mercredi 7 mai 2025

Santa Fe Festival. Le 26 juillet 2008. Kaija Saariaho : Adriana Mater. Monica Groop, Matthew Best, Joseph Kaiser, Pia Freund. Ernest Martinez Izquierdo.

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Depuis son inauguration en 1957, le Santa Fe Opera festival a produit
plus de cinquante « American » premières ainsi que trois premières
mondiales aussi. Les dernières éditions furent marquées par le succès
de La tempête de Thomas Adès (2006), Ainadamar de Oswaldo Golijov
(2005), et, pour 2009, la direction du festival annonce The Letter de
Paul Moravec basé sur un livret policier de Somerset Maughan. Deux ans
après Paris, Adriana Mater reçoit sa première américaine dans la mise
en scène de Peter Sellars (fortement revue selon l’auteur) et un cast
totalement renouvelé. Un succès certain, mais qui est loin d’atteindre
le sommet que fut L’amour de loin, triomphalement monté ici en 2003.

Les désastres de la guerre

La guerre et ses conséquences font partie du monde de l’opéra depuis
l’origine, mais rares sont les œuvres qui l’utilisent comme point
central de réflexion et d’action. Le premier acte du livret de Maalouf
raconte le viol d’une jeune femme pendant une guerre balkanique et sa
décision de garder l’enfant; le second acte, dix-sept années plus tard,
étudie le dilemme du fils qui apprend la vérité sur son père, décide de
le tuer mais ne peut passer à l’acte, tandis que la mère interroge :
« ai-je engendré un monstre ? » Adriana Mater est d’une certaine façon
un anti-Wozzeck, vu du côté féminin de Marie avec son fils qui aurait
grandi pour peut-être se venger. C’est aussi un anti-Die Soldaten de
Zimmerman, car l’opéra de Saariaho reste intimement personnel et ne
cherche ou ne réussit pas directement à exprimer le collectif.
Musicalement, la violence de la musique de Saariaho (qui n’a rien
envier à Berg ou Zimmermann) est à l’opposé de la dureté et du
découpage cinématographique de ces deux compositeurs ; la partition
s’étend plutôt en un long rituel, à l’image de fortes vagues
déferlantes….
La compositrice ne cache absolument pas le fait qu’il s’agit ici d’un
opéra « féminin », dont l’idée est venue pendant sa grossesse, à
« entendre » deux cœurs battre dans le même corps. La transformation
musicale de cette image, reprise après le viol quand Adriana décide de
garder l’enfant, est l’alibi et le sommet musical d’un premier acte qui
explore toutes les couleurs musicales, dans les percussions, les
accents déchirants des violencelles, les masses orchestrales qui se
déplacent brutalement ou lentement. Quand Monica Groop, qui habite
parfaitement ce rôle difficile, chante « le corps avec deux cœurs », la
musique chante les deux cœurs, le grand et le petit, qui battent
parfois ensemble, parfois sur des rhythmes séparés : un grand moment de
création musicale qui à lui seul rend l’opéra indispensable. Par
contre, l’action dramatique de l’acte se résume à quelques moments
étirés à l’extrême, plus une introspection qu’une action. Un opéra à
limite de l’oratorio, à l’image des chœurs (« la voix de tous ceux et
celles qui dans le village décimé n’ont pas été pleurés » comme les
décrit Peter Sellars) qui chantent hors-scène et semblent sortir de la
fosse d’orchestre, comme des ombres abstraites dans le vent…. Le
caractère de Refka, la sœur d’Adriana ne s’impose pas en dépit des
efforts de Pia Freund. Quant à Matthew Best il chante, malgré un timbre
un peu sourd, Tsargo, le villageois devenu soldat et père de Yonas,
avec une humanité qui transcende la médiocrité et la violence du
personnage.
Avec l’entrée en jeu de Yonas, le fils, le deuxième acte s’anime et
montre les talents dramatiques de Saariaho : la résignation fait place
à la rage, puis au doute, et Yonas, superbement chanté par Joseph
Kaiser, apprenant que son père est devenu aveugle—Maalouf nous offre
ici les plus beaux moments du livret—renonce à la vengeance. Pour le
dernier tableau, que Sellars décrit comme l’équivalent musical d’une
icône byzantine, les quatre charactères sont en scène, mais ils ne se
parlent pas vraiment : perdus dans leur propres pensées, ils
monologuent et créent un quatuor d’une étrange et inquiétante
intensité. Psychologiquement et musicalement d’une grande richesse
(l’orchestre s’empare tour à tour et parfois en même temps de leurs
introspections), cette très (trop) longue scène (une trentaine de
minutes) résume la beauté et le problème d’un opéra qui absorbe
l’énergie des spectateurs et spectatrices mais ne veut pas entrer en
réel contact avec eux.

Des cubes de couleurs dans la nuit


Scéniquement, Peter Sellars s’investit à fond mais ses talents ne
suffisent pas à transcender le manque d’intérêt théâtral. Se détachant
sur le fond de scène ouvert sur le paysage, les cubes de résine de
George Tsypin donnent une image universelle du drame humain qui s’est
joué, se joue, et se jouera encore. Ils évoquent le vernaculaire d’un
village des Balkans, du Moyen-Orient, mais ici dans le désert magique
de Santa Fe, ils rappelent aussi les pueblos indiens de Taos et Akoma.
La scène n’est quasiment pas éclairée ; les cubes s’allument et
s’éteignent, changent de couleurs au gré des passions et sentiments.
Parfois, cette « lumière intérieure » (comme le dit Sellars) produit un
effet de flou qui semble dissoudre les contours des corps ou, comme
dans un effet byzantin, semble entourer les visages d’un halo
rayonnant.
Le jeune chef catalan Ernest Martinez Izquierdo, qui a également dirigé
l’opéra à Helsinki, se nourrit de cette musique dont il tire avec un
orchestre en grande forme les accents hallucinants et hallucinés des
désastres de la guerre et des profondeurs de l’âme.


Santa Fe Festival
. Santa Fe Opera le 26 juillet 2008. Kaija Saariaho
(née en 1952): Adriana Mater,
2006. Livret d’Amin Maalouf. Avec Monica Groop
(Adriana Mater), Matthew Best (Tsargo), Joseph Kaiser (Yonas), Pia
Freund (Refka). Orchestre et choeurs du Festival d’Opéra de Santa Fe. Ernest Martinez
Izquierdo
, direction. Mise en scène: Peter Sellars. Décors: George
Tsypin. Costumes: Martin Pakledinaz. Eclairage: James Ingalls.

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