CD, Ă©vĂ©nement, annonce. RACHMANINOFF : Symph n°1 – Dances symphoniques (NĂ©zet-SĂ©guin, Phladelphia Orch – 1 cd DG Deutsche Grammophon). Suite de la collaboration du canadien Yannick NĂ©zet-SĂ©guin avec lâOrchestre de Philadelphia (et inspirĂ©s par la lyre flamboyante amĂšre de Rachma, dĂ©jĂ abordĂ© avec la complicitĂ© du pianiste non moins convaincant Daniil Trifonov : Concertos pour piano 1 & 3 dans un programme intitulĂ© « Destination », distinguĂ© par le CLIC de CLASSIQUENEWS). Voici un autre programme passionnant car lâintervalle entre la symphonie n°1 et les Danses Symphoniques est rĂ©vĂ©lateur de lâĂ©volution dâun tempĂ©rament symphonique de premier valeur. La n°1 opus 13 (créée en mars 1897 sous la direction dâun trop faible Glazounov) est un superbe coup dâessai, riche en Ă©pisodes quasi lyriques et dramatiques, dâune fiĂ©vreuse tension, entre ĂąpretĂ© dĂ©pressive et formidables Ă©lans Ă©perdus qui se retrouvent en Ă©chos familiers dans les Dances de janvier ⊠1941 – soit 40 annĂ©es qui tout en marquant la maturation dâun gĂ©nie post romantiques, douĂ© dâune fougue irrĂ©pressible, soulignent aussi les caractĂšres dâun gĂ©nie constant : tension perpĂ©tuelle, impuissance mĂ©lancolique, violence voire chant dĂ©pressif et gravitĂ© (en particulier dans la rĂ©solution du dernier mouvement de la n°1, dont le finale rĂ©sonne comme un dĂ©chirement amer, lâaveu dâun coeur dĂ©muni face Ă lâadversitĂ© : lâhĂ©ritage du dernier Tchaikovsky ? Certainement). Les 3 mouvements des Dances Symphoniques expriment lâivresse intacte dâun Rachmaninov exaltĂ©, Ă©ruptif, hypersensible et par accents, tendu voire dĂ©pressif. De la lumiĂšre Ă lâombre la plus inquiĂšte voire angoissante, la direction de Yannick NĂ©zet-SĂ©guin se montre trĂšs soucieuse des Ă©quilibres sonores (la valse centrale et ses Ă©clairs crĂ©pusculaires
et enivrants), du relief de chaque pupitre, fusionnant couleurs et acuitĂ©. La prise de son est en outre valorisante, permettant de suivre le travail du chef dans le contraste des sĂ©quences et leur souffle unitaire. Passionnant. Chef lyrique dĂ©jĂ applaudi au Met, NĂ©zet-SĂ©guin dĂ©ploie sa fougue symphonique, sa sensibilitĂ© dĂ©taillĂ©e, sa puissance dramatique dans un Rachma ainsi revivifiĂ© et mĂȘme repoĂ©tisĂ©. Grande critique Ă venir dans le mag cd de classiquenews.com.
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CD Ă©vĂ©nement, critique. DANIIL TRIFONOV, piano – Destination Rachmaninov : ARRIVAL – Concertos 1 et 3. PHILADELPHIA orchestra, Yannick SĂ©guet-NĂ©zin, direction (2 cd DG Deutsche Grammophon)
CD Ă©vĂ©nement, critique. DANIIL TRIFONOV, piano – Destination Rachmaninov : ARRIVAL – Concertos 1 et 3. PHILADELPHIA orchestra, Yannick SĂ©guet-NĂ©zin, direction (2 cd DG Deutsche Grammophon). Voici donc un excellent double cd qui tĂ©moigne de la maturitĂ© et de lâĂ©tonnante musicalitĂ© du jeune pianiste russe Daniil Trifonov. En achevant son pĂ©riple Rachmaninov, relayĂ© par un abondant dispositif vidĂ©o, quasi cinĂ©matographique (DESTINATION RACHMANINOV), le pianiste captive littĂ©ralement par une digitalitĂ© facĂ©tieuse et virtuose, pour nous supĂ©rieure Ă la mĂ©canique Ă©lectrique des asiatiques (Wang ou Lang Lang) : le Russe est douĂ© surtout dâune profondeur intĂ©rieure, – absent chez ses confrĂšres/soeurs, ce chant nostalgique qui fonde la valeur actuelle de ses Liszt (publiĂ©s aussi chez DG).
CD1 – Le Concerto n°1 (Moscou, 1892) nous fait plonger dans lâintensitĂ© du drame ; un fracas lyrique immĂ©diatement actif et rugissant, bientĂŽt rassĂ©rĂ©nĂ© dans une texture lyrique et langoureuse dont seul Rachmaninov a le secret ; qui peut effacer de sa mĂ©moire le motif central (cantilĂšne Ă la fois grave mais douce) de ce premier mouvement Vivace, qui a fait les belles heures de lâĂ©mission Apostrophes de Bernard Pivot ? Dâautant que le jeu perlĂ© de Daniil Trifonov fait merveille entre sagacitĂ©, activitĂ©, intĂ©rioritĂ© ; entre allant et tendre nostalgie ; il tisse des vagues dâivresse Ă©perdue comme au diapason dâun orchestre nerveux voire brutal (excellente prĂ©cision de NĂ©zet-SĂ©guin pour restituer la dĂ©flagration sonore dâune orchestration qui peut sonner monstrueuse), sĂ©ries de rĂ©ponses Ă©lectriques et tout autant percutantes et vives, au bord de la folie (grĂące Ă une digitalitĂ© fabuleusement libre, frĂ©nĂ©tique ou en panique). Ce jeu Ă©lastique entre Ă coups et secousses, puis Ă©largissement de la conscience, trouve un Ă©quilibre parfait entre le piano et lâorchestre.
