vendredi 9 mai 2025

Vicente Martin y Soler (1754-1806),Compositeur pour la scène tragique (ballet et opéra)

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Vicente Martin y Soler
Compositeur
pour le ballet et l’opéra

Martin y Soler enchanta les scènes européennes grâce à ses talents de dramaturge lyrique. Plus de trente opéras, une vingtaine de ballets ont marqué l’histoire des théâtres des grandes villes européennes de l’Europe des Lumières et jusqu’au début du XIX ème siècle, à Naples, Vienne, Londres, Saint-Pétersbourg… Son style fut aussi diversifié que l’époque, agitée. Pour lui, les plus grands chanteurs voulurent participer à ses productions, réputées pour leur intensité scénique et la qualité des partitions. Né à Valence, le 2 mai 1754, mort à Saint-Pétersbourg, 52 années plus tard, le 30 janvier 1806, Vicente Martin y Soler sait susciter la faveur des puissants: Joseph II d’Autriche, Catherine de Russie puis son frère Paul Ier, mais aussi le Duc de Parme et le Roi de Naples, Ferdinand Ier.
Musicien accompli, il travaille avec les meilleures plumes de son époque, Da Ponte, Luigi Serio…
2006 marqua le Bicentenaire de sa mort. A peine quelques concerts, pas le moindre opéra…tout au moins en France, Martin y Soler reste bien oublié.
Que savons nous au juste de sa vie, de sa carrière? Brillant, séditieux, voire libre penseur, c’est assurément une personnalité affirmée et extravertie, un amateur de jupons, une sorte de Don Giovanni bien réel, qui fut le compagnon de Da Ponte et son collaborateur.

Premières oeuvres
Il se fait un nom dans le genre du ballet. Un genre qu’il aborde dès 1778. Espagnol de naissance, Martin y Soler connaît l’opéra italien comme sa poche. Il est capable d’en parodier tous les genres, les formes et les registres. D’ailleurs, la finesse de son goût, varié et sûr, lui permet de diversifier à loisir les cadres et sujets approchées. Sa diversité et la faculté de renouveler son inspiration restent ses caractères spécifiques. Dans le ballet, il expérimente la vitalité des rythmes, l’unité d’une action, l’esquisse des caractères. C’est une excellente préparation au métier lyrique.
Ses débuts sont fracassants. A 21 ans, il écrit  » Il tutore burlato », dramma giocoso d’après La Frascatana de Filippo Livigni, créé en 1775 au Teatro Real de la Granja de San Idelfonso devant la Cour de Charles III. A 23 ans, en 1777, il compose un nouveau ballet, commande du San Carlo de Naples. Un lieu qui comptera par la suite. L’orchestre est l’un des plus réputés d’Europe et même le plus important de l’heure. La réputation du jeune compositeur grandit encore. Pour les souverains de Naples, Ferdinand Ier et son épouse Caroline d’Autriche, Martin y Soler reçoit à partir de 1778, la commande de nombreux ballets, mais aussi d’opéra serias, contribuant ainsi de façon spectaculaire au rayonnement de la Cour des Bourbons italiens fixés à Naples.

Essor des ballets d’action à Naples
Le musicien travaille avec le chorégraphe, Charles Lepicq (1744-1806) pour quatre ballets: La Griselda (1779, d’après Zeno, I ratti sabini (1780), La bella Arsene (1781), Tamas Kouli-Kan (1781), et deux ballets de demi-caractère, La sposa persiana (1778) et Il barbiere di Siviglia (1781), référence à la pièce du français Beaumarchais. L’essor du ballet à la Cour de Naples est lié à l’engouement pour le genre, affiché par la Reine Caroline. C’est aussi un spectacle de divertissement particulièrement apprécié par les nombreuses loges maçonniques de Naples, et dont fait partie la Souveraine. Le compositeur qui utilise certains motifs et des formules musicales « maçonniques », bénéficie certainement des faveurs royales grâce à sa proximité avec l’esthétique maçonnique, alors en vogue. Avec le maître de ballet, Charles Lepicq, le compositeur qui jouit d’une liberté bien supérieure à son état lorsqu’il était à la Cour espagnole, perfectionne un genre dansé, d’une grande richesse formelle: à la fois, mime, danse, action sérieuse et digne. Au total plus de 10 ballets voient le jour, nés de leur collaboration, marquant un âge d’or du ballet d’action qui se souvient aussi du vocabulaire gestuel conçu par Noverre et Angiolini.

Les grands ballets tragiques
Les pièces maîtresses sont nées précisément entre 1792 et 1799, ce sont des ballets tragiques conçus avec Lepicq pour Saint-Pétersbourg: Didone abandonnata (1792), L’Oracle (1793), Amour et Psyché (1793), Tancrède (1799), Le retour de Poliorcte (1799). La force dramatique de créations où la danse prime comme discipline motrice de l’action et de l’expression, impose les deux créateurs. Leur collaboration a su imposer l’élément chorégraphique comme un art majeur, pas seulement comme un divertissement intercalaire entre deux actes d’un opéra. La pantomime puis la danse proprement dite sont équivalents au récitatif puis à l’air. Martin y Soler n’hésite pas non plus à intégrer des choeurs et d’amples préludes orchestraux. Les ballets tragiques créés au théâtre royal de l’Ermitage de Saint-Pétersbourg sont d’une forme fixe: cinq actes précédés par une sinfonia introductive. La musique imprime son rythme, un enchaînement d’épisodes contrastés qui relancent toujours la tension de l’action, avec des éclairs exaltés dans le style « Sturm und Drang ».

