samedi 3 mai 2025

Lyon. Chapelle de la Trinité. Le 25 novembre 2007. 25e festival de Musique Baroque de Lyon. Miserere de José de Nebra par Los Musicos de Su Alteza (dir. A.L.Gonzalez)

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La 25e édition du Festival de Musique Baroque de Lyon a lieu en la
chapelle de la Trinité ; à presque mi-parcours de son déroulement, le
groupe espagnol Los Musicos de Su Alteza est venu porter le message
pré-classique du Miserere de José de Nebra, évoquant même le
pré-romantisme dans ce milieu ibérique du XVIIIe en proie au
farinellisme….

Un style éphémère et très important

Oh la pertinente, l’utile invitation par le 25e festival baroque de Lyon ! Et le beau lieu pour accueillir un ensemble comme Los Musicos de Su Alteza, un lieu qui forme contrepoint français et classico-baroque à l’ibérisme de la passionnante musique de Nebra ! Mais on pourrait imaginer tout de suite avec ce compositeur espagnol (1709-1768) quelque surgeon attardé du baroque, une efflorescence lasse et décadente à la pointe sud-occidentale d’une Europe enivrée mais enrouée de ses vocalises… Le groupe aragonais de Luis Antonio Gonzalez nous confronte en son concert avec deux sortes d’œuvres de ce compositeur qui porta un « style éphémère mais très important », fut prolixe en genres tout à fait opposés, et qu’en France nous connaissons trop mal. Or dans ce domaine de l’émotionnel sacré, l’existence peut – et même devrait ? – précéder l’essence, surtout si des interprètes savent en extraire le suc : les instrumentistes, savants, scrupuleux et très alertes, arrivent d’emblée à créer l’étagement de plans en profondeur sonore – pas seulement donc, ce qui est élémentaire, l’équilibre latéral de la bonne vieille stéréophonie, non, une substance très vivante, analogue à une étoffe de contact sensuel, mais aussi éthéré puisqu’il s’agit d’une religion et de sa scénographie mentale. En filant la métaphore précieuse, on ajoutera que cette étoffe instrumentale vêt avec une souplesse chatoyante les voix des deux sopranos, elles-mêmes différentes et complémentaires à la fois : Olalla Aleman, si agile, cristalline et un rien d’élégance distanciée, Maria Espada, d’une gravité frémissante, capable dans une même séquence de se confier au cri et aussitôt au murmure. Tout cela est gouverné par L.A.Gonzalez d’une autorité chaleureuse (ce n’est pas incompatible), gestes d’impulsion plus orthogonaux que courbes mais douceur profonde, voire secrète, qui dénote aussi la connivence – de recherche en continuité sans nul doute – avec les textes et leur traduction.

Les grâces d’un adieu viruose…
Les extraits du Diable Muet, d’après Calderon, mettent en espace une « représentation de l’âme et du corps » comme les aime le baroque universel, si friand de théâtralisation des élans complexes autour du « qui veut faire l’ange fait la bête »… C’est même, comme dirait la théologie catholique, transsubstantiation – nous dirions dialectique – du divin et de l’humain, ici incarnés en ces deux chanteuses rivalisant d’ardeur et de subtilité, de beaux alanguissements, traductrices du figuralisme ( les anges à l’échelle, que célèbre en contre-plongée la Nature Humaine). Extraits séduisants et virtuoses, qui sont « monde ancien » avant l’exploration d’un profondément autre continent, celui du Miserere que Nebra écrivit à la fin des années 1750. Et devant l’incertitude de date, on aimerait supposer que le tremblement de terre de Lisbonne, ébranlement de la conscience européenne en 1755, trouve ses répliques de bouleversement musical dans cette partition au carrefour des écritures. D’un côté, le baroque finissant se voit adresser les grâces d’un adieu virtuose, et cela s’entend , non, s’écoute avec délectation dans des vocalises souvent encore décoratives, mais parfois aussi fortement signifiantes que dans le futur usage mozartien (Et incarnatus est de la Messe en ut mineur).

Le moi du journal intime
De l’autre, et c’est la profonde originalité de Nebra, un discours instrumental et vocal, syllabique et troué, haletant et raviné de silences, nous saisit et ne relâche jamais son étreinte, à la façon des Sept Paroles du Christ, de Haydn. On griffonne subrepticement : Sturm und Drang ibérico-catholique (et on doit avoir raison, la notice du disque disponible à la sortie du concert – Musica Antigua Aranjuez, distr. en Espagne par Harmonia Mundi– le confirmera sous l’autorité de L.A.Gonzalez). Ici s’ouvre la voie de la sensibilité à sa façon pré-romantique dont les années européennes 1770 verront imposer en évidence le discours qui concerne l’être humain, encore sous l’aile de la religion mais déjà lové en son moi jaillissant ou pathétique. Les voix à immenses intervalles, le chuchotement comme au confessionnal mais aussi au journal intime, les soubresauts instrumentaux d’autant plus poignants qu’ils sonnent en sanglots secs, la saisie d’intuition si juste pour adapter chaque mot, chaque syllabe, chaque proposition d’images : ce jeu d’ombre et de lumière permanent n’est plus seulement celui du baroque même s’il lui emprunte encore certains moyens d’éloquence. Il a une rigueur et une justesse dont on dirait en peinture européenne qu’il vient de Zurbaran, se prolonge en Rembrandt et plonge dans les vertiges de Goya. Témoin et symbole de cette nouveauté qui semble effet suprême de la science d’une composition mais va bien au-delà de l’habileté : le dernier verset, bientôt porté par l’allégresse jubilante, et qui à l’instant ultime s’abîme en un murmure balbutiant dans le vide, comme si la nuit retombait sur la scène du monde et stupéfiait la conscience redevenue tragique. Trois bis généreux et dramaturgiquement complices entre les voix qui s’amusent de leur théâtre de tréteaux ne seront pas de trop pour calmer cette superbe angoisse…

Lyon. Chapelle de la Trinité, le 25 novembre 2007.
José de Nebra ( 1702-1768)
: extraits de El Diablo Mudo ; Miserere. Los Musicos de Su Alteza, Luis Antonio Gonzalez, direction. Maria Espada, Olalla Aleman, sopranos.

Crédits photographiques: Los Musicos de su Alteza (DR)

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