans ses options expressives.
Jamais prévisible, d’une invention constance, versatile, doué d’une imagination illimitée et d’un sens dramatique indiscutable, Cherubini se distingue par son inspiration. En rien vieux ni ringard ni conservateur: directeur du Conservatoire, éminence incontournale du milieu musical parisien, célébré au temps de la Restauration, Cherubini s’impose même dans sa pleine maturité (vers 1820 donc, c’est à dire sexagénaire) grâce à une écriture brillante et inventive qui captive sans commune mesure avec Cambini et Boccherini.
Sur instruments d’époque, les solistes du Quatuor Mosaïques, auxquels s’est joint le violoncelle de Raphaël Pidoux, débordent d’invention concentrée, de traits facétieux et mordants, justes dans leurs saisissants contrastes et effets de clair obscur, en particulier chez Cherubini.
Berlioz avait bien tort de caricaturer le portrait de son aîné: Cherubini nous offre une écriture palpitante, jamais conforme, souvent fantasque, d’une constante invention. La révélation est donc totale. Et le choix du Centre de musique romantique française, des plus pertinents.

Venise. Palazzetto Bru Zane, samedi 2 octobre 2010. Festival Luigi Cherubini (1760-1842) et les premiers romantiques. Quintettes avec deux violoncelles de Giuseppe Maria Cambini (1746?-1825?), Luigi Boccherini (1743-1805), Luigi Cherubini (1760-1842). Quatuor Mosaïques. Erich Höbarth & Andrea Bischof, violons. Anita Mitterer, alto. Christophe Coin, violoncelle. Invité: Raphaël Pidoux, violoncelle.

Illustration: Luigi Cherubini portraituré l’année de sa mort en 1842 par Ingres. Cherubini jeune (DR)
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