Le jeune virtuose originaire de la ville rose qui a tout juste 30 ans est aujourd’hui mondialement fêté. Tant comme soliste avec orchestre, chambriste, que récitaliste. Son répertoire est immense, mais Frantz Liszt est peut-être son compositeur d’élection, même si il serait bien réducteur de limiter un tel artiste à un seul compositeur tant il excelle en tout. Son Premier CD en 2005 était consacré aux études d’exécution transcendante, disque fulgurant mais quelle évolution depuis ! Ce soir pour fêter le bicentenaire de la naissance du plus grand virtuose romantique, l’audace de Bertrand Chamayou est grande. Donner les trois années de pèlerinage de Liszt en une soirée tient de la démesure. Aussi l’horaire du concert a-t-il du être avancé. Trois heures de musique, de cette intensité tant pour le pianiste que les auditeurs est une gageure ! Ce concert a été rapidement complet, ce qui a conduit Catherine d’Argoubet à programmer in extremis un autre concert à l’identique le 18 septembre !
Ouverture somptueuse aux Jacobins
Dépassant le seul exploit technique Bertand Chamayou a offert une interprétation habitée, intelligente et infiniment variée de cette somme, à la fois monument pianistique, musical et humain. Quand on relit ce que le compositeur a écrit dans l’avant propos du recueil de son premier livre on peut dire que l’esprit de Liszt a véritablement habité notre virtuose. « La musique instrumentale tend à devenir un langage poétique plus apte peut être que la poésie elle-même à exprimer tout ce qui en nous franchit les horizons accoutumés, tout ce qui échappe à l’analyse, tout ce qui s’attache à des profondeurs inaccessibles, désirs impérissables, pressentiment infinis. C’est dans cette conviction que j’ai entrepris l’œuvre publiée ici, m’adressant à quelque uns plutôt qu’à la foule, ambitionnant non le succès mais le suffrage du petit nombre de ceux qui conçoivent pour l’art une destination autre que celle d’amuser les heures vaines, et lui demande autre chose que la futile distraction d’un amusement passager » Cet extrait du beau texte de la main de Liszt permet de comprendre la hauteur de sa recherche d’absolu et la grandeur de son cycle qu’il a composé tout au long de sa vie jusqu’au seuil de la mort. Partitions de l’absolu certes, surtout lorsque qu’en une belle soirée d’été, dans un lieu aussi beau qu’acoustiquement somptueux il est possible de mesurer sa chance de bénéficier d’une telle interprétation. Comprendre à ce point le parcours humain, musical autant que spirituel d’un artiste de la trempe de Liszt n’est pas chose évidente. Bertand Chamayou a su le réaliser et tenir son auditoire en haleine par un jeu d’une inspiration constamment au sommet. Liszt amoureux de la beauté sous toutes ses formes est là. Vivant l’amour de femmes sublimes capable de s’émouvoir à la beauté poétique de la nature, de l’architecture, de textes et d’œuvres d’art. Dès les premiers accords plantés par le jeune pianiste, l’ampleur de la sonorité étonne. Une telle puissance, une telle énergie va-t-elle durer cette longue soirée ? Dans la Chapelle de Guillaume Tell les nuances sont vertigineuses, les couleurs saturées et l’ampleur du phrasé coupe le souffle. Pourtant pas un moment le pianiste ne relâchera cette tension installée d’emblée. Toute la poésie fuse sous ses doigts et le jeu est parfaitement assumé tant au niveau d’une virtuosité transcendée que d’une poésie faite musique. La perfection alliée à la puissance assumée fait du jeu de Bertrand Chamayou un événement cosmique. Le jeune homme presque pâle qui traverse l’allée de la salle capitulaire devient un démiurge en ne faisant qu’un avec le piano une fois sur l’estrade. La magie du lieu a également fonctionné à merveilles dans sa sobre beauté car n’oublions pas que Liszt a été ordonné Abbé et que dans la troisième année de pèlerinage la mystique de la religion a sa place. L’évolution du jeu pianistique de Liszt, qui a certainement été le virtuose le plus fêté de son temps, allant vers un dépouillement si émouvant et des audaces harmoniques annonciatrices de l’avenir est rendu merveilleusement par le pianiste, génial médium. Les expérimentations sur les sonorités graves extrêmes du piano du vieux maître sont assumées avec vigueur par le jeune pianiste. Il rend perceptible le parcours si riche du compositeur, homme si doué à la longue vie si pleine.
Parler de piano semble étriqué dans une soirée de si haute tenue et pourtant il y aurait tant de choses à dire. Ce qui a la plus compté pour nous est ce torrent de musique faite poésie et cette recherche d’absolu dans la beauté que l’art de Bertrand Chamayou a offert à son public qui lui a fait une Standing Ovation. Signalons toutefois que des places se sont libérées après chacun des deux entractes. Liszt le savait, son œuvre a une haute ambition et ne peut être simple divertissement.
Un mot sur l’instrument admirablement préparé qui sonne parfaitement dans toutes les nuances extrêmes du pianiste. Piano aux Jacobins débute en 2011 sur un sommet rarement atteint. Un artiste Toulousain de rang international y a incarné pas moins que le meilleur de Liszt lui-même. Sachant que Bertand Chamayou va donner ce programme de nombreuses fois, dans le monde entier surtout si vous aimez la musique n’hésitez pas à faire un des plus beaux voyage qui soit !
Toulouse. Cloître des Jacobins. 2 septembre 2011. Franz Liszt (1811-1886) : Années de Pèlerinage, intégrale des trois années. Bertrand Chamayou, piano.