LâAndante caresse, respire, plonge dans des eaux plus ambivalentes encore oĂč rĂšgne comme une soie nocturne, lâonde sonore onctueuse de lâorchestre plus bienveillant. Daniil Trifonov chante toute la nostalgie en osmose avec les pupitres de lâorchestre aux couleurs complices.
A travers une forme de monologue enchantĂ©, sourd lâinquiĂ©tude dâune gravitĂ© jamais Ă©loignĂ©e. La lecture approche davantage une veille attendrie plutĂŽt quâune libĂ©ration insouciante. LĂ encore on goĂ»te la subtilitĂ© des nuances et des couleurs.
La partie la plus passionnante reste lâultime Ă©pisode Allegro vivace dont le chef fait crĂ©piter les rythmes (dĂ©jĂ ) amĂ©ricains, le swing qui semble quasi improvisĂ©, dâautant que le cheminement du jeune pianiste se joue des rythmes, de lâenchaĂźnement des sĂ©quences avec une prĂ©cision frĂ©nĂ©tique, une acuitĂ© vive et engagĂ©e dâune indiscutable Ă©nergie ; un tel dĂ©hanchement heureux regarde directement vers le bonheur comme la libertĂ© du Concerto n°3, lui créé Ă New York par lâauteur le 28 nov 1909.
Brillant autant que crĂ©atif, Trifonov nous livre son propre arrangement du premier volet des Cloches, soit un morceau de 6mn (allegro ma non tanto) qui montre toute la sensibilitĂ© active et lâimagination en couleurs et timbres qui lâinspirent.
Périple réussi pour Daniil Trifonov
Rachmaninov intérieur et virtuose
CD2 – Cerise sur le gĂąteau et approfondissement de cette utlime escale en terres Rachmaninoviennes, le Concerto pour piano n°3 affirme une Ă©gale musicalitĂ© : immersion naturelle et progressive sans heurts, en un flot Ă la fois ductile et crĂ©pitant oĂč lâorchestre sait sâadoucir, rechercher une sonoritĂ© mĂ©diane qui flatte surtout le relief scintillant du piano. Le jeu de Trifonov est dâune prĂ©cision caressante, onctueuse et frappante par sa souplesse, comme une vision architecturĂ©e globale trĂšs claire et puissante. LâĂ©coulement du dĂ©but est presque hors respiration, dâune tenue de ligne parfaite, Ă la fois irrĂ©sistible, allante, de plus en plus souterraine, recherchant le repli et lâintĂ©riorisation ; ce que cherche Ă compenser lâorchestre de plus en plus dĂ©claratif, mĂ©nageant de superbe vagues lyriques comme pour mettre Ă lâaise le soliste ; aucun effet artificiel, mais lâaccomplissement dâune lecture dâabord polie dans lâesprit ; Dâune imagination construite foisonnante, Trifonov soigne lâarticulation au service de sa sonoritĂ©, Ă©coute lâintĂ©rioritĂ© de la partition et cisĂšle son chant pudique avec une tendresse magicienne. Chaque point dâextase et de plĂ©nitude sonore rebondit avec un galbe superbement articulĂ© ; peu Ă peu le pianiste fait surgir une sincĂ©ritĂ© de plus en plus lumineuse que lâorchestre fait danser dans un crĂ©pitement de timbres bienheureux. La rĂ©exposition Ă©claire davantage la sensibilitĂ© intĂ©rieure du pianiste qui ralentit, Ă©coute, cisĂšle, distille avec finesse lâĂ©lan lyrique, souvent Ă©perdu de son texte. JusquâĂ lâivresse presque en panique Ă 8â du premier mouvement, avant que ne cisaillent les trompettes cinglantes plus amĂšres, rĂ©vĂ©lant alors des cordes plus nostalgiques ; mais câest Ă nouveau le piano somptueusement enchantĂ© qui recouvre lâĂ©quilibre dans ce mitemps.
La seconde partie dans ses vertiges ascensionnels est hallucinĂ©e et crĂ©pitante ; le pianiste semble tout comprendre des mondes poĂ©tiques de Rachmaninov : ses Ă©clairs fantastiques, ses doutes abyssaux, ses Ă©lans Ă©perdus⊠Trifonov sachant Ă contrario de bien de ses confrĂšres et consĆurs, Ă©viter toute dĂ©monstration, dans lâaffirmation dâun chant irrĂ©pressible, viscĂ©ral, jamais trop appuyĂ©, triomphe dans une sonoritĂ© toujours souple et fluide, solaire et tendre (cf la qualitĂ© de ses Liszt prĂ©cĂ©dents dĂ©jĂ citĂ©s). Le soliste sait prĂ©server lâampleur dâune vision intĂ©rieure, imaginative, poĂ©tique, suspendue, dâune incroyable respiration profonde, en particulier avant la 2Ăš rĂ©exposition du thĂšme central (15â40 Ă 15â53). Tout lâorchestre le suit dans ce chant de lâĂąme et qui sâachĂšve dans une glissade fugace, subtilement ciselĂ©e dans lâombre.
Lâintermezzo est en forme dâAdagio qui affirme la mĂȘme voluptĂ© lointaine, une distanciation poĂ©tique Ă©cartant tout acoups, mais invite Ă lâexpression la plus intime dâun cĆur attendri, extatique. Cette Ă©loquence intĂ©rieure est partagĂ©e par lâorchestre et le pianiste qui colore et croise de nouvelles visions au bord de lâĂ©vanouissement, sait sâappuyer davantage sur lâorchestre : les champs intĂ©rieurs y sont remarquablement sculptĂ©s, vĂ©ritables ivresses qui portent au songe et Ă la rĂȘverie, Ă lâoubli et au renoncement⊠en un crĂ©pitement qui soigne toujours la clartĂ© et la prĂ©cision dâun jeu nuancĂ©, dĂ©taillĂ©, et dâune grande invention comme dâune grande intelligence sonore.
