Howard Shore, 2008
Arte,
Le 5 septembre 2010 à 6h
Documentaire: Découvrir un opéra. Réalisation: F. Roussillon et E. Cotnoir. Inédit
Quoi de plus bouleversant qu’un homme de science, devenu monstrueux qui ayant conscience de sa difformité animale, n’aspire qu’à la mort, par impuissance, par solitude, par désespérance… ? L’opéra de Howard Shore (auteur oscarisé de la BO des Seigneurs des Agneaux) d’après le film de David Cronenberg (La mouche, 1986) tient ses promesses, il réussit même le passage du grand écran à la scène. Est ce parce que le compositeur avait déjà signé la musique du film originel (dans un style dramatique voire opératique, inhabituel alors pour un film d’horreur!) et que David Cronenberg a participé à la conception de l’ouvrage lyrique, 22 ans après son long métrage?
Dans le documentaire diffusé par Arte, le défi est relevé avec panache et conviction par le baryton dans le rôle-titre: le canadien né en 1976, Daniel Okulitch, véritable acteur qui a fouillé son personnage comme… au cinéma.
C’est le ténor madrilène Placido Domingo, directeur de l’Opéra de Los Angeles qui est à l’origine de l’opéra. Il en a même assuré la création, au pupitre, comme chef de circonstance, au Châtelet à Paris en juillet 2008.
Le chef et chanteur a ensuite créé l’oeuvre à Los Angeles en septembre 2008.
En vérité la musique de The Fly n’a rien à voir avec celle du film de 1986 à part deux petites mélodies originelles que Howard Shore a recyclé dans la partition lyrique. A la demande du compositeur, le librettiste David Henry Hwang écrit le texte et préserve la cohérence dramaturgique de l’action lyrique en concevant arias, duos, choeurs… L’écrivain mêle le scénario du film et la nouvelle qui l’a inspiré.
L’oeuvre profite de l’engouement des directeurs de théâtre pour les nouvelles réalisations scéniques, en particulier lorsque les planches accueillent un projet venu du cinéma. Cronenberg et Shore se retrouvent à Paris à l’été 2008: le cinéaste signe même la mise en scène de l’opéra de son ex partenaire du film de 1986. Ils ont collaboré sur une douzaine de réalisations et projets, mais reconnaissent que dès le début du tournage de La Mouche, il s’agissait d’un film opératique: huit clos entre 3 personnages dont l’action tendue, électrique, se déroule dans la même pièce d’un laboratoire…
Le baryton Daniel Okulitch qui incarne le chercheur Seth Brundle, remarquable autant sur le plan scénique et dramatique que vocal, souligne le contexte et l’époque de la nouvelle (comme celle du premier film inspiré par ce drame): les années 1950, quand le nucléaire à ses débuts défrayait la chronique par sa faculté à engendrer des créatures mutantes et monstrueuses, ce que la génétique réactive aujourd’hui (quoique depuis Tchernobyl, l’actualité effrayante du nucléaire continue de nous hanter…). Pour le chanteur l’opéra présente le personnage de Seth sous un nouveau jour: il est dépassé par la réalité de la chair et la notion d’humanité. Pour le chercheur, seules importent combinaisons et formules d’association. Et pourtant Seth se montre fasciné par la puissance érotique du corps, une découverte que lui révèle sa compagne Veronica.
Possédé par ses recherches sur la télétransmission du vivant, il ira jusqu’à commettre l’impensable et payant très cher son ambition…
Le compositeur de son côté souligne combien l’opéra développe le point de vue de Veronica, témoin de la métamorphose de celui qu’elle aime malgré son apparence. Un tel personnage de femme forte se trouve aussi dans le film Le seigneur des agneaux où Judy Foster enquête autour d’un autre monstre… Howard Shore qui signe aussi la musique de ce t autre film, salue la performance de son interprète (Ruxandra Donose). Son écriture est précise, développant des climats prenants voire étouffants, proche de l’obsession et du mystère. D’un bout à l’autre, il conçoit deux rôles écrasants vocalement et psychologiquement: Seth et Veronica.
L’enchaînement et la réalisation de ce nouveau chapitre du cycle « Découvrir un opéra », tourne autour du sujet en se perdant parfois en conjectures banales. Les interventions de Cronenberg, du compositeur et de l’excellent baryton relèvent heureusement l’intérêt. Non obstant cette réalisation bien peu concernée par son sujet, les thèmes que soulèvent l’opéra le rendent fascinant: fragilité et décrépitude lente du corps, mortalité bouleversante, déchirement d’un être déformé qui n’a perdu son humanité qu’en apparence… cruel dilemme, spectacle physique horrible pour ses proches comme pour lui-même. Le docu ne dénature en rien la justesse scénique et psychologique du chanteur principal, véritable révélation du film.