COMPTE-RENDU, CRITIQUE, opĂ©ra. TOURCOING, le 7 fĂ©v 2019. MOZART : La ClĂ©mence de Titus. Duffau, Tilquin, Boucher, âŠOlivier, Schiaretti. Tourcoing, fabrique lyrique unique. Presque un aprĂšs la disparition de son fondateur Jean-Claude Malgoire (le 14 avril 2018), LâAtelier Lyrique poursuit trĂšs haut cette exigence salvatrice et magicienne qui rĂ©alise lâĂ©quation tĂ©nue du chant, de la musique, et du théùtre. DĂ©tenteur dâun secret fĂ©dĂ©rateur, Jean-Claude Malgoire comme nul autre, savait choisir les Ćuvres, les interprĂštes, surtout ses complices Ă la mise en scĂšne : une intelligence globalisante unique qui a permis et permet encore aujourdâhui, de proposer des lectures toujours justes et fines des oeuvres du rĂ©pertoire ou moins connues. Une vision et une façon de travailler qui font dĂ©sormais la rĂ©putation de la ville de Tourcoing.
Câest assurĂ©ment le cas de cette nouvelle production du dernier seria de Wolfgang, La ClĂ©mence de Titus (créée Ă Prague en septembre 1791). InspirĂ© de Racine (moins du sujet que de sa vision intimiste et psychologique) et dâabord du livret de MĂ©tastase, la partition tĂ©moigne du dernier Mozart, lequel avec son librettiste Mazzola, tout en rĂ©pondant Ă une commande de circonstance (pour le couronnement de lâEmpereur Leopold II), propose sa version du genre seria : Ă©purĂ©e, franche, directe. En deux parties, lâaction ne faiblit pas et musicalement produit des enchaĂźnements fabuleux qui renforcent ce flux orchestral inĂ©dit, dâun souffle expressif nouveau – dĂ©jĂ dĂ©veloppĂ© dans son seria antĂ©rieur Idomeneo (nâĂ©coutez que la succesion des airs finaux du I, depuis le fameux « Parto » de Sesto, au trio puis Ă lâincendie de Rome et au chĆur funĂšbre qui pleure la mort supposĂ©e de lâEmpereurâŠ.). Tout cela est dâun sang neuf, visionnaire mĂȘme.
A Tourcoing, poursuite dâune excellence lyrique
TITUS ou lâopĂ©ra du cĆur
Ici, un vrai travail dâĂ©quipe Ă©claire dans lâopĂ©ra politique de Mozart, sa force Ă©motionnelle qui distingue les personnalitĂ©s clĂ©s de Titus et Vitellia⊠Le chef Emmanuel Olivier qui a travaillĂ© avec Jean-Claude Malgoire, prolonge lâesprit de troupe et cette implication collective qui continue de distinguer Tourcoing des autres foyers de crĂ©ation lyrique. La direction est vive, imaginative, au diapason dâune partition affĂ»tĂ©e dont il sait souligner la force dramatique (malgrĂ© les idĂ©es fausses distillĂ©es contre elle). Le brio et la sensualitĂ© sombre des airs avec la clarinette dâamour (ou clarinette de basset), pour lâair prĂ©citĂ© de Sesto : « Parto » au I ; ou avec le cor de basset pour lâair capital de Vitellia « Non piĂč di fiori »), lâacuitĂ© des timbres instrumentaux, lâallant des cordes (dĂšs lâouverture), et chaque final (avec chĆur) ⊠au dessin Ă la fois claire et puisant, accrĂ©ditent une direction que nâaurait pas reniĂ© Malgoire lui-mĂȘme.
