dimanche 4 mai 2025

Concert Ravel, Stravinsky, Gilbert Amy Lyon, CNSM. Les 25 et 26 avril 2007

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Concert
Ravel,
Stravinsky,
Gilbert Amy

Orchestre du CNSM de Lyon
Gilbert Amy, direction

Lyon, CNSM
Salle Varèse
Les 25 et 26 avril 2007 à 20h30
(soirée au profit de l’UNICEF)

Gilbert Amy a dirigé le Conservatoire Supérieur de Lyon pendant 14 ans. Il y revient pour conduire l’Orchestre des élèves dans un programme où figurent Rossignol de Stravinsky, La Valse de Ravel, et deux de ses œuvres récentes : le Concerto pour piano, et des Mélodies sur des poèmes de l’écrivain résistant lyonnais René Leynaud, assassiné par les Allemands en 1944.

Le temps de l’écriture pure et dure

« Je considère la musique, par son essence, impuissante à exprimer quoi que ce soit. Le phénomène de la musique nous est donné à la seule fin d’instituer un ordre dans les choses, y compris et surtout un ordre entre l’homme et le temps…La musique n’exprime pas les passions, elle les efface. » Les mises en garde de Stravinsky sonnent-elles toujours vrai et fort, pour des compositeurs comme Gilbert Amy, « venu au monde » dans l’écriture sérielle, qui d’ailleurs elle non plus ne faisait guère proliférer l’émotion comme vertu… ? Mais comme l’a reconnu en maintes circonstances le compositeur de l’opéra « Le premier cercle » (sur le texte de Soljenitsyne), l’être évolue, et pas seulement bien sûr en fonction des nécessités sociales du paraître. Ainsi, naguère, pas d’opéra, ce genre vieillot, bourré de conventions et de concessions. De l’écriture pure et dure, en quelque sorte. Puis à la fin des années 1990, un vrai opéra. Des quatuors, cadre-symbole du laboratoire classique : pas avant la soixantaine. Des concertos – pour les sériels, « horresco referens », je m’épouvante de la relation, auraient dit les Anciens ! – , jamais ! Et puis on finit par céder au charme du violoncelle ou du piano…

Une poésie contre la barbarie

Le concert que « compose » et dirige Gilbert Amy dans sa pas si ancienne Résidence directoriale – le CNSMD de Lyon où il a été « aux affaires », selon la gaulienne formule, de 1984 à 2000 – tient donc un peu de l’autoportrait masqué. C’est d’ailleurs justement en revenant sur son action d’une quinzaine d’années à la tête d’un établissement de pédagogie musicale supérieure que le compositeur revoit mieux comment on peut évoluer sans renier ses principes : au contact de la jeunesse « toujours recommencée » (à chaque génération d’élèves, bien plus courte que celle de la démographie !), mais aussi du réalisable instrumentalement et humainement parlant…S’il y a par ailleurs un domaine de l’écriture où Gilbert Amy n’a cessé de chercher le lien et la substance vivifiants, c’est bien celui de la poésie : en témoignent ses œuvres « sur » les textes de Rimbaud, Rilke ou Char. Mais le poète d’aujourd’hui n’est pas seulement un Lyonnais, et il ne s’agit pas d’un hommage convenu à la petite patrie d’adoption : « René Leynaud, mort en 1944, à l’âge de 34 ans, victime de la barbarie nazie, explique le compositeur. Sa poésie est un enchantement : Albert Camus, son ami, ne s’y était pas trompé. » En effet, comme on peut le lire dans le maître- livre de Pierre Seghers, « La Résistance et ses poètes », Albert Camus raconte que René Leynaud, l’un des responsables du mouvement Combat, fut arrêté par les miliciens en mai 1944, livré aux Allemands qui préparaient leur fuite, et le 13 juin emmené hors de la ville avec 18 autres résistants et fusillé : ainsi le raconta le seul survivant – rescapé par miracle – de cette tuerie. « Autant que cela est possible à un homme, il était tout entier dans ce qu’il faisait, dit Camus. Il n’a jamais rien marchandé et c’est pourquoi il a été assassiné. Solide comme les chênes courts et râblés de son Ardèche, il était rudement taillé au moral comme au physique. Rien ne pouvait l’entamer. »

