jeudi 8 mai 2025

Giacomo Puccini, Turandot (1926) Genèse et enjeux

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Giacomo Puccini
Turandot
, 1926

Le 25 avril 1926, Toscanini dirige la création de l’ultime opéra de Puccini, Turandot. Respectueux de la genèse de l’oeuvre, le maestro italien interrompit contre l’usage traditionnelle la représentation. Lorsqu’à l’acte III, Liù meurt sur la scène, en se poignardant, le chef italien marqua un temps d’arrêt, soulignant que l’auteur en était là, dans sa partition, lorsqu’il mourut, laissant l’ouvrage inachevé.

En quête de vérité

Quand Puccini succombe à Bruxelles, le 29 novembre 1929, son dernier manuscrit n’a pas trouvé d’achèvement. Le compositeur célébré dans le monde musical et auprès du grand public pour ses nombreux chefs-d’oeuvre antérieurs tels Manon Lescaut, La Bohème, Tosca, Madame Butterfly, s’intéresse dès 1920, à la Turandot que Schiller adapte d’après Gozzi. En rapport avec son librettiste, Renato Simoni qui avait séjourné en Chine en 1912, en particulier à Pékin et Shangaï, Puccini échaffaude l’intrigue et la coloration exotique de son nouvel opéra.
Les auteurs attachent une importance soutenue à la crédibilité des citations du floklore chinois: lanterne rouge de fête, lanterne blanche de deuil, voeu du choeur « dix mille ans de vie à l’empereur » sont correctes, de même que la mélodie des masques que Puccini emprunte à l’air de la boîte à musique de son ami le baron Fassini écoutée à l’été 1920, lequel avait séjourné en Chine comme diplomate. Le musicien demande à son éditeur Ricordi des partitions de mélodies authentiquement chinoises. Sa volonté de créer une oeuvre vraisemblable s’impose pendant la genèse de l’opéra. Il ne s’agit pas que de produire une carte postale, nourrie de clichés factices.
Dans la fosse et sur la scène, le compositeur prévoit l’usage d’un gong (à neuf notes dans l’orchestre) mais aussi d’autres percussions qui sans être spécifiquement chinoises, renforce la caractère d’exotisme de sa musique (célesta, glockenspiel, tambour, cloches tubulaires). L’travilexigence de Puccini s’inscrit aussi dans la rédaction du livret et la collaboration du versificateur, si précieuse pour La Rondine, Giuseppe Adami, est sollicitée.

