CRITIQUE, CONCERTS FESTIVALS 2022. Musique et MĂ©moire (29Ăš Ă©dition), ACTES I et II, les 16,17 et 18 juillet 2022. A NOCTE TEMPORIS, EMMANUEL ARAKELIAN – Fleuron des festivals d’Ă©tĂ© en Franche-ComtĂ©, MUSIQUE & MĂMOIRE poursuit son compagnonnage artistique en rĂ©servant une rĂ©sidence de 3 annĂ©es aux ensembles retenus. Cette annĂ©e, c’est la 2Ăšme session pour lâensemble sur instruments historiques, « a nocte temporis », collectif fondĂ© /dirigĂ© par le tĂ©nor lyrique Reinoud van Mechelen en complicitĂ© Ă©troite avec la flĂ»tiste Anna Besson [qui est aussi sa compagne hors scĂšne]. Temps forts de leur travail 2022 dans les Vosges du Sud, deux programmes qui soulignent ce qu’un chanteur d’opĂ©ra peut apporter Ă l’expĂ©rience du concert baroque : lâaudace dramatique et scĂ©nique, un choix de piĂšces originales permis par le goĂ»t du chanteur.
Anna Besson (flĂ»te) et Reinoud van Mechelen (chant) ressuscitent l’art lyrique du tĂ©nor lĂ©gendaire, favori de Rameau, Pierre de JĂ©liote (DR)
Samedi 16 juillet 2022, LUXEUIL-LES-BAINS, Basilique Saint-Pierre et Saint-Paul. D’abord Ă©vocation du soliste favori de Rameau, Pierre de JĂ©liote, haute contre d’exception capable d’une agilitĂ© fulgurante pour les rĂŽles taillĂ©s pour lui par l’illustre Dijonais, PlatĂ©e en tĂȘte. Le tĂ©nor a la puissance, de somptueux aigus et une attention au texte, particuliĂšrement convaincants. Son expĂ©rience de la scĂšne et des productions d’opĂ©ras lui assure un mĂ©tier solide, une prĂ©sence naturelle, qui transmet aux instrumentistes ce goĂ»t de lâincarnation, qui assume aussi crĂąnement la direction de l’orchestre : le geste qui a mesurĂ© (et souvent Ă©prouvĂ© sur les planches), les enjeux dramatiques de chaque situation ainsi incarnĂ©e, inspire et pilote d’autant mieux, chaque musicien ; le temps de ce concert, lâĂ©glise de Luxeuil sâest converti en temple lyrique, de quoi transfĂ©rer la fiĂšvre de la scĂšne sur les planches vosgiennes. Le parcours retrace les temps forts de la carriĂšre de JĂ©liote Ă lâOpĂ©ra : dâabord, au commencement, Suivant de lâAmour dans Hippolyte (1733) ; puis les premiers rĂŽles (« Lieux funeste » de Dardanus ; surtout PlatĂ©e, dâun dĂ©lire comique inĂ©narrable dont le « Que ce SĂ©jour est agrĂ©able » contraste Ă propos avec la prĂ©cĂ©dent DardanusâŠ), Castor (« SĂ©jour de lâĂ©ternelle paix »), sans omettre, le sublime air dâAbaris des BorĂ©ades (« Charmes trop dangereux / Que lâamour embellit la vie »)⊠La valeur du cycle dâextraits lyriques est de complĂ©ter ce florilĂšge Rameau, de sĂ©quences complĂ©mentaires, tels Daphnis et Alcimadure de Mondonville (air de Daphnis, chantĂ© en languedocien), ou le trĂšs sĂ©duisant air dâIsmĂ©nias « Pourquoi cruel amour tâopposer Ă ma gloire » dâIsmĂše et IsmĂ©nias de JB de La Borde⊠Le curieux ou lâamateur pourra revivre le contenu de ce concert vosgien, grĂące au cd dĂ©jĂ paru chez Alpha (« JĂ©liote, Haute-contre de Rameau »). On ne saurait disposer dâun hommage mieux conçu.