Le dernier mouvement, « Finale. Alla breve », semble rĂ©unir toutes les forces vitales en prĂ©sence et rĂ©capituler les songes passĂ©s, en un chant revivifiĂ© qui Ă©nonce les principes dâune reconstruction dĂ©sormais partagĂ©e par instrumentistes et piano solo ; le chant sâenfle, grandit, ose une carrure nouvelle, galopante ; Trifonov rĂ©ussit lâexpression de cette chevauchĂ©e toute de souplesse et de nuances chantantes. Le jeu du pianiste est tout simplement irrĂ©sistible comme happĂ©, aspirĂ© par une dimension qui dĂ©passe lâorchestre⊠facĂ©tieux, mystĂ©rieux, le clavier vole dĂ©sormais de sa propre Ă©nergie, aĂ©rienne : le lutin Trifonov (3â57) cisĂšle ce chant cosmique, dans les Ă©toiles, comme un jaillissement naturel. Dâune caresse infinie quâil inscrit, suspend au delĂ de la voĂ»te familiĂšre dans la texture mĂȘme du songe. Un songe Ă©veillĂ©, en chevauchĂ©, dans un galop qui mĂšne trĂšs trĂšs loin et trĂšs haut, rĂ©vĂ©lĂ© en partage. Hallucinant et cosmique. Du trĂšs grand art.
LIRE notre annonce du cd événement Departure / Destination Rachmaninov (octobre 2018)
https://www.classiquenews.com/cd-evenement-annonce-daniil-trifonov-destination-rachmaninov-departure-1-cd-dg/
LIRE aussi notre annonce du cd événement : ARRIVAL / Destination Rachmaninov (octobre 2019)
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CD Ă©vĂ©nement, critique. DANIIL TRIFONOV, piano – Destination Rachmaninov : ARRIVAL – Concertos 1 et 3. PHILADELPHIA orchestra, Yannick SĂ©guet-NĂ©zin, direction 52 cd DG Deutsche Grammophon) – CLIC de CLASSIQUENEWS dâoctobre 2019. Parution le 11 octobre 2019.
CD Ă©vĂ©nement, annonce. DANIIL TRIFONOV – Destination Rachmaninov : ARRIVAL – Concertos 1 et 3
CD Ă©vĂ©nement, annonce. DANIIL TRIFONOV – Destination Rachmaninov : ARRIVAL – Concertos 1 et 3. Et s’il Ă©tait avec notre favori britannique, Benjamin Grosvenor, le jeune pianiste actuel le plus convaincant de l’heure ? Le lutin russe, Daniil TRIFONOV, douĂ© dâune Ă©loquence souple et intĂ©rieure capable de faire jaillir des crĂ©pitements intimes, en particulier chez Rachmaninov, achĂšve ainsi son pĂ©riple dĂ©diĂ© au grand Serge Rachmaninov, lui-mĂȘme pianiste virtuose. Rachmaninov joua lors dâune tournĂ©e amĂ©ricaine avec le Philadephia Orchestra ces deux mĂȘmes Concertos lĂ©gendaires (n°1 et n°3).
VĂ©loce et versatile, pĂ©tillant et aĂ©rien, son jeu Ă©blouit littĂ©ralement dans le volet le plus redoutable de ce double album « arrival », dans le pĂ©rilleux Concerto n°3 (ce mĂȘme sommet qui avait conclu le dernier Festival Menuhin Ă GSTAAD, le 6 sept 2019). Pudique et puissant, surtout son jeu se montre irrĂ©sistible dans une partition dont il distingue chaque nuance, en la rĂ©tablissant dans le parcours intime du compositeur. Funambule ou galopant Ă toute bride, poĂ©tique ou Ă©pique, Daniil Trifonov montre une maturitĂ© saisissante dans ce dernier jalon, en complicitĂ© avec le chef quĂ©bĂ©cois, Yannick NĂ©zet-SĂ©guin Ă la tĂȘte du Philadelphia Orchestra. Le jeune homme il y a quelques annĂ©es imberbe (cd LISZT 2015), a gagnĂ© une profondeur lumineuse, une tendresse dâune rare subtilitĂ©, en tĂ©moigne cette barbe nouvelle quâil arbore Ă prĂ©sent. La sortie du double coffret DESTINATION RACHMANINOV : ARRIVAL est annoncĂ©e le 11 octobre 2019 chez DG Deutsche Grammophon. Probable CLIC de CLASSIQUENEWS de lâautomne 2019.
LIRE aussi notre annonce dĂ©diĂ©e au premier volet DEPARTURE du pĂ©riple “DESTINATION RACHMANINOV”
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COMPTE-RENDU, concert. BESANCON, le 9 sept 2019. Russian National Orchestra, NikolaĂŻ Lugansky, MikhaĂŻl Pletnev
Compte-rendu, concert. Festival de Besançon, Théùtre Ledoux, le 9 septembre 2019. Russian National Orchestra, NikolaĂŻ Lugansky (piano), MikhaĂŻl Pletnev (direction). Câest Ă une soirĂ©e 100% russe que la 72Ăšme Ă©dition du Festival International de Besançon (couplĂ©e avec la 56Ăšme Ă©dition du fameux Concours International de jeunes chefs dâorchestre) convie un public venu en masse entendre NikolaĂŻ Lugansky dans le cĂ©lĂšbre 3Ăšme Concerto pour piano de SergueĂŻ Rachmaninov (illustration ci-contre). De fait, le grand pianiste russe ne déçoit pas les attentes et dialogue avec brio, dĂšs les premiers accord, avec le Russian National Orchestra, phalange fondĂ©e et dirigĂ©e depuis 1990 par MikhaĂŻl Pletnev, qui sâĂ©tait fait connaĂźtre en remportant le cĂ©lĂšbre Concours TchaĂŻkovski en 1978.
