Piano et musique de chambre
« Vent d’est »
Saint-Germain-au-Mont-d’Or (69)
Du 4 au 6 juin 2010
C’est la 5e session de ce Festival-début-juin, et les Pianissimes se consacrent en 2010 à ce qu’a vu le vent d’est, qui porte aussi les harmoniques d’une Année France-Russie. En 6 concerts, Chopin, Liszt, Dvorak, Moussorgski, Scriabine, Rachmaninov ou Prokofiev, dans un parc sur les hauteurs de la rive droite de Saône et à quelques encablures septentrionales des ports et quais lyonnais…
Ce qu’a vu le vent d’ouest
C’est toujours important, quand on veut connaître un « pays » et tout simplement le temps qu’il fait ou va faire, de savoir d’où souffle le vent, et puis de comprendre ce que cela signifie. Tout un art du diagnostic, aux dires de certains, et un plaisir de l’interprétation des signes. Plaisir de peintre – ah les nuages, leur consistance, leur nature, leur vitesse, et les ombres qu’ils portent sur la terre ! -, plaisir de musicien aussi. Et certes le vent peut être intégré à l’écriture, il y a même des machines à vent dans l’instrumentarium des opéras ou des pièces symphoniques. Mais surtout « le vent » porte les sons, les modifie, il est un peu comme la lumière pour les lignes et les couleurs. Demandez donc à Debussy « ce qu’a vu le vent d’ouest », en titre postludique des Préludes ! Sans le même souffle d’occident, Fauré n’aurait sans doute pas écrit l’andante de son 2e Quatuor, où il relate longtemps après qu’en souvenir de son enfance ariégeoise il a « presque involontairement » inséré une sonnerie de cloches portée « le soir, et qui nous arrivait du village de Cadirac avec le vent d’ouest »… Petit fait vrai que le rédacteur de ces lignes fait remonter…presque involontairement à son souvenir, en constatant que la 5e édition des Pianisssimes de Saint-Germain-au-Mont-d’Or a été sous-titrée « Vent d’est ». L’allusion fauréenne arrivait… de l’ouest, mais ceux qui habitent ou connaissent la région lyonnaise sachant que les vents dominants et les plus forts viennent ici plutôt du sud ou du nord. Le vent d’est est réservé à des moments – surtout froids – où l’anticyclone sibérien nous envoie sa sécheresse bleu-glacée. Et comme on ne peut soupçonner les concepteurs pianissimes de chercher à savoir par un calcul prosaïque « d’où vient le vent » (de la renommée), il faut ici voir une intention thématique, ainsi qu’en affichent en toutes lettres ou métaphoriquement les « festivaleurs » les plus sérieux.
L’ordre règne à Varsovie
Et c’est tout de même bien du côté de l’anticyclone qu’il faut se tourner pour expliciter un « Vent d’est 2010 » : car cet an de grâce (à nuancer en regards sur l’actualité planétaire…) est aussi en France celui d’une « Année Russe », sinon plus généralement Slave. On peut y ajouter l’anniversaire (200e de naissance, quel mélomane pourrait désormais l’ignorer ?) d’un Frédéric Chopin (auto) exilé en 1830 de sa Pologne tant aimée vers la France, non d’ailleurs pour raison politique « directe » mais par souci d’une chance tentée à Paris vers un plus beau destin musicien. (Un an plus tard, les troupes russes allaient noyer dans le sang le soulèvement polonais, ce qui provoquerait la formule —légèrement retranscrite mais immortelle- du Comte-Ministre Horace Sebastiani devant les parlementaires français: « L’ordre règne à Varsovie », mais c’est une autre histoire de non-ingérence qui allait alourdir l’interminable contentieux russo-polonais)…Bref, ces trois jours festivaliers sont placés sous le signe de l’Europe Centrale et Orientale – tout spécialement Russe -, les programmes s’inscrivant pour une large part dans l’irrésistible mouvement du XIXe qui vit s’ancrer dans l’histoire musicale ce qu’on a ensuite appelé « les écoles nationales », certaines s’étant affirmées dans « le droit des peuples disposer d’eux-mêmes », contre les pouvoirs autoritaires et fédérateurs, tel celui de la double-monarchie austro-hongroise.
