La notion de joie chez Chostakovitch
Ce compositeur Russe qui a tant souffert d’un régime totalitaire incohérent capable de le porter au pinacle comme de le vouer aux gémonies n’a que trop rarement, de mouvement de joie dans son œuvre. L’ouverture de fête est un moment rare dans sa vie. Cette commande officielle de 1947 pour la célébration du trentième anniversaire de la révolution d’octobre sera oubliée car entre temps le rapport Jnadov avait mis Chostakovitch au rang des formalistes à abattre. Le sort fut clément à cette page de joie en lui permettant d’être créée en 1954 donc après la mort de Staline. On sait que la mort du tyran fut un jour de joie pour un grand nombre, on peut donc penser que secrètement Chostakovitch ne pouvait espérer jour plus radieux pour cette ouverture de fête. Cette très courte pièce est fulgurante. Elle a été prise dans un tempo d’enfer par un Tugan Sokhiev à la direction millimétrique. Tous les pupitres de l’orchestre ont brillé. Les sonneries des cuivres en ouverture sont rutilantes, les bois et tout particulièrement les flûtes sont pleins de fraîcheur et d’esprit. Les violons planent au plus haut et les percussions se jouent des diableries écrites pour elles. Tout fuse, éclate et explose de joie. Les clins d’œils de la partition sont soulignés avec esprit dans un équilibre bien dosé. Le public toulousain qui commence à bien connaître Chostakovitch, car Tugan Sokhiev le dirige souvent, a apprécié tout particulièrement les richesses de cette ouverture de concert enthousiasmante.
Concerto plutôt Beethovenien
Le concerto pour violon de Brahms a été composé pour son grand ami le violoniste Joseph Joachim et a été créé en 1879. Quasi contemporain de la deuxième symphonie, il bénéficie de la lumière et de l’énergie qu’un récent voyage en Italie a révélé à Brahms. L’aspect solaire et presque hédoniste de ce concerto, éloigné des affres d’un romantisme brumeux et sombre, rend cette œuvre assez singulière dans le corpus brahmsien. Une certaine tradition l’alourdit et l’assombri oubliant qu’avant d’être un bedonnant barbu peu soigné, Brahms a été un jeune homme mélancolique et doux à la superbe chevelure dorée qui avait une allure de prince charmant.
La très belle Akiko Suwanaï semble incarner l’élégance. Cette japonaise, enfant prodige qui a remporté à 18 ans le si difficile concours Tchaïkovski joue sur le dauphin, célèbre Stradivarius ayant appartenu à l’immense Jascha Heifetz. La sonorité en est veloutée et rayonnante sans la moindre agressivité. La jeune femme a un toucher de l’archet sur les cordes d’une grande délicatesse qui semble toujours laisser une marge confortable évitant toute saturation du son. Tugan Sokhiev a su offrir des interprétations très engagées du deuxième concerto de Brahms avec Nelson Freire en 2008 ou Philippe Bianconi cette année. Il a, dans une extraordinaire interprétation de la deuxième symphonie, révélé aux toulousains, combien son orchestre pouvait trouver les couleurs du romantisme brahmsien. Ce soir respectant probablement le jeu retenu de la soliste, il a choisi de faire de ce concerto, le dernier concerto classique. Ainsi le premier mouvement est donné avec peu de nuances, un strict respect du rythme et un tempo très stable. Le jeu d’Akiko Suwanaï est très mesuré ne s’autorisant aucun épanchement. La précision des attaques égale celle du rythme. Après ce premier mouvement un peu trop respectueux du texte et emprunt d’un classicisme de trop bonne tenue, le deuxième mouvement a enfin permis à l’émotion de gagner du terrain. La superbe symphonie de bois et cors qui ouvre cet adagio délicatement bucolique a été nuancée et phrasée avec une grande délicatesse, dans une nuance pianissimo par un orchestre à l’écoute chambriste attentive et complice. Cette virtuosité non ostentatoire dit la qualité du pupitre des bois bien connue à Toulouse et la solidité des cors qui ne cesse de progresser. La sonorité pleine et soyeuse d’Akiko Suwanaï épouse les phrasés souples et les nuances délicates de l’orchestre. Ce mouvement restera comme une rencontre pleine de grâce mais un peu tardive et sans suite car le dernier mouvement redeviendra trop poli et à la limite d’une certaine sécheresse du coté de la soliste. Elle ne semble pas comprendre l’aspect populaire et un peu rural de ce mouvement tzigane qui doit tendre vers le presque canaille pour faire tout son effet. Pourtant Tugan Sokhiev ressert le rythme afin de provoquer la danse mais ses intentions et la légèreté pleine d’esprit de sa direction ne distraient pas la soliste de sa trop grande sagesse. La virtuosité est impressionnante, mais cette version est comme entravée par la soliste. Cette interprétation n’obtient que des applaudissements polis car le public sait quelle intensité Tugan Sokhiev et son orchestre peuvent mettre dans Brahms.
Le post romantisme leur va si bien
Les 14 variations Enigma d’Edward Elgar représentent la première partition pour grand orchestre qui donna toute sa notoriété de symphoniste à Elgar alors âgé de 42 ans. La structure complexe, l’habileté, l’originalité des couleurs et des rythmes font merveille et cette suite est très aimée du public, surtout Outre-Manche. Les portraits suggérés en forme de mystères sont un stimulant pour l’esprit. La richesse harmonique et les variétés d’orchestration se chargeant de séduire les sens. Très attaché à la structure tant dans le détail que dans l‘architecture générale de l’œuvre Tugan Sokhiev rend parfaitement lisible cette partition non exempte de faiblesses, voir de risques de grandiloquence. Quand un chef de cette trempe prend à bras le corps cette partition elle brille autant qu’elle émeut. L’orchestre retrouve enfin, l’harmonie d’une entente complète qui a un peu fait défaut dans Brahms. Tous les pupitres font assaut de virtuosité et de musicalité, les phrasés sont variés et les nuances profondément creusées et l’instant magnifique qui fait toute la séduction de la direction de Tugan Sokhiev arrive. Lui qui jamais dans cette musique post romantique n’abandonne la structure et la précision rythmique, rassuré par l’attention constante de tous ses musiciens, en tournant la page pose sa baguette et d’un geste ample élargit sa battue obtenant de tout l’orchestre un phrasé d’une liberté d’albatros dominant l’océan. Les gestes, bras grands ouverts , donnent au phrasé de l’adagio de la variation IX toute l’ampleur qu’elle réclame. Le sublime, comme approché dans cet adagio planant, reviendra dans la variation finale qui conclut ce cycle de manière grandiose.
Une nouvelle incursion dans un répertoire que chef et orchestre défendent avec talent. On attend une quatrième symphonie de Mahler programmée cette saison avec l’espoir d’une suite et d’un abord prochain de l’œuvre de Sibelius.
Toulouse. Halle aux Grains, vendredi 23 octobre 2009. Dimitri Chostakovitch (1906-1975) : Ouverture de fête, op. 96 ; Johannes Brahms (1833-1897) : Concerto pour violon en ré majeur, op.77 (Akiko Suwanaï, violon) ; Edward Elgar (1857-1934) : Variations Enigma, op.36. Orchestre National du Capitole de Toulouse. Tugan Sokhiev, direction. Texte mis en ligne par Adrien De Vries. Rédaction par notre correspondant spécial à Toulouse, Hubert Stoecklin.
Illustration: Tugan Sokhiev (DR)