Festival de La Chaise Dieu 2008
42e édition (43)
Du 20 au 31 août 2008
41 concerts entre XVIe et XXIe. Depuis 5 ans, l’un des plus anciens festivals français a quelque peu recentré et thématisé ses programmes : de « l’art sacré » initial, on s’est élargi en Renaissance, baroque (moderne) et musiques du XXe, tout en restant fidèle à l’esprit de romantisme qui incita les Cziffra fondateurs à choisir ce haut-lieu du gothique des plateaux de Massif Central, autour d’une abbatiale-symbole.
Danse Macabre et portait sociologique
Un festival doyen, certes (42e édition), mais qui a bien su continuer, se renouveler, se donner de nouveaux objectifs tout en respectant sa mission première, qui est d’art sacré. Le lieu, évidemment, commande tout, car l’abbatiale de La Chaise Dieu est un de ces sanctuaires de pèlerinage artistique qui ont toujours compté pour la simple notion de tourisme, et ce « majestueux vaisseau gothique au cœur des hauts plateaux du Livradois », choisi dès la naissance du concept de festival autour de Giorgy Cziffra, constitue un point de ralliement. Stylistiquement un peu paradoxal d’ailleurs, quand on réfléchit à l’histoire de l’art et à la culture historique : en art sacré, et même si les musiques de référence appartiennent à des temps baroques et ultérieurs, on attendrait – en bonne logique esthétique du « paysage » – un ensemble d’austérité plus grande encore, quelque sanctuaire clunisien (et, mieux encore, cistercien) de la haute époque romane, ou « à la rigueur » une splendeur comme Vézelay ou Conques. Question de solitude en Massif Central, mais la perfection du dépouillement n’est pas de ce monde ! On doit donc « se contenter » de l’abbatiale, de son original jubé, de sa Danse Macabre qui fait rêver sur « la mort qui saisit le vif » et entraîne sans pitié PDG, Rmistes, SDF, soumis à l’ISF et crypto-stock-options, cadres et techniciennes de surface, résidents de Neuilly et petits enfants d’Aubervilliers, bref vous et moi. D’ailleurs, pour ceux que lasserait ou laisserait de marbre la beauté trop ogivale de la Casa Dei, le Festival s’est aussi décentralisé en autres lieux, et en particulier dans les superbes (et austères) basilique ou église de Brioude et Chamalières, tout en continuant la « série XIVe et XVe» à St Pierre-des-Carmes et St Laurent du Puy, et à St Jean d’Ambert. Ces considérations inaugurales permettront aussi de poser plus largement la question : « Qu’est-ce qu’un Festivalier ? Que cherche-t-il ? Un accord et point sublime entre lieu (site, architecture) et programmes musicaux est-il important ( indispensable ? secondaire ? indifférent ? rayez les mentions inutiles) pour ce pèlerin la plupart du temps estival ? » Et pendant qu’on est en zone chiffrée, indiquons – d’après l’excellent dossier de presse Casa Dei, et selon une enquête interne sociologique – qu’en 12 jours et 47 concerts, 55 compositeurs et plus de 1000 artistes, les probables 25.000 spectateurs parmi lesquels vous vous trouverez viendront majoritairement de la région Auvergne (37% en 2007), puis de Rhône-Alpes (26%) et d’Ile-de-France (11%), -2 sur 5 habitant une petite agglomération -, que la programmation de qualité, les interprètes de renom et les grandes pages du répertoire devancent en motivations la découverte de nouveaux talents et la création. Et sans vraie surprise : en tête du hit, musique classique et romantique, puis musique sacrée et/ou baroque, et à la traîne – selon les « enquêtés », bien sûr -, musiques contemporaines et du XXe, mais aussi œuvres « anciennes ». Le Festivalier lembda (cela ne vaut pas que pour La Chaise-Dieu où il sent bien assis) serait-il plutôt conservateur de goûts ? Tiens, tiens…
Post-médiéval et messiaenique
L’esprit de contradiction nous tenant, commençons donc par le plus mal aimé tout en soulignant la détermination du nouveau Patron (depuis 5 ans) et de son équipe programmatique (Jean-Michel Mathé) à inscrire ou surligner des horizons…à l’horizon d’une saine pédagogie des publics. En haut-lieu médiéval, on commence la musique au XVIe : Palestrina et le plus rare Anerio at The Sixteen de Harry Christophers, Taverner et Tallis at the Tallis Scholars de Peter Philips. En bout de chronologie et donc près de nous, voici bien sûr – mais encore fallait-il songer à inscrire cela dans le « somptueux vaisseau » dès l’ouverture – l’hommage du Centenaire de naissance Messiaen, avec des grandes pages du compositeur, l’historique « Trois Petites .Liturgies » (Orchestre d’Auvergne, Arie van Beek) et la synthèse de Nature et de Création, via chants des montagnes et des oiseaux, Chronochromie ( Orch. Français des Jeunes, D.Russell Davies), et Un (ultime) Sourire, dédié trois ans avant sa mort par Messiaen à son cher Mozart…C’est un élève de Messiaen, Ton de Leeuw, qui offre son Heure du Jour, tandis que Pascal Dusapin – qui fut aussi élève du Maïtre des Oiseaux – renoue avec la mystique rhénane de Maître Eckhardt (tiens, voilà le vrai ancrage XIIIe-XIVe du Festival !) dans son Granum Sinapis (Les Eléments, Joël Suhubiette). Les compositeurs ukrainiens Evgueni Stankovitch et Mikhail Chouh, l’Irlandais John Kinsella répondent à l’aimé « mystique minimaliste et néo-médiéval Arvo Pärt, et dans le même courant à l’Anglais John Tavener. Le jeune Florent Gauthier fera écouter sa création Enfance d’un Jour, tandis que le bel ensemble Les Cris de Paris citera Wolfgang Rihm, et Peter Wispelwey (violoncelle et direction) Lutoslawski.