Dâautant que Titus Ă©tait son opĂ©ra prĂ©fĂ©rĂ©. On peut dĂ©duire que le choix du maestro dĂ©funt quant au metteur en scĂšne, Ă©tait lui aussi capital. La prĂ©sence de Christian Schiaretti est Ă©vidente ; les deux hommes ont travaillĂ© Ă Tourcoing pour 12 productions, dont un somptueux PellĂ©as créé en 2015, repris Ă Tourcoing en 2018 ; cette ClĂ©mence aurait du ĂȘtre leur 13Ăš. Sây cristallise le vĆu esthĂ©tique de Malgoire : la fusion parfaite du théùtre et de la musique ; lâun et lâautre ne tirant jamais la couverture Ă soi, surtout pas au dĂ©triment de lâautre. De sorte que sur scĂšne, se dĂ©ploie une action lyrique produite comme une piĂšce de théùtre (Ă©conomie et lisibilitĂ© discrĂšte des dĂ©cors / peut-ĂȘtre davantage de lumiĂšre parfois aurait Ă©tĂ© profitable, en particulier pour Ă©clairer le relief mordant et essentiel ici des rĂ©citatifs, parmi les mieux Ă©crits des opĂ©ras mozartiens ; quâils aient Ă©tĂ© pour partie Ă©crits par son Ă©lĂšve SĂŒsmayerâŠ). Quâimporte lâĆil du compositeur a veillĂ© Ă la cohĂ©rence dramatique, Ă la force de lâarchitecture globale, Ă la violence des passions qui sâaffrontent, rĂ©vĂ©lant comme toujours chez Mozart, la vĂ©ritĂ© des Ăąmes, et la sincĂ©ritĂ© des cĆurs.
Conçue comme un théùtre simplifiĂ©, presque symbolique (Le serment des Horaces de David nâest pas loin), la scĂšne lyrique prend souvent des airs de bas-relief antique dont le diamant synthĂ©tique du texte, lâintensitĂ© Ă©motionnelle des airs accrochent lâĂ©coute par leur justesse et leur vĂ©ritĂ©.
LES CHANTEURS⊠Piliers de la distribution, trois voix se distinguent nettement. La vaillance du tĂ©nor JĂ©rĂ©my Duffau dans le rĂŽle-titre fait mouche. On lui reprocherait certaines notes mal nĂ©gociĂ©es ou des aigus parfois tendus⊠nâempĂȘche, la franchise de lâĂ©mission et lâintonation globale crĂ©dibilisent son incarnation, une rĂ©alisation solide dâun empereur tiraillĂ© entre devoir et affection (pour Sesto, voire davantage), en proie Ă lâinflexibilitĂ© mais au final, portĂ© par cet idĂ©al des LumiĂšres qui en fait un Prince vertueux et⊠clĂ©ment. Sâil sait pardonner Ă ceux qui ont intriguĂ© pour sa mort, Sesto et Vitellia, Titus sait aussi les tenir fermement, les obligeant Ă un vĆu de loyautĂ© sâils veulent dĂ©sormais conserver la vie. Cette tension politique est bien prĂ©sente, idĂ©alement incarnĂ©e par la posture du tĂ©nor.
 Marc Boucher (Publius)
Double discret et permanent, Ă la silhouette dâacteur trĂšs aboutie, Ă la fois souple et investie, le Publio du baryton Marc Boucher soigne les nuances de son personnage dont il fait le garant coĂ»te que coĂ»te de lâautoritĂ© impĂ©riale. En lui s’affirme malgrĂ© les avatars et pĂ©ripĂ©ties de l’action, une conscience politique et morale imperturbable, de surcroĂźt dotĂ©e surtout dâune clairvoyance exceptionnelle : câest lui qui rĂ©vĂšle au dĂ©tour dâune tirade (II) que la relation entre Titus et Sesto serait de nature amoureuse⊠Le chanteur, ailleurs trĂšs fin diseur (il poursuit lâenregistrement de mĂ©lodies françaises, travail Ă long terme et dâun apport majeur, hier dĂ©diĂ© Ă FaurĂ©, prochainement Ă Massenet). La couleur du timbre est superbe (il fut cet Ă©tĂ© Ă QuĂ©bec un Golaud embrasĂ©) et par son seul air (au II dĂ©cidĂ©ment), le baryton canadien, ciselant le mĂ©tal argentĂ© de ses rĂ©citatifs, apporte une Ă©paisseur remarquable au rĂŽle qui assoit aussi harmoniquement les ensembles auxquels il participe.