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Dimanche 17 juillet 2022, CORRAVILLERS, Ă©glise Saint-Jean Baptiste. Un mĂȘme engagement, gĂ©nĂ©reux et prĂ©cis dans le choix des airs, s’affirme dans le programme constituĂ© dâextraits de cantates de JS Bach, donnĂ© le lendemain Ă Corravillers. Sens du texte et articulation lĂ encore construisent et jalonnent l’action fervente du croyant, qu’il soit submergĂ© par lâinquiĂ©tude (« Erbarme dich! » / BWV 55) ou caressĂ©, bienheureux, par la grĂące de Dieu ; l’air de Simeon (« Ich habe genug » / BWV 82) totalise et exacerbe le sentiment de plĂ©nitude comme d’accomplissement et de contentement dans le parcours spirituel. Le soliste a manifestement choisi chaque air avec un goĂ»t sĂ»r et une belle intelligence dans leurs enchaĂźnements. L’arche tendue est jalonnĂ©e de stations vocales les unes plus ardentes et intenses que les autres avec toujours la facilitĂ© des aigus, la projection naturelle sur toute la tessiture qui transporte. Le programme est d’autant mieux connu qu’il a dĂ©jĂ Ă©tĂ© enregistrĂ© et publiĂ© lui aussi, soulignant ce geste lyrique et cette sĂ»retĂ© vocale qui singularisent aujourd’hui le tĂ©nor flamand. A ses cĂŽtĂ©s, la flĂ»te ciselĂ©e dâAnna Besson, comme le hautbois rayonnant de BenoĂźt Laurent apportent leur couleur et leur virtuositĂ©, tout en complicitĂ©.
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Emmanuel Arakelian rĂ©ussit son premier concert pour Musique & MĂ©moire dans un programme “Grand SiĂšcle” qui fait danser l’orgue de la Basilique de Luxeuil-les-Bains
Lundi 18 juillet 2022, LUXEUIL-LES-BAINS, Basilique Saint-Pierre et Saint-Paul. Chaque Ă©dition de Musique & MĂ©moire comprend un ou plusieurs concerts qui mettent en scĂšne, lâorgue ; Ă lâheure oĂč il devient de plus en plus rare dâĂ©couter les piĂšces du rĂ©pertoire, comme de mesurer les ressources expressives de tel clavier historique, la programmation conçue par Fabrice Creux sait rappeler nos fondamentaux. Le concert qui fait rĂ©sonner (et chanter) lâorgue XVIIĂš de la Basilique Saint-Pierre et Saint-Paul, son buffet et le cul de lampe, rĂ©cemment restaurĂ©s, relĂšve de cette action profitable.
Câest en dĂ©finitive un rĂ©cital attendu, permettant de goĂ»ter dans sa plĂ©nitude plurielle, la palette sonore et expressive du grand orgue de Luxeuil-les-Bains, perles baroques du territoire. En particulier sous les doigts, plus quâagiles du jeune organiste Emmanuel Arakelian, soucieux de faire chanter et mĂȘme danser le sublime orgue historique basilical.
Pendant le concert, lâauditeur a tout loisir dâanalyser les maints dĂ©tails exceptionnels de la sculpture qui orne son buffet (datĂ© entre 1615 et 1685, portĂ© par un atlas dans sa partie basse, et par 4 atlantes), tout autour des 3 mĂ©daillons traitĂ©s en bas relief et reprĂ©sentant, la remise des clĂ©s Ă Saint-Pierre, mais aussi CĂ©cile, patronne des musiciens, une CĂ©cile organiste ; enfin David Harpiste.
Dans un programme complet cĂ©lĂ©brant les auteurs du XVIIĂšme, de TITELOUZE Ă de GRIGNY, sans omettre GUILAIN qui serait probablement Marchand lui-mĂȘme, l’organiste exploite avec un sens trĂšs personnel des Ă©tagements, de l’architecture, des couleurs et dans des registrations personnelles, les immenses possibilitĂ©s de l’instrument restaurĂ© par Jean Deloye, prĂ©sent parmi lâauditoire.
Le jeu fait valoir le caractĂšre opĂ©ratique et dansant des piĂšces françaises avec chez GRIGNY, ce sens de la majestĂ© sonore idĂ©alement « Grand SiĂšcle ». Pour clore ce rĂ©cital qui rappelle combien Musique et MĂ©moire a raison de programmer le rĂ©pertoire baroque d’orgue, Emmanuel Arakelian, qui a Ă©tĂ© rĂ©cemment nommĂ© (2019) organiste titulaire (par quart) de lâorgue historique de la Basilique Saint Maximin La Sainte-Baume, offre une transcription saisissante de la Chaconne des Indes Galantes, belle Ă©vocation de l’incontournable Rameau, gĂ©nie français des LumiĂšres [lui qui fut organiste sans laisser de partitions autographes pour l'instrument], dont l’Ă©criture Ă la fois claire et vive, est une apothĂ©ose idĂ©ale, inventive et lumineuse, un feu dâartifice qui rĂ©veille et Ă©lectrise au delĂ des attentes, l’orgue impressionnant de Luxeuil.
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CRITIQUE, CONCERTS FESTIVALS 2022. Musique et MĂMOIRE, ACTES I et II, les 16,17 et 18 juillet 2022. A NOCTE TEMPORIS, EMMANUEL ARAKELIAN.