Nicola Jommelli
Demofoonte, 1770
Paris, Palais Garnier
Du 13 au 21 juin 2009
nouvelle production
Riccardo Muti, direction
Cesare Lievi, mise en scène
Deux pères endeuillés affrontés
Le Demofoonte de Jommelli n’est ni le fils de Thésée, qui fut Roi d’Athènes, ni roi d’Eleusis… prénom promis dans les textes de l’antiquité à moult identités. En fait, selon le livret de Métastase (1698-1782), l’opéra du Napolitain que Muti met en lumière non sans raison, avec la complicité de son ensemble Orchestra Giovanile Luigi Cherubini, s’intéresse en Chersonèse de Thrace (actuelle Turquie : oui, vous lisez bien ; en dépit des platitudes réductrices de certains, l’histoire de la Turquie croise bien celle de l’Antiquité grecque !) non loin de l’ancienne Troie, où combattit le Démophon athénien.
Il Demofoonte est créé la même année, 1733, que l’opéra scandaleux et révolutionnaire de Rameau : Hippolyte et Aricie. Date décisive.
Démophon, roi de Chersonèse, pour obtenir des Dieux la cessation d’une épidémie homicide, doit sacrifier à Apollon une jeune patricienne. Le souverain s’exécute et prend soin de ne pas atteindre à sa progéniture : il tient trop à ses filles quitte à imposer une loi injuste. Or Mastousios dénonce l’injustice qui préserve la lignée du Roi : Démophon piqué exige que la fille de Mastousios soit sacrifiée. De fureur, l’histoire de la légende se focalisant sur deux pères affrontés, Mastousios fait assassiner les filles de Démophon et s’arrange pour que le roi boive dans un vin coupé, le propre sang de ses filles. Propice à défendre l’horreur, la tragédie grecque aime ses images de pure atrocité-, Démophon fait exécuter l’auteur de tant de haine et d’exactions. Telle est l’action léguée par l’auteur antique Hygin (Caius Julius Hyginus), écrivain latin au premier siècle de notre ère ;
Métastase, en poète sentimental, tisse sa propre histoire à partir de la source mythique. Il coupe, resserre l’intrigue. Du conflit haineux entre les pères, il construit des intrigues en parallèle, invente plusieurs couples rivaux, imagine une intrigue plus équilibrée, aérée qui vient adoucir la lutte primordiale de deux pères, trop atroce, trop étouffante. Une comédie sentimentale portant les idéaux des lumières, plutôt qu’une tragédie violente et sauvage, trop proche de la source grecque antique.
Synopsis
Ainsi le poète librettiste adoucit la tragédie et relie les duos imprévus : le prince héritier Timante, fils de Demofoonte a épousé Dircea, fille du noble Mattusio. Mais Demofoonte ignorant de ce mariage secret, promet son fils à une autre, Creusa, princesse de Phrygie. L’intrigue se complique encore : le frère cadet de Timante, Cherinto, est tombé amoureux de Creusa que Timante n’aime pas.
Au I, Demofoonte ordonne le sacrifice de Dircea que tend à défendre son « époux » secret Timante. Creusa pour sa part ne comprend pas pourquoi elle ne plaît pas au prince héritier et désire sa mort. Demofoonte ne comprend quant à lui que son fils le déjuge en choisissant de défendre la jeune femme promise au sacrifice.
Au II, Timante et Dircea ont eu un fille or Apollon exige une jeune vierge.
Au III, les masques tombent : Dircea n’est pas la fille de Mattusio mais de… Demofoonte. Timante a donc épousé sa propre sœur ! L’inceste poursuit toujours les héros grecs. Mais coup de théâtre, Timante est le fils de Mattusio et non de Demofoonte. Le roi a échangé les enfants car il souhaitait un fils…avant d’avoir son cadet Cherinto. Ainsi, en un lieto finale inévitable, Cherinto devenu héritier peut épouser Creusa et le mariage de Dircea et Timante, officialisé.
Du mythe antique à l’intrigue sentimentale
En vérité la finesse psychologique de l’écriture de Métastase se révèle bénéfique : la relation père et fils en particulier Timante/Mattesio se dévoile profonde, sincère, vraie. Le livret a même été repris par une dizaine de compositeurs. Aux côtés de Jommelli, Hasse, Gluck, Myslivecek, mais aussi Traetta, Paisiello. Même Marmontel adapte le livret de Métastase pour Cherubini en 1788.
Réformateur napolitain, Gluck italien, Jommelli ne cesse de réviser les jugements à son encontre. Moins classique, plus visionnaire qu’il ne paraît, Jommelli né à Naples, incarne une réussite à l’échelle européenne : voyageur itinérant, de Vienne, Venise, à Rome et Stuttgart, il laisse pas moins de 4 versions ou lectures de Demofoonte : successivement présentées en 1743 (Padoue), 1753 (Milan), 1764 (Stuttgart), 1770 (Naples). Dans chaque ouvrage nouvellement réécrit, Jommelli semble réécrire l’histoire des êtres de chairs et de sang mis à mal par le cadre seria… Tout cela annonce la revanche prochaine des libertés individuelles contre le système. Conflit social et politique pour lequel s’engage Rousseau.
Au final, si Demofoonte se tire d’affaire, il doit payer cependant le fait d’avoir échanger sa fille Dircea pour Timante. La loi d’Apollon exige du voleur un lourd tribut : faire exécuter le sacrifice d’une fille vierge : symboliquement Demofoonte doit restituer la jeune fille qu’il a usurpée. Au final, le protagoniste dont le nom signifie selon l’étymologie, Demofoonte, Demophon : « la voix du peuple », infléchit la sévère loi divine en reconnaissant sa fille Dircea et en permettant qu’elle épouse légitimement son faux fils, Timante.
Illustrations : Niccola Jommelli (DR)