Une lumière à écouter

Cet écrivain avait choisi dans la lutte clandestine « l’honneur des poètes », et de ne plus rien écrire tant que durerait l’occupation nazie. Il faisait de toute façon preuve d’une remarquable modestie, dont témoigne cette lettre à Camus : « Mes poèmes sont ce qu’ils sont et je pense qu’ils valent peu de chose. Je me suis souvent demandé si je ne m’exerçais pas à la poésie pour me démontrer à moi-même que je n’étais pas poète, ou encore pour tuer en moi le prestige des mots qui est grand. J’ai parfois le dégoût de la poésie, qui est ma passion profonde. » Qu’écoutera l’auditeur à travers les quatre courts poèmes (écrits par René Leynaud avant que ne tombe le grand silence) et choisis par Gilbert Amy ? Un ton, bien sûr, et un regard sur le spectacle du monde, comme le compositeur aime aussi en transposer le geste quand il « commente » dans sa musique la peinture du XXe. Une « lumière », dans « Matin » : « Au ciel la terre transparaît…le matin s’avance et décrit / l’espace en concentriques lignes / qu’un point subtil du cœur résout. » Et dans « Dit », ce sera « la transparence de nos cœurs attentifs »… Belle mission émue pour le sourcier des sons qui va puiser à travers le roc des mots. Composées de 2003 à 2006 d’abord pour voix et piano, ces Mélodies sont ici dans leur version d’orchestre, avec la soprano Nathalie Gaudefroy.

Concerto, Rossignol et Valse

Le concerto pour piano, terrain classique et romantique par excellence, Gilbert Amy lui redonne même la découpe en 3 mouvements (vif, lent,vif) et 3 cadences (« toutes les bonnes choses vont par trois », disait Berg à propos de l’amitié !), à la différence de son concerto pour violoncelle, en 7 épisodes liés. « Les rapports entre le soliste et l’orchestre sont constamment soumis à un souci de clarté, jamais l’orchestre ne dispute le premier rôle au soliste . » Dans ce dialogue sans subordination, le rôle soliste revient à la jeune pianiste russe Alexandra Roshchina, entre autres lauréate du Concours pétersbourgeois « Maria Yudina » à l’âge de 19 ans. Le toujours passionnant –et perpétuellement mouvant en sa composition…- Orchestre du CNSM, guidé par le compositeur, devra ouvrir sa voie dans l’œuvre de deux compositeurs dont on peut penser que Gilbert Amy les a retenus aussi pour leur anti-émotivité (de principe !). Avec Stravinsky, ce sera Rossignol, un « opéra abandonné » de 1909-1914, « chinoiserie sur un conte d’Andersen » : commencé dans la somptueuse leçon de Rimsky-Korsakov, l’œuvre reçoit ensuite l’influence ultra-moderne du Sacre : dans son habit d’Arlequin, la partition déploie tous ses charmes exotiques (la gamme pentatonique chinoise) et européens. Et avec Ravel, on quitte sans toujours s’en rendre compte l’impersonnalité de l’horloger qui se voulait le plus souvent impassible. A l’inverse absolu de l’exercice de style (l’impeccable Bolero), la Valse (1919) est Tombeau de l’univers autrichien – et européen ; « elle brille, dit G.Amy, de l’éclat un peu blafard d’un monde en décomposition. » Pacifiste convaincu, Ravel – au sortir des horreurs de la guerre – craint sans doute un retour de la tragédie, et jusqu’à son propre crépuscule mental, sera conscient de l’horreur des régimes totalitaires qui s’annoncent et s’installent en Europe. Voilà ce que dit en fin de concert cette partition dont Gilbert Amy saura sûrement faire partager à ses jeunes musiciens les pré-échos dramaturgiques de ce que les Mélodies chantent en bonheur pacifique et si menacé par le retour de l’horreur.

CNSMD de Lyon: tél.: 04 78 24 10 14 ou www.cnsmd-lyon.fr

Maurice Ravel (1875-1937): La Valse. Igor Stravinsky (1882-1971): Rossignol. Gilbert Amy (né en 1936): Concerto pour piano, Quatre Mélodies sur des poèmes de René Leynaud.

Crédit photographique
Gilbert Amy © B. Adilon

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