Le ton est donc donnĂ© dĂšs lâattaque du thĂšme initial, et ce sera magistral, avec un tempo maĂźtrisĂ© et un piano omniprĂ©sent. Lâampleur du souffle semble infinie, le discours est dâune brillance et dâune fluiditĂ© Ă©tonnantes, mĂȘme dans le legato, et toutes les notes sont trĂšs distinctement dĂ©tachĂ©es, ce qui est un rĂ©gal pour lâoreille.
AprĂšs lâentracte, place Ă la Symphonie n°9 de Dimitri Chostakovitch, une Ćuvre lĂ©gĂšre et facĂ©tieuse, courte et enjouĂ©e. Créée en 1945, elle est la troisiĂšme et derniĂšre symphonie composĂ©e durant la Seconde Guerre mondiale. Cependant, alors que les SeptiĂšme et HuitiĂšme durent plus dâune heure et nĂ©cessitent un effectif imposant, la NeuviĂšme requiert une masse orchestrale classique et dure Ă peine moitiĂ© moins. Mais surtout, elle dĂ©laisse lâhĂ©roĂŻsme patriotique des deux prĂ©cĂ©dentes pour faire place Ă des airs enjouĂ©s, inspirĂ©s de danses rustiques. On sait quâelle provoqua lâire de Staline â au point que le compositeur dut craindre pour sa vie â qui sâattendait Ă une Ćuvre apothĂ©otique, composĂ©e expressĂ©ment pour sa propre gloire ainsi que pour celle des troupes soviĂ©tiques victorieuses du nazisme. Soutenus par les solistes souvent splendides dâun des meilleurs orchestres russes, Pletnev dĂ©veloppe une approche emplie dâun humanisme chaleureux, mais sans gommer lâaspect grinçant et sarcastique de cette superbe partition. Il faut souligner lâextraordinaire prĂ©sence de la petite harmonie, notamment les premiers flĂ»te, clarinette et basson, qui ont prodiguĂ© des sonoritĂ©s prodigieuses. Dans ce trio de solistes, on savoure la spĂ©cificitĂ© sonore de chaque registre ainsi quâun remarquable sens du legato. On admire enfin leur remarquable cohĂ©rence, qui emmĂšne la symphonie vers sa juste conclusion dans le crescendo final.
La veille (8 sept 2019), nous avons pu assister Ă une soirĂ©e de musique de chambre, au trĂšs beau Kursaal de la ville, qui rĂ©unissait, pour lâoccasion, le Quatuor Arod et le Quatuor Diotima. Le premier interprĂšte le Quatuor N°4 D. 46 en do majeur de Schubert ; il parvient en quelques mesures de pure grĂące Ă nous emporter : il faut dire que le Quatuor Arod est ici dans son rĂ©pertoire de prĂ©dilection, faisant valoir une pulsation rythmique lĂ©gĂšre et aĂ©rienne, en un Ă©lan stimulant. Lâacoustique trĂšs dĂ©taillĂ©e de la salle bisontine sert cette conception qui manque peut-ĂȘtre parfois de puissance au premier violon, mais qui emporte lâadhĂ©sion par son sens des nuances et des couleurs. Câest au cĂ©lĂ©brissime Quatuor de Ravel que sâest ensuite confrontĂ© leurs collĂšgues du Quatuor Diotima :  ils le dĂ©fendent de maniĂšre tout aussi vivante et instinctive, en prĂȘtant attention Ă la dynamique, parfaitement assurĂ©e, et aux tempi, judicieusement choisis.
Les huit artistes se sont Ă©galement retrouvĂ©s dans deux octuors : dâabord dans les Deux PiĂšces pour octuor Ă cordes, op. 11 de Dimitri Chostakovitch, une Ćuvre qui est un tĂ©moignage Ă©loquent dâun temps Ă la fois marquĂ© par le retour Ă Bach et par un volontĂ© de provocation aussi sain que rĂ©jouissant, puis Ă lâoccasion dâune crĂ©ation mondiale, commande expresse du festival au compositeur français Eric Tanguy, en rĂ©sidence pour cette 72Ăšme Ă©dition. Le titre de la piĂšce est « The desperate man », en rĂ©fĂ©rence au cĂ©lĂšbre autoportrait (« Le dĂ©sespĂ©ré ») de Gustave Courbet, lâenfant du pays dont on fĂȘte cette annĂ©e le bicentenaire de la naissance. La piĂšce est trĂšs agrĂ©able Ă Ă©couter, trĂšs bien Ă©crite, et Ă son Ă©coute, lâon se rend compte quâau fil des annĂ©es, le propos du compositeur se fait moins Ăąpre et spontanĂ©, plus consonnant et acadĂ©mique, sans que cela ne doive ĂȘtre pris pĂ©jorativement… Illustration : Quatuor Diotima (DR)
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Compte-rendu, concert. Festival de Besançon, Théùtre Ledoux, le 9 septembre 2019. Russian National Orchestra, Nikolaï Lugansky (piano), Mikhaïl Pletnev (direction).
COMPTE-RENDU, concert. Le TOUQUET Paris-plage, Festival des Pianos Folies, le 18 août 2019. Récital Boris Berezovsky, piano.⊠SCRIABINE, RACHMANINOV
COMPTE-RENDU, concert. Le TOUQUET Paris-plage, Festival des Pianos Folies, le 18 août 2019. Récital Boris Berezovsky, piano.⊠SCRIABINE, RACHMANINOV. Par notre envoyé spécial MARCEL WEISS
« Je vous appelle Ă la vie, ĂŽ forces mystĂ©rieuses » : cette invocation, placĂ©e en exergue de la Sonate n°5 de Scriabine, semble dĂ©fier les interprĂštes assez imprudents pour partager la quĂȘte mystique de son auteur. DĂšs lâandante cantabile de son premier PoĂšme, Boris Berezovsky en tient la gageure par son jeu tout de suggestion et la dĂ©licatesse de son toucher. Les piĂšces suivantes de Scriabine flirtent avec une vision idĂ©alisĂ©e de lâĂ©rotisme, symbolisĂ©e par lâaccord de Tristan Ă©noncĂ© dans la Sonate n°4, une Ćuvre encore rĂ©solument heureuse, dĂ©bordante dâĂ©nergie, que Berezovsky empoigne Ă bras le corps. ThĂšme amplifiĂ© dans lâarachnĂ©enne « FragilitĂ© », la valse Ă©vanescente de « Caresse dansĂ©e » et le tempĂ©tueux « DĂ©sir ».
