Maria Malibran
par Gonzague Saint Bris
La mezzo à la voix étendue n’est pas qu’une virtuose de l’acrobatie vocale, c’est surtout une interprète qui saisit par la justesse et la vérité de son jeu d’actrice née. Elle n’inspire pas à notre actuelle mezzo légendaire, Cecilia Bartoli, cet engagement quasi gémellaire pour rien (voir le cd « Maria », édité par Cecilia Bartoli en hommage à « la » Malibran, chez Decca).
La biographie éditée en mai 2009 par Belfond retrace à la manière d’un roman ou d’une fiction romanesque, la vie trop courte mais si intense de la diva d’origine espagnole, fille de l’intraitable et tyrannique Manuel Garcia, le baryténor le plus doué de sa génération qui « fit » l’excellence vocale de ses deux filles, Maria et sa cadette, Pauline (née en 1821, future Viardot).
L’amour, la musique, -ces deux ailes de l’âme, comme le dit si bien Berlioz-, Maria Malibran les aura toutes deux ardemment vécues, avec une énergie exceptionnelle : déployée en seulement 28 années, de 1808 à 1836, soit en pleine vague romantique. C’est une femme libre qui « ose » s’affranchir de la tutelle affective et artistique de son mentor de père, Manuel, adulé jusqu’à New York (où il rencontre l’octogénaire Lorenzo Da Ponte, le librettiste de Mozart!). D’ailleurs, l’audacieuse fille surclasse symboliquement le père en chantant le rôle qu’il incarna sans pareil, Otello dans l’opéra éponyme de Rossini : prise de rôle qui en dit assez long sur le défi que s’est imposé Maria et aussi sur le plan vocal, qui révèle l’étendue de sa tessiture de mezzo grave.

L’auteur développe ainsi un polyptique en 11 tableaux afin d’évoquer une vie d’exception capable de nourrir la trame d’un roman sentimental. Il s’arrête naturellement sur les talents de la diva, ses qualités d’interprète (5è tableau) dont témoignent nombre d’auteurs légendaires, moult critiques parmi les plus exigeants (Fétis). Reine du Théâtre Italien à Paris, à l’époque de la Restauration, sous le règne de Charles X, quand triomphe l’esthétique de Rossini, « la » Malibran s’affirme en diva … rossinienne chantant Tancrède, Semiramis, Rosina du Barbier de Séville, surtout Otello, Iago et Desdemone dans Otello (!), mais aussi les personnages de Bellini (Amina), Donizetti, et Beethoven. Celle qui éblouit le parterre par sa grâce digne d’une Vierge peinte par Raphaël (Sand), a ce beau chant expressif et pathétique (Fétis) grâce à sa tessiture de 3 octaves, du sol grave de contralto au mi suraigu de soprano. Une disposition quasi surhumaine… qui fait la magie de chacune de ses apparitions.

Mais la diva adulée fut aussi compositrice, ainsi que le reconnaît (superbe hommage) Rossini lui-même dans une lettre adressée en 1832 : Maria fut l’auteur entre autres de mélodies mémorables exigeant de l’interprète, intensité, articulation, audace (comme le fut la cantatrice) dont « La voix qui dit je t’aime » (le titre de la chanson sert de sous-titre à la présente biographie). En outre, Maria écrit comme Berlioz, avec précision, aisance, naturel, dévoilant une intelligence rare. Elle est douée d’un esprit vif et plein d’humour, d’une simplicité attachante comme le montre sa conversation rapportée avec Lamartine. Elle est de plus nageuse et surtout cavalière hors pair : le cheval est son autre grande passion… qui lui sera fatale.
Tout cela, Gonzague Saint Bris le dévoile avec verve et lyrisme. Celle qui vécut à Paris dans un somptueux appartement, au 47 rue de Provence, décoré par Romagnesse, dans le pur style romantique, riche et confortable, découvre surtout le grand amour au soir de courte existence, en août 1829, au Château de Chimay en Belgique : la diva y rencontre le violoniste Charles de Bériot en une aimantation immédiate qui rappelle la fusion amoureuse des autres grands romantiques : Sand et Musset, Chateaubriand et Juliette Récamier, Marie d’Agoult et Liszt !
L’histoire supplante parfois – et dans la vie de Marie, souvent-, la fiction d’une écriture romanesque : Charles de Bériot amant d’une autre diva célèbre, venait d’en être éconduit : Henriette Sontag lui préféra en effet le Comte Rossi. Or à Paris, entre 1828 et 1829, les deux cantatrices se sont prises au jeu d’une rivalité plus feinte que réelle, chantant les mêmes rôles rossiniens, exaltant toute une génération d’âmes romantiques. Au terme de leur confrontation, c’est Maria qui sortit triomphante. « Pourquoi chante-t-elle si bien ? » déclara vaincue « la » Sontag. Décidément, « La » Malibran était un être d’exception. Ce livre en témoigne avec fidélité.
Gonzague Saint Bris : La Malibran. La voix qui dit je t’aime. Biographie. Editions Belfond. Parution : mai 2009. Prix indicatif : 20 € – 240 pages.