XVII et XVIII
Pour le reste et essentiel des programmes, le XVIIe anglais est à l’honneur : Tallis et Taverner, Gibbons, Blow et en couronnement, Purcell, sont joués par les Tallis Scholars. La Chaise-Dieu s’inscrit aussi dans la thématique…des thèmes, en jouant sur le titre d‘un des ensembles invités, le superbe Anima Eterna du claviériste hollandais Jos van Immerseel. Sous le « regard » de la Danse Macabre, on sera donc invité à méditer « de morte » : l’hyper-romantique Danse du même titre lisztien (avec la 4e de Tchaïkovski, autre présence du Destin), et surtout des Requiem. Celui de Mozart, entre commande prémonitoire et altérité spirituelle maçonnique de la Flûte (Cappella Amsterdam, Daniel Reuss), celui si « babylonien, ninivite » (et génial) de Berlioz (l’un des orchestres et chœurs fétiches de la Chaise-Dieu, Philharmonie d’Ukraine, Mykola Dyadyura), et le discret et lumineux témoignage de Bruckner, en écho d’un Mozart moins connu, les Vêpres d’un Confesseur (Toulouse, Les Eléments, J.Suhubiette).Et en remontant la chonologie, les Messes de(s) Morts du baroque français XVIIIe (qui n’est peut-être qu’un déguisement du classicisme à tendance mystique), de Jean Gilles (disparu à l’âge de Purcell et presque de Mozart) et d’André Campra ( Les Passions de J.M.Andrieu, L’Hostel-Dieu de F.E.Comte). Tant qu’on est au XVIIIe, « forcément sublime », voici l’architecture universelle des sons, l’immense vaisseau œcuménique de la Messe en si de J.S.Bach : Michel Corboz et son Omni-Lausanne reviennent onze ans après pour l’inscrire en une nouvelle lumière. Dans le miroir du génie, la Passion selon Saint-Jean, par la Chapelle Rhénane de Benoît Haller. Mais aussi deux cantates du Père de la Musique (BWV 21 et 118) et un Motet du Fils Prodigue, C.P.E, sans oublier une cantate du Disciple Johann Philip Kirnberger (en situation archiecturale à St Julien de Brioude par le Pygmalion de Raphaël Pichon). Et en remontant d’un cran, à la fin française du XVIIe, les Folies de Patrick Cohen-Akenine fait renaître – en coopération avec l’inventivité des luthiers – la sonorité des 24 Violons du Roy (dit Soleil)…
Ludwig Van, Johannes, Gustav et les autres
On ne sera pas surpris que sans anniversaire décelable, 2008 rouvre ses portes à Beethoven : en intégrale, les 5 concertos pour piano, dans la « jeune » version de la Camerata Ireland (chef et soliste Barry Douglas), mais aussi la Pastorale (6e) et l’Apothéose de la Danse (7e) par la Chambre Philharmonique d’Emmanuel Krivine, et le plus rare Oratorio (de jeunesse) du Christ au Mont des Oliviers. Version retrouvée du 4e concerto pour pianoforte et quintette à cordes, et Triodit des Esprits par C.Huvé, P.Cohren, F.Poly et des stagiaires de l’Académie : occasion de saluer cet élément de pédagogie fédératrice qui travaille sur le terrain de Haute-Loire…Schubert en art sacré est présent par sa 5e Messe, et en symphonique, par sa 4e dite Tragique et influencée par la (trop ? ) grande ombre de Beethoven (Cappella Amsterdam). Plus loin, et toujours dans Beethoven qui complexe les successeurs, le jeune Brahms passant enfin à l’action pour sa 1ère Symphonie (Paul Mac Creesh et Gabrieli Consort), sans oublier l’antérieure et rare Missa Sacra de Schumann, accompagnée de Psaumes de Mendelssohn (Les Cris de Paris). Hors champ habituel car en version de concert et en surtitrage, l’Orphée et Eurydice du Chevalier Gluck (Les Eléments de Jérémie Rohrer). Et pour renouer avec le XXe, la fin post-romantique, Dvorak ( la jamais contournée 9e , Nouveau Monde), la 4e de Mahler (Orchestre St Etienne, L.Campellone) en écho de Wagner, la 5e de Sibelius et le 1er concerto de Prokofiev (violon de A.Brussilovsky et la Philharmonie d’Ukraine), et encore un autre concerto de violon, inattendue inspiration de l’émigré viennois (aux Etats-Unis) E.W. Korngold (N.Dautricourt, Orchestre Français des Jeunes). Des « splendeurs orthodoxes » revues par Rachmaninov, et même du baroque pour noces transylvaniennes de jadis et du peuple (XVIII-21 de J.C.Frisch), toujours plus loin des plateaux vellaves…
Festival de La Chaise Dieu (43). Du 20 au 31 août 2008. 41 concerts, conférences, animations. Information et réservations : T. 04 71 000 116 ; www.chaise-dieu.com