Dâun seul jet, la Sonate n°5, contemporaine du « PoĂšme de lâextase », accumule les difficultĂ©s et les indications de tempo, dans un sentiment gĂ©nĂ©ral dâurgence et de fiĂšvre, traduit avec maestria par un interprĂšte hallucinĂ©, dominant les piĂšges techniques. Celui qui se prĂ©sente parfois comme un chasseur poursuivant ces proies que seraient les notes semble en improviser le cours de maniĂšre agogique et non mĂ©canique.
Lyrique passionnĂ©ment, sa vision de la Sonate n°2 de Rachmaninov restitue le foisonnement dâune Ćuvre qui rend hommage Ă la Russie Ă©ternelle, des carillons initiaux Ă lâĂ©vocation nostalgique de ses paysages. EnvisagĂ©es par Rachmaninov comme de vĂ©ritables compositions et non comme de simples arrangements, ses nombreuses transcriptions embrassent tous les genres musicaux. Du PrĂ©lude de la « Partita n°3 pour violon » de Bach, ornĂ© avec humilitĂ©, Ă la tendre « Berceuse » de TchaĂŻkovsky, en passant par un virevoltant Scherzo du « Songe dâune nuit dâĂ©tĂ© » de Mendelssohn, le limpide et tendre « Wohin ? » de la « Belle MeuniĂšre » de Schubert et le « Liebeslied » langoureux de Kreisler. Autant de moments musicaux, de prĂ©textes dâadmirer une fois de plus la dextĂ©ritĂ© et la versatilitĂ© expressive du pianiste. Sans lâextrĂȘme musicalitĂ© et la sensibilitĂ© Ă fleur de touche de Berezovsky, les arrangements funambulesques par Godowsky des Ă©tudes de Chopin dĂ©jĂ si exigeantes dans leur virtuositĂ© pourraient sembler de bien mauvais goĂ»t. Nos prĂ©jugĂ©s sont balayĂ©s devant la prouesse des trois Etudes de lâopus 10, dont celle dite « RĂ©volutionnaire » jouĂ©es de la seule main gauche.
En guise de conclusion, Boris Berezovsky nous proposa de confronter le PrĂ©lude n°2 de Gerschwin et une piĂšce similaire – toutes deux bĂąties sur une maniĂšre de basse continue – de Scriabine⊠Jazzman avant lâheure ?
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COMPTE-RENDU, concert. Le TOUQUET Paris-plage, Festival des Pianos Folies, le 18 août 2019. Récital Boris Berezovsky, piano.⊠SCRIABINE, RACHMANINOV. Par notre envoyé spécial MARCEL WEISS / Illustration : photo © service communication ville du Touquet Paris Plage 2019.
COMPTE-RENDU, concert. La Roque dâAnthĂ©ron, le 8 aoĂ»t 2019. RACHMANINOV. L. Geniusas. Varvara. Orch Tatarstan. A. Sladkosky.
COMPTE-RENDU,Concert. Festival de La Roque dâAnthĂ©ron 2019. La Roque dâAnthĂ©ron. Parc du chĂąteau de Florans, le 8 AoĂ»t 2019. S. RACHMANINOV. L. GENIUSAS. VARVARA. ORH DU TATARSTAN. A. SLADKOSKY. Les nuits du piano Ă La Roque sont toujours un Ă©vĂ©nement car deux concerts se suivent. Dans un but de jouer « tout russe », en lâhonneur de Rachmaninov, la soirĂ©e a Ă©tĂ© organisĂ©e avec un orchestre, un chef et deux pianistes russes. Lâ Orchestre national symphonique du Tatarstan et son chef titulaire ont animĂ© toute la soirĂ©e avec beaucoup dâĂ©nergie comme de puissance. DĂ©butant le concert par le concerto le plus cĂ©lĂšbre, le n°2,  le jeune Lukas Geniusas, 29 ans, a dâemblĂ©e mis la barre trĂšs haut avec une introduction richement timbrĂ©e et un crescendo savamment organisĂ©. Las, le chef avait dĂ©cidĂ© de lĂącher toute la puissance de son orchestre, comme pour faire ses preuves. Lâeffet a Ă©tĂ© de noyer le soliste, sans pour autant mettre en valeur son orchestre. Il a fallu attendre le deuxiĂšme mouvement pour que le soliste et lâorchestre, sans trop dâinterventions du chef, organisent un beau dialogue musical. Dommage car les sonoritĂ©s de lâorchestre sont naturellement belles, il nâest pas besoin de forcer les choses.