Milly et Nohant
Chopin, donc : des pièces de charme comme la Grande Polonaise Brillante ou l’Andante Spianato, et de l’essentiel comme une partie des Nocturnes –Chateaubriand parlait du « grand secret de la mélancolie que (la lune) aime à raconter aux grands chênes et au rivage antique de la mer », et on y pense à l’indéfinissable nostalgie du zal polonais, tellement plus troublant que le « spleen »anglais ou le « mal du siècle »…) – ou la 3e Sonate, altière et profonde, et même une Sonate piano-violoncelle, ces deux partitions écrites dans les étés de Nohant où la Reine-démocrate-et-écrivaine George Sand accueillit tant d ’artistes et de penseurs : « Il vous arrive par la fenêtre entrouverte sur le jardin des bouffées de la musique de Chopin , qui travaille de son côté: cela se mêle au chant des rossignols et à l’odeur des rosiers ». On y songera sous les grands arbres du Parc des Hautannes, en avant de la maison XVIIIe qui abrite les Pianissimes… On écoutera aussi, au gré des concerts, Liszt l’Européen qui chante le doux Lamartine des Harmonies Poétiques , et un vent du….nord-ouest portant les vers composés sur la terre du domaine de Milly : « Arbres dont le sommeil et les songes si beaux / Dans mon heureuse enfance habitaient les rameaux. », là aussi où résonne « La bénédiction de Dieu dans la solitude ».Sans oublier les charmes d’un Rêve d’amour alternant avec le cliquetis de la Danse Macabre ou les vertiges poétiques du 104e Sonnet de Pétrarque.
Avec la grande Ecole russe
En Europe du centre, et sous l’indicible lumière tchèque, Dvorak emmène entre Calme des Bois et noble architecture du Quintette piano-cordes (Op.81), l’une des plus belles inspirations du post-romantisme. Et puis en Russie profonde, la géniale Visite au Musée de Moussorgski célébrant dans la splendeur du deuil les Tableaux de son ami le peintre Hartmann, l’œuvre d’art mystique total de Scriabine (7e et 9e Sonates), les rudesses rythmiques de Prokofiev et son « pas d’acier » (6e Sonate), les « correspondances » de Rachmaninov dans ses Etudes-Tableaux op.39, ou le moins sévère paysage de Glazounov (Albumblatt). La haute tradition de la transmission du savoir russe est d’ailleurs portée par plusieurs des interprètes : les pianistes Svetlana Eganian, (formée au Tchaikovski de Moscou, dont elle est surdiplômée) et Ilya Rashkovsky, né à Irkoutsk, formé à Novossibirsk et encouragé par Rostropovitch : se rappelant avoir donné le 1er concert des Pianissimes, il a accepté d’être parrain de l’édition 2010. Le violoncelliste Marc Drobinsky a, lui, travaillé avec Rostropovitch, et installé en France depuis plus de 30 ans, il mène une impressionnante carrière internationale, jouant souvent à l’invitation de Martha Argerich. Mais c’est aussi en Russie que la pianiste française Brigitte Engerer partit suivre à 17 ans les cours de Stanislav Neuhaus et là-bas qu’elle obtint un Prix Tchaikovski, avant de se lancer dans un parcours de haute célébrité comme soliste, concertiste et chambriste. D’autres jeunes pianistes, déjà très reconnus, rejoignent le groupe estival : Nima Sarkechik , Olivier Moulin, Yolande Kousnetsov, Jean-Vianney Zenati, de même que le très médiatique David Guerrier, trompettiste-cornettiste ici, et corniste ailleurs….Quant au Quatuor Voce, formé en 2004 par des « CNSM » parisiens –Sarah Dayan, Cécile Roubin, Guillaume Becker, Julien Decoin – , il a été lauré à Crémone, Genève, Bordeaux et Vienne et Graz, et se consacre tout autant au répertoire classico-romantique qu’au contemporain (Ligeti, Bacri)…
Voici donc les Pianissimes (issu(es) de l’Association Dièse, implantée autour des Monts d’Or) réinstallé(es), comme en 2009 – et après une parenthèse sur rive gauche de la Saône, à Neuville, il suffisait de « passer le pont » mais on n’est peut-être vraiment bien qu’au village d’enfance ? – dans le beau domaine des Hautannes, sur les collines de Saint Germain. Là où ont été accueillis et écoutés dans la ferveur Philippe Cassard, François-Frédéric Guy, François Chaplin, Nicolas Stavy, Ilia Rachkovski ou Bruno Robilliard, et bien d’autres fort jeunes et prometteurs talents. Dièse dont l’activité de concerts s’accomplit sur toute l’année, et qui tient beaucoup à la dimension d’implication sociale que comporte son action : ateliers pédagogiques, spectacles gratuits, partenariat avec « Cultures du Cœur » et « Culture pour tous », ce qui « permet de mieux rompre avec le cérémonial vieillissant du concert classique traditionnel ». Ainsi sera préservé « l’aspect festif et convivial », qui s’accompagne aussi de contacts vivants avec des interprètes qui n’hésitent pas à présenter leur concert, après lequel (évitons en français l’ « after » à la mode-comm) des échanges informels ont lieu. Que l’Eole aux 4 points cardinaux inspire pianissimement cette nouvelle session !
Saint-Germain-au-Mont-d’Or (69). Pianissimes, 5e édition. Vent d’est, Pologne, Russie, Tchéquie, de Chopin à Prokofiev. 6 concerts : vendredi 4 juin, 14h et- 20h ; samedi 5, 17h et 20h ; dimanche 6, 16h et 19h. Information et réservation : T. 04 78 91 25 40 ; www.lespianissimes.org