Les sources du sujet

Il existe bien un poème persan du XII ème siècle évoquant l’oeuvre d’une princesse sanguinaire: « Le Pavillon des sept princesses » de Nezâmi de Ganja. Au siècle suivant, l’écrivain Lari, a dû en avoir connaissance quand il imagine son propre conte intitulé « Turandot » dont le nom signifie logiquement: « Turan » (de Chine) et « Dot » (Princesse). Mais, la figure de la « fille du ciel » telle qu’elle apparaît en Occident, est transmise par la traduction des Contes des Milles et une nuit (d’origine persane) par François Pétis de la Croix. En particulier, l »Histoire du prince Calaf et de la princesse de la Chine » qui inspire à Lesage puis Gozzi, leur oeuvre respective: l’opéra-comique, « La Princesse Turandot » (1729), « Turandotte » (1762).
Mais, l’invention de Puccini et de ses librettistes apporte des changements importants qui approfondissent la psychologie de l’héroïne, en particulier ils inventent avec génie, l’ancêtre dont Turandot perpétue la mémoire et le voeu. Ils en font une vierge hystérique mais sensible et surtout rendu humaine par la blessure dont l’origine la précède et qui la rend elle-même prisonnière d’une sorte de malédiction perpétuée malgré elle. Sa terreur primitive renvoie à l’idée qu’elle associe à la jouissance. La crainte des hommes, et la volonté de décapiter chaque nouveau prétendant, vient de ce que pour Turandot, la jouissance sexuelle apporte la mort. En contrepoint au portrait sadique de la princesse, s’affirme également, dans la conception puccinienne, la bonté et la générosité de l’esclave Liù, pur amour qui à l’inverse, n’hésite pas à faire le don de sa vie, pour sauver l’homme qu’elle aime.
Inspirés par un même désir d’humanisation, les auteurs humanisent le prince Calaf qui révèle le mystère de son nom, offrant par là même, à son tour, sa propre vie. L’acte du don de soi est la preuve éclatante d’un amour véritable. La métamorphose de chaque être est donc ici essentielle. La force de cette évolution qui s’impose de façon radicale à l’esprit des trois protagonistes: Turandot, Liù, Calaf confère à l’opéra, même dans son inachèvement, sa totale réussite. On sait qu’aucun des ouvrages de Puccini ne fut laissé indemne après sa création. Chaque opéra fut en effet soumis à l’autoanalyse d’un compositeur exigent. Songeons à ce qu’aurait été Turandot si son créateur l’avait révisé selon sa conception. Ne fait-il pas comprendre par conséquent, dans une oeuvre exotique qui convoque tour à tour la pure féerie, le fantastique et le tragique, une volonté de perfection (certes inaboutie) et moderniste.
Le raffinement de l’écriture, les audaces harmoniques (polytonales) dont il s’agit, convoquent aussi l’étranger au sens premier du terme: ce que l’on ne connaît pas, ce qui est à inventer. Désir d’abstraction pour le moins d’expérimentation, de la part d’un auteur que certains, beaucoup, veulent enchaîner au passé….

Pour se concentrer sur l’action de Turandot, Puccini quitte sa villa de Torre del lago pour une villa à Viareggio dans laquelle il s’installe en décembre 1921. Pendant les trois années qui suivent l’écriture se poursuit sans heurts, jusqu’à 1924, où la santé du musicien se détériore. Un cancer de la gorge est diagnostiqué et pensant consulter un spécialiste belge réputé, Puccini gagne Bruxelles avec son manuscrit encore inachevé. Il n’aura le temps que de parfaire l’orchestration et de coucher quelques esquisses de l’acte III. Le choeur ému par la suicide de Liù est la dernière étape autographe du manuscrit véritablement élaborée. Le reste concerne des esquisses et des indications qui nécessitent une mise au propre.

Alfano sous la dictée de Toscanini

Le manuscrit inachevé de Puccini est donc marqué par le calvaire de son créateur, usé et accablé par la maladie. Mais il est une autre souffrance attachée hélas à sa terminaison, celle du compositeur Franco Alfano qui répond à la demande que lui fait Toscanini, soucieux d’achever le dernier opéra de Puccini pour en diriger la création. Alfano remet une premier travail en décembre 1925 aux éditions Ricordi, lequel est vertement refusé. Sous la dictée de Toscanini, Alfano semble reprendre son labeur sans conviction et surtout dans un temps insatisfaisant: pressé, et certainement trop contraint par la volonté du chef à l’instinct tyrannique bien connu, Alfano n’a pas le temps de se plonger dans le raffinement de l’orchestration qui colore spécifiquement les deux premiers actes. Coupures intempestives, incohérence psychologique et dramatique, le troisième acte s’enchaîne mal avec ses précédents. Le duo final est un tableau sans action, le changement d’attitude de la princesse, « Fille du ciel », est relativement brutal: elle en perd sa substance et sa finesse psychologique. Aujourd’hui, cet aspect « bâclé », et le déséquilibre dramaturgique qui en découle, nuisent aux représentations de l’oeuvre mais Toscanini s’en contenta en créant l’ouvrage comme nous l’avons dit, le 27 avril 1926, donnant la version ainsi complétée, après avoir créé la veille, le 26 avril, l’oeuvre inachevée laissée par le compositeur.

Illustrations

Portrait de Giacomo Puccini (DR)
Luana DeVol dans le rôle de Turandot (DR)
Affiche d’époque (DR)
Franco Alfano (DR)

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