Le producteur Philippe Maillard a eu l’excellente idée de miser sur la jeune soprano Camille Poul, tout juste diplômée du Conservatoire National Supérieur de Paris, et de lui permettre de proposer aux mélomanes parisien un beau concert consacré à la musique italienne de l’époque dite baroque, dans le cadre minéral et l’acoustique excellente de l’Eglise des Billettes. Un concert intime, comme une réunion entre amis musiciens, loin de la machine médiatique écrasante de certains géants du monde lyrique. Sœur cadette de l’opéra et de l’oratorio, la cantate, objet principal du concert, leur emprunte la monodie accompagnée et une certaine virtuosité vocale, moins expansive cependant, car davantage réservée aux salons princiers, cultivant volontiers les affects ainsi qu’une certaine proximité musicale avec l’auditoire. De forme courte, composée bien souvent de plusieurs airs de longueur variable, cet aspect plus négligé de la musique vocale italienne du seicento permet de mettre en valeur presque simultanément différents compositeurs ayant écrit dans cette esthétique intimiste et raffinée.
Constatons une grande homogénéité de style entre les différentes écritures de Bononcini, Caldara, Marcello, Scarlatti et Vivaldi, preuve s’il en est d’une véritable école et d’une transmission des principes d’écritures propres au bel canto naissant. La ligne de chant est pleine de sentiments, à la fois sobre, retenue, et parfois très ornée, mais toujours au service de l’expression, ne sacrifiant jamais à une vaine pyrotechnie. Camille Poul démontre sa technique merveilleusement accomplie, ne forçant ni ne poussant jamais sa voix, faisant chatoyer les couleurs argentines de son instrument. La chanteuse ressent profondément les pièces qu’elle interprète et sait leur donner vie, sans emphase inutile, toujours dans une noble retenue, laissant à sa vocalité le soin de porter les émotions, dans un sens aigu des nuances et des contrastes. Souhaitons-lui de poursuivre plus avant son chemin dans le bel canto italien, son air de la Sonnambula bellinienne lors de son prix ayant prouvé une adéquation réelle avec le répertoire « belcantiste » plus tardif.
Saluons également bien bas la performance de Mathurin Matharel au violoncelle et François Guerrier au clavecin. Le premier, musicien d’une indiscutable sensibilité, trouve l’équilibre parfait entre sonorité baroque et jeu plus traditionnel, sachant vibrer ses sons quand il le faut, et laisser, lorsque la dramaturgie de la musique le réclame, des sonorités blanches s’échapper de son instrument, comme des plaintes désincarnées.
Le second, tout aussi musical, se montre un formidable soutien pour la chanteuse, et, alors qu’il est seul en scène, sert Scarlatti avec un plaisir visible, sculptant les lignes musicales, soulignant les audaces harmoniques parfois surprenantes du compositeur, avec élégance et délicatesse. Un superbe concert, légitimement applaudi, servi par un véritable trio de jeunes musiciens promis à un avenir radieux.
Paris. Eglise des Billettes, 17 février 2010. L’Italie Baroque. Giovanni Battista Bononcini : Cantate « Lungi dalla mia Fili ». Domenico Scarlatti : Sonate K.437. Antonio Caldara : Maddalena ai piedi di Cristo, « Pompe inutili ». Antonio Vivaldi : Sonate pour violoncelle en si bémol majeur ; Cantate : « Il povero mio cor ». Benedetto Marcello : Cantate « Deh volate al idol mio ». Alessandro Scarlatti : Cantate « Andate o miei sospiri » – extraits. Domenico Scarlatti : Sonate K.208 ; Sonate K.511. Georg Friedrich Haendel : Aci, Galatea et Polifemo, air d’Aci « De l’aquili l’argili » ; Alcina, air de Morgana « Credete al mio dolore ». Camille Poul, soprano ; Mathurin Matharel, violoncelle ; François Guerrier, clavecin
Illustration: Camille Poul © ‘b. Lasri