Les opéras tragiques
Aujourd’hui les partitions les plus célèbres du compositeur appartiennent à sa veine comique. La plupart des productions présentées sur la scène, puis suivies par leurs enregistrements discographiques, ont surtout abordé les ouvrages comiques. La liste sommaire des oeuvres ainsi fixées par les chefs et les metteurs en scène est indicative de cette passion fragmentaire pour le Soler comique: Una cosa rara (1991, Savall/Montas), Il burbero di buon cuore (1995, Savall/Defl), L’Arbore di Diana (1996, Östman/Otero/Richter), Il Sogno (2000, Otero/ Martnez), La capricciosa corretta (2003, Rousset/de Letteriis). A tel point que la production en 2003, puis l’enregistrement au disque en 2006, d’Ifigenia, sous le direction du même Juan Bautista Otero, première pièce tragique ressuscitée, fait figure de totale nouveauté et même de révélation.
Car le corpus de ses opéras serias, à l’époque où Mozart redéfinit le genre lyrique en combinant les registres (n’oublions pas que Don Giovanni qui nous paraît tellement fantastique et sombre, est un dramma giocoso), indiquent une inspiration profonde dans la stricte écriture héroïque.
Voici une courte présentation de son oeuvre « sérieuse » qui devait aboutir dans l’évolution de la carrière, aux chefs-d’oeuvre comiques de la pleine maturité. Martin y Soler, éprouvait-il en vibration avec son époque, que le genre tragique était condamné à mourir? Quoiqu’il en soit son ultime ouvrage tragique semble dater de 1783.

Perfection de la scène tragique
Pour les Bourbons de Naples, Martin y Soler écrit quelques opéras serias, précisément entre 1779 et 1783. C’est un registre complémentaire aux ballets dont la trame est souvent sombre et héroïque. Le style se perfectionne ainsi de façon continu, préparant le genre dans lequel le maître va bientôt exceller: le dramma giocoso… comme Mozart. Au total six ouvrages lyriques liés au goût de la Cour napolitaine. Pour le mariage de Ferdinand Ier, il écrit deux opéras avec le poète officiel de la Cour, Luigi Serio : Ifigenia in Aulide, créé le 12 janvier 1779; puis, Ipermestra joué le 30 mai 1780, enfin, le componimento drammatico en deux actes, Partenope, d’après Métastase, pour la visite à Naples du Grand Duc de Russie, Paul Ier et de son épouse Marie Feodorevna, en février 1782. Amateur éclairé, passionné de théâtre et de musique, Philippe de Bourbon, Duc de Parme, lui demande aussi deux nouveau
x dramme per musica, pour le Teatro Regio de Turin.
Andromaca (1780), sur un livret d’Antonio Salvi, d’après Racine, surtout, trois ans après, en 1783, à l’époque où Mozart créé Idomeneo puis L’enlèvement au Sérail, Vologeso, réadaptation d’un livret de Zeno sur la vie de l’empereur Lucio Vero.

Tant de partitions officielles, toutes également applaudies (19 représentations pour Ipermestre par exemple), lui font obtenir une position enviable, celle de maître de chapelle (1780) au service du prince des Asturies, Charles, futur Charles IV d’Espagne.
Comme dramaturge inspiré et exigeant, Martin y Soler, réadapte les auteurs classiques français du XVII ème siècle pour renforcer la continuité et la force de ses livrets. Le compositeur n’hésite pas à supprimer des rôles importants pour l’unité de sa conception, ainsi le rôle de Clytemnestre dans Ifigenia par exemple.
Direct, efficace, il peint le coeur de l’action dès les premières scènes, sans préambules ni introduction/exposition des personnages secondaires. Andromaque, Iphignie et Hypermestre sont dès leurs premières scènes, au comble de la passion et de l’expression dramatique. Le déroulement des scènes qui suivent, suscitent leur long et progressif retrait, leur inexorable renoncement.
A la virtuosité des chanteurs employés, dont les stars de l’époque comme Luigi Marchesi (1755-1829) le plus célèbre castrat après Farinelli, qui lui doit ses plus grands succès au San Carlo, Martin y Soler affine le relief psychologique et dramatique des personnages. Charles Burney, voyageur mélomane de l’Europe des Lumières confirme le succès et la fascination exercée par les opéras tragiques de Martin y Soler.
Le compositeur sait varier les effets et l’équilibre des tableaux: duos, grands monologues, ensembles, favorisant les contrastes formels pour les airs des chanteurs principaux (rondo, cavatine, recitativo accompagnato…). Mais le musicien accorde une égale attention à la finesse et la poésie des rôles secondaires.
Les ressources de l’orchestre ne sont pas oubliées. Les instrumentistes du San Carlo, en grand effectif, lui assurent des effets uniques, parfaitement en phase avec sa conception dramatique. Souvent l’orchestre agit comme un acteur, véritable partenaire des voix, il résout la tension de la ligne vocale. Bois et cuivres, tremolos de cordes, participation des percussions brossent un paysage extrêmement élaboré de la peinture psychologique. Les phrases des seconds violons souvent martelées et rapides, ajoutent, indépendamment de la mélodie aux premiers violons et aux bois, à l’expressivité intense, aux nombreuses fulgurances de l’écriture du maître.
Les partitions tragiques de Martin y Soler ne doivent pas être occultées, à la faveur de son important corpus comique qui comprend près de treize ouvrages, la plupart pour la scène Viennoise, sans omettre sa Capricciosa Corretta, composée avec Da Ponte pour le public Londonien. Ses opéras serias restent à défricher: parfaitement écrits, ils recèlent de véritables trésors.

Approfondir
Lire notre critique de l’enregistrement discographique d’Ifigenia sous la direction de Juan Bautista Otero (K617)

Illustrations
Portrait de Vicente Martin y Soler (DR)
David, Brutus (Paris, musée du Louvre) (DR)
Girodet, Pietà (DR)

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