Marc Boucher (Publio) et Jérémy Duffau (Titus)
Enfin, torche vivante et palpitante qui fait de Titus un opĂ©ra du cĆur avant dâĂȘtre un manifeste politique, la soprano suisse ClĂ©mence Tilquin illumine les planches par lâintelligence captivante de sa Vitellia : aussi haineuse, infecte, manipulatrice au I (envoĂ»tant Sesto jusquâĂ en faire lâassassin de lâEmpereur), que ravagĂ©e par la culpabilitĂ© de son intrigue criminelle au II, – hyĂšne dĂ©truite, vĂ©ritablement terrassĂ©e par une triple prise de conscience : celle du meurtre quâelle a pilotĂ© (contre Titus), celle de la trahison Ă Sesto (exploitant lâamour de ce dernier dont elle nâavait pas su mesurer jusque lĂ Â la puissance ni la sincĂ©ritĂ©), enfin celle de sa propre lĂąchetĂ© qui lui inspirent alors dans son air essentiel « Non piĂč di fiori », le sentiment de sa mort. Il est vrai que le jeu tout en simplicitĂ© et profondeur onirique du clarinettiste Lorenzo Coppola (jouant alors du cor de basset Ă lâexotisme lugubre et glaçant) renforce lâimpact ahurissant de cet air qui bien quâil ait Ă©tĂ© recyclĂ© dans lâopĂ©ra, fonctionne Ă merveille, faisant de Vitellia, le personnage clĂ© de la partition par cette sublime mĂ©tamorphose (lâintrigante est saisie par une humanitĂ© inconnue qui la dĂ©passe soudainement). Une passionnante prise de rĂŽle qui confirme les vertus dramatiques et vocales de la jeune soprano, dĂ©jĂ remarquĂ©e par CLASSIQUENEWS pour son interprĂ©tation du rĂŽle de Colombe dans Ascanio de Saint-SaĂ«ns, opĂ©ra rĂ©vĂ©lĂ© en 2018 par le chef Guillaume Tourniaire (CLIC de classiquenews dâoctobre 2018).
Amaya Dominguez (Sesto) et Clémence Tilquin (Vitellia)
Théùtrale et intimiste, dâune Ă©pure et lisibilitĂ© affĂ»tĂ©e, bien dans lâesprit de lâĂ©criture mozartienne, cette nouvelle production de La ClĂ©mence de Titus prolonge la leçon de Jean-Claude Malgoire. La continuitĂ© est donc assurĂ©e Ă Tourcoing. Une « aventure » qui se poursuit et comptera un nouveau volet passionnant du 17 au 21 mai prochains avec la burletta dâune ineffable finesse, LâOccasione fa il ladro de Rossini, autre production choisie par Jean-Claude Malgoire, et dirigĂ©e Ă©galement par Emmanuel Olivier (avec les mĂȘmes JĂ©rĂ©my Duffau et ClĂ©mence Tilquin)⊠A suivre.
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COMPTE-RENDU, CRITIQUE, opĂ©ra. TOURCOING, le 7 fĂ©v 2019. MOZART : La ClĂ©mence de Titus. Duffau, Tilquin, Boucher, âŠOlivier, Schiaretti.
Wolfgang Amadeus Mozart : La Clémence de Titus (1791)
OpĂ©ra en deux actes – Livret de Caterino Mazzola d’aprĂšs Pietro Metastasio
Tito: Jérémy Duffau, ténor
Vitellia: Clémence Tilquin, soprano
Sesto: Amaya Dominguez, mezzo-soprano
Annio: Ambroisine Bré, soprano
Servilia: Juliette Raffin Gay, soprano
Publio: Marc Boucher, baryton-basse
ChĆur de l’Atelier Lyrique de Tourcoing
La Grande Ăcurie et la Chambre du Roy
Direction musicale : Emmanuel Olivier
Mise en scĂšne : Christian Schiaretti
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Approfondir
LIRE nos dossiers dédiés au dernier seria de Mozart La Clémence de Titus de Mozart
http://www.classiquenews.com/tag/la-clemence-de-titus/