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Chef exacerbĂ©, pianistes plus mesurĂ©sâŠ
Nuit Rachmaninov solidement russe
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Ce sont les forte trop appuyĂ©s qui dĂ©naturent le son trop cuivrĂ©, et mettent en difficultĂ© le soliste. Le final grĂące Ă lâintelligence de jeu de Lukas Geniusas a gardĂ© lâĂ©quilibre presque intact, trouvĂ© dans le deuxiĂšme mouvement plus chambriste. Mais comment Alexander Sladkosky peut-il se laisser aller Ă hurler les phrases quâil veut mieux entendre ? Sâoublier en tapant du pied ? Jâaime mieux les chefs qui savent obtenir autrement ce quâils souhaitent⊠ Le jeu de Lukas Geniusas a dĂ» ĂȘtre athlĂ©tique et les moyens pianistiques Ă©normes. Mais sa musicalitĂ© se dĂ©ploie bien dâavantage dans les Ă©changes chambristes subtils, les phrasĂ©s amplement dĂ©veloppĂ©s, les nuances finement amenĂ©es. Cela a pu ĂȘtre prĂ©sent dans un deuxiĂšme mouvement qui restera un merveilleux souvenir sous le ciel en train de sâĂ©toiler et dans le bis, un prĂ©lude en sol de Desyatnikov, dans lequel sa fine musicalitĂ© a pu rayonner.
Le poĂšme symphonique « Lâ Ăźle des morts » dâaprĂšs le tableau de Böcklin permet Ă lâorchestre de briller par des qualitĂ©s de timbres et dâinterventions subtiles. Lâorchestre a Ă©tĂ© vraiment superbe mais dans sa maniĂšre de sâadresser Ă lâorchestre Alexander Sladkosky a surtout adoptĂ© de la terreur et du grandiloquent. Toute une part de mystĂšre et de rĂȘverie a Ă©tĂ© noyĂ©e dans les forte et les phrasĂ©s appuyĂ©s. Ainsi prĂ©side  une vision noire et terriblement Ă©crasante de la mort. Ce soir cette Ăźle des morts a Ă©tĂ© Ăźle de terreur !
En deuxiĂšme partie de nuit la pianiste russe, Varvara, toute de grĂące et de dĂ©licatesse entre en scĂšne. AprĂšs la furie orchestrale de la premiĂšre partie bien des spectateurs ont pĂąli pour elle. Mais la frĂȘle apparence est bien trompeuse et la pianiste a imposĂ© son jeu dâemblĂ©e, obtenant bien plus de musicalitĂ© de la part dâ Alexander Sladkosky. Le concerto n°4 a Ă©tĂ© totalement rĂ©ussi avec une prĂ©cision des attaques orchestrales bien venue et un jeu pianistique dâune rare subtilitĂ©. Ce concerto Ă la virtuositĂ© magnifiquement rendue avec une grande musicalitĂ© par le jeu subtil de Varvara a Ă©tĂ© un beau moment.
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Câest dans la Rhapsodie sur le thĂšme de Paganini que lâentente entre lâorchestre et la soliste a Ă©tĂ© musicalement parfaite. Impossible dâĂ©tablir un rapport de force entre lâorchestre et la soliste dans cette subtile musique de Rachmaninov. Les variations sont rythmiquement et harmoniquement inventives et Varvara a pu dĂ©velopper un jeu subtil, nuancĂ©, plein de couleurs. Les instrumentistes ont pu dialoguer librement avec elle car Alexander Sladkosky nâa pas eu dâinterventions trop envahissantes. Le succĂšs de Varvara  a Ă©tĂ© magnifique et le public a obtenu deux trĂšs beaux bis de Medtner ; ils nous ont rĂ©galĂ©s du jeu subtil de cette musicienne virtuose rare.
Il semble bien plus difficile de trouver un chef, quâun bon orchestre ou dâextraordinaires pianistes Ă La Roque dâAntheron ⊠En tout cas lâĂąme russe a soufflĂ© ce soir, un peu contre les cigales, pour mettre en valeur le gĂ©nie de Rachmaninov; certes il est russe dâorigine mais a vĂ©cu aux Ătats Unis et su trĂšs habilement mĂȘler son tempĂ©rament Ă la musique amĂ©ricaine, en particulier au jazz.  La Russie Ă©tait Ă lâhonneur cette annĂ©e Ă la Roque dâ AnthĂ©ron.
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Compte-rendu concert. La Roque dâAnthĂ©ron. Parc du Chateau de Florans, le 8 AoĂ»t 2019. Serge Rachmaninov ( 1873-1943) : Concerto pour piano et orchestre n° 2 en ut mineur Op.18 ; Lâile des morts Op.29 ; Concerto pour piano et orchestre n° 4 en sol mineur  Op.40 ; Rhapsodie sur un thĂšme de Paganini Op.43 ;  Lukas Geniusas et Varvara, pianos ; Orchestre national du Tatarstan – Alexander Sladoksky, direction – Photos : © Christophe GREMIOT
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Compte-Rendu, CONCERT. Monaco, Salle Garnier, le 26 avril 2019. Récital Rachmaninov par Mikhaïl Pletnev.
Compte-Rendu, CONCERT. Monaco, Salle Garnier, le 26 avril 2019. RĂ©cital Rachmaninov par MikhaĂŻl Pletnev. La saison de lâOrchestre Philharmonique de Monte-Carlo, ce nâest pas seulement des concerts assurĂ©s par la prestigieuse phalange monĂ©gasque, câest aussi de la musique de chambre ou des rĂ©citals assurĂ©s par les plus grands solistes instrumentaux, comme Grigori Sokolov en mars, ou encore le grand chef et pianiste russe MikhaĂŻl Pletnev (cf illustration ci-contre DR). Le vendredi 26 avril, il se livrait Ă un rĂ©cital solo entiĂšrement consacrĂ© Ă lâĆuvre de SergueĂŻ Rachmaninov, Ă la Salle Garnier de Monte-Carlo, autrement intime et belle que lâAuditorium Rainier III oĂč se produit majoritairement lâorchestre.
Dernier des grands compositeurs romantiques, encore liĂ© au systĂšme tonal et Ă un style pianistique alla Chopin (pour son aspect incandescent et passionnĂ©), Rachmaninov peint des impressions fugitives et passagĂšres avec une grĂące et un sens de la plaisanterie assez inĂ©dits. Son Ćuvre fait preuve dâun grand esthĂ©tisme, associĂ© Ă une inspiration profondĂ©ment spirituelle, parfois mĂȘme dramatique. En hommage Ă ce mĂȘme Chopin, et dans un genre oĂč sâillustrĂšrent bien sĂ»r Jean-SĂ©bastien Bach ou encore Mendelssohn, Rachmaninov Ă©crivit vingt-quatre prĂ©ludes pour piano dont la composition sâĂ©tale entre 1892 et 1910, le style dâĂ©criture diffĂ©rant beaucoup selon les piĂšces, mĂȘme si le climat reste souvent sombre et mĂ©lancolique. Pletnev a retenu huit dâentre eux, en commençant par le cĂ©lĂšbre opus 3 n°2. On ne peut que louer ici lâaisance technique et le contrĂŽle dans ces PrĂ©ludes – notamment dans ceux particuliĂšrement virtuoses comme ceux de lâopus 23 n°2, 7 ou 8 ou ceux de lâopus 32 n°8 ou 12 – qui ne sâexĂ©cutent jamais au dĂ©triment de la musique. Avec des tempi plutĂŽt amples, un savant dosage dans lâutilisation de la pĂ©dale, et une variĂ©tĂ© de couleurs dans le touchĂ©, le pianiste fait magnifiquement ressortir les mĂ©lodies sans tomber dans la sentimentalitĂ© ou le mauvais goĂ»t. Il entrecoupe les PrĂ©ludes citĂ©s avec dâautres Ćuvres telles que lâEtude-Tableau opus 39 n°7, dont la section centrale se rĂ©vĂšle ĂȘtre une sorte de marche funĂšbre lugubre avec effets de pluie (selon les volontĂ©s de lâauteur), et qui progresse du gris le plus morne au son chatoyant dâimmatĂ©rielles cloches. On citera Ă©galement la Barcarolle et lâHumoresque extraits de ses Morceaux de Salon opus 10, la premiĂšre piĂšce Ă©tant connue pour son dĂ©licat accompagnement arpĂ©gĂ©, et la seconde pour son caractĂšre entraĂźnant et plein dâallant. Notons que les diffĂ©rents morceaux sont jouĂ©s sans que lâartiste ne fasse la moindre pause entre eux, et quâaprĂšs de brefs saluts, il entonne un seul et unique bis : le cĂ©lĂ©brissime RĂȘve dâamour (Liebestraum) de Franz Liszt, dĂ©livrĂ© avec une incroyable sensualitĂ©âŠ
La saison de lâOPMC se poursuit, mais avec du rĂ©pertoire symphonique, et des chefs de la trempe de Kazuki Yamada le 3 mai, Leonard Slatkin le 31 mai ou encore Domingo Hindoyan le 7 juin !
Compte-Rendu, CONCERT. Monaco, Salle Garnier, le 26 avril 2019. Récital Rachmaninov par Mikhaïl Pletnev.
Rachmaninov : Symphonie n°2
ARTE, dim 10 fĂ©v 2019. RACHMANINOV : Symphonie n°2 (Ă 18h30, Maestro). En mi mineur opus 21, la 2Ăš Symphonie de Rachmaninov est le retour du compositeur Ă lâĂ©criture, aprĂšs son Ă©chec traumatisant dĂ» aux critiques Ă©mises Ă la crĂ©ation de sa premiĂšre symphonie. Créée Ă Saint-PĂ©tersbourg en mars 1897, la PremiĂšre Symphonie mal dirigĂ©e par Glazounov (quâon a dit fortement alcoolisĂ©) suscite les vives reproches de CĂ©sar Cui : il nâen fallait pas davantage pour marquer le jeune Rachmaninov (24 ans) Ă qui tout semblait sourire⊠A Dresde, le jeune musicien, pourtant encouragĂ© par Tchaikovski et qui a Ă son effectif plusieurs compositions plus que convaincantes (dont lâopĂ©ra Aleko, 1893) reprend goĂ»t Ă la crĂ©ation : en dĂ©coulent aprĂšs Aleko deux autres ouvrages fantastiques et saisissants (Le Chevalier ladre, 1906 ; Francesca da Rimini, 1904) et aussi cette nouvelle symphonie, emblĂšme dâun Ă©quilibre enfin recouvrĂ©. En Saxe, Rachmaninov retrouve lâenvie dâĂ©crire et dâaffirmer son tempĂ©rament puissant et original. Il est donc naturel que lâOrchestre de la Staatskapelle de Dresde (dont le directeur musical actuel est Chritian Thielemann) sâintĂ©resse Ă cette Ćuvre liĂ©e Ă son histoire. Le chef invitĂ© Antonio Pappano dirige les musiciens dans ce concert enregistrĂ© en 2018.
Créée en 1908 Ă Saint-PĂ©tersbourg, la Symphonie n°2 est le produit dâune pĂ©riode fĂ©conde qui rĂ©alise aussi le poĂšme orchestral lâĂźle des morts et lâĂ©blousisant Concert pour piano n°3. La n°2 est portĂ©e par un nouveau souffle, une richesse dâorchestration souvent irrĂ©sistible et une architecture qui est la plus ambitieuse des 3 symphonies finalement composĂ©es. Rachmaninov assimile et Tchaikovski (dans les couleurs), et Sibelius dans lâexigence dâune construction et dâune certaine efficacitĂ© qui infĂ©ode le dĂ©veloppement formel.
Quatre mouvements : Largo, Allegro moderato / Allegro molto / Adagio (synthĂšse portĂ©e par la beautĂ© de sa cantilĂšne, lâĂ©pisode concilie une grande richesse polyphonique et le principe cyclique qui reprend le thĂšme principal du premier mouvement) / Allegro vivace
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ARTE, “Maestro” – dim 10 fĂ©v 2019 Ă 18h30, RACHMANINOV : Symphonie n°2. Dresden Staatskapelle / Staatskapelle de Dresde. Antonio Pappano, direction – film 2018, durĂ©e : 43 mn.
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LIRE notre dossier spécial les opéras de Rachmaninov
http://www.classiquenews.com/les-operas-de-rachmaninov-alenko-le-chevalier-ladre-dossier-special/
LIRE dâautres articles dĂ©diĂ©s Ă Rachmaninov sur classiquenews
http://www.classiquenews.com/tag/rachmaninov/
STAATSKAPELLE DE DRESDE : Symphonie n°2 de Rachmaninov
ARTE, dim 10 fĂ©v 2019. RACHMANINOV : Symphonie n°2 (Ă 18h30, Maestro) En mi mineur opus 21, la 2Ăš Symphonie de Rachmaninov est le retour du compositeur Ă lâĂ©criture, aprĂšs son Ă©chec traumatisant dĂ» aux critiques Ă©mises Ă la crĂ©ation de sa premiĂšre symphonie. Créée Ă Saint-PĂ©tersbourg en mars 1897, la PremiĂšre Symphonie mal dirigĂ©e par Glazounov (quâon a dit fortement alcoolisĂ©) suscite les vives reproches de CĂ©sar Cui : il nâen fallait pas davantage pour marquer le jeune Rachmaninov (24 ans) Ă qui tout semblait sourire⊠A Dresde, le jeune musicien, pourtant encouragĂ© par Tchaikovski et qui a Ă son effectif plusieurs compositions plus que convaincantes (dont lâopĂ©ra Aleko, 1893) reprend goĂ»t Ă la crĂ©ation : en dĂ©coulent aprĂšs Aleko deux autres ouvrages fantastiques et saisissants (Le Chevalier ladre, 1906 ; Francesca da Rimini, 1904) et aussi cette nouvelle symphonie, emblĂšme dâun Ă©quilibre enfin recouvrĂ©. En Saxe, Rachmaninov retrouve lâenvie dâĂ©crire et dâaffirmer son tempĂ©rament puissant et original. Il est donc naturel que lâOrchestre de la Staatskapelle de Dresde (dont le directeur musical actuel est Chritian Thielemann) sâintĂ©resse Ă cette Ćuvre liĂ©e Ă son histoire. Le chef invitĂ© Antonio Pappano dirige les musiciens dans ce concert enregistrĂ© en 2018.
Créée en 1908 Ă Saint-PĂ©tersbourg, la Symphonie n°2 est le produit dâune pĂ©riode fĂ©conde qui rĂ©alise aussi le poĂšme orchestral lâĂźle des morts et lâĂ©blousisant Concert pour piano n°3. La n°2 est portĂ©e par un nouveau souffle, une richesse dâorchestration souvent irrĂ©sistible et une architecture qui est la plus ambitieuse des 3 symphonies finalement composĂ©es. Rachmaninov assimile et Tchaikovski (dans les couleurs), et Sibelius dans lâexigence dâune construction et dâune certaine efficacitĂ© qui infĂ©ode le dĂ©veloppement formel.
Quatre mouvements : Largo, Allegro moderato / Allegro molto / Adagio (synthĂšse portĂ©e par la beautĂ© de sa cantilĂšne, lâĂ©pisode concilie une grande richesse polyphonique et le principe cyclique qui reprend le thĂšme principal du premier mouvement) / Allegro vivace
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ARTE, “Maestro” – dim 10 fĂ©v 2019 Ă 18h30, RACHMANINOV : Symphonie n°2. Dresden Staatskapelle / Staatskapelle de Dresde. Antonio Pappano, direction – film 2018, durĂ©e : 43 mn.
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PERLES SUR LA TOILE… Alexander MALOFEEV (FEYEV) dĂ©c 2018
SUR LA TOILE ⊠Jeune pianiste Ă suivre. Le russe Alexander Malofeev, que sa blondeur pourrait assimiler aux jeunes hĂ©ros de lâEurope du nord, saisit par sa gravitĂ© juste et pudique, malgrĂ© ses. 17 ans en dĂ©cembre 2018⊠Son jeu a la puissance et la carrure des grands russes, capables spĂ©cifiquement dâun dĂ©liĂ© serein et calme, pourtant intense et investi ; dâune clartĂ© naturelle et souple qui forcent lâadmiration. La technique est somptueuse, lui permettant dâaffirmer une belle gymnastique imaginative ; avec des phrasĂ©s intĂ©rieurs dâune sensibilitĂ© trĂšs juste, et une souplesse dans les passages les plus contrastĂ©s. Dans le Concerto n°3 de Rachmaninov, le jeune virtuose sait trouver lâĂ©quilibre entre vĂ©locitĂ©, intĂ©rioritĂ© et lyrisme Ă©chevelĂ© (Tchaikovsky concert hall du 30 dĂ©c 2018 – presque 70 000 vues en janvier 2019). Sans aucun doute, Alexander Malofeev est aujourd’hui “Le” jeune talent russe Ă suivre, aux cĂŽtĂ©s de ses “aĂźnĂ©s”, Daniil Trifonov (avec lequel il partage une mĂȘme passion pour les mondes fantastiques et enchantĂ©s de Rachmaninov…), Denis Matsuev… nos prĂ©fĂ©rĂ©s. Sans omettre le rĂ©cemment distinguĂ© Dmitri Masleev
Alexander MALOFEEV / FEYEV
le nouveau prodige russe du piano
Evidemment son jeune Ăąge (17 ans), lâempĂȘche encore de ciseler jusquâaux moindres nuances de lâarchitecture dâune oeuvre Ă la fois colossale et intime dont les vertiges doivent Ă©viter tout pathos et imprĂ©cisions. Il manque encore de profondeur et un rubato qui exprime le mystĂšre, mais quelle sincĂ©ritĂ©, quelle candeur enchantĂ©e dans un jeu douĂ© de qualitĂ©s de sobriĂ©tĂ©, de finesse⊠A cet Ăąge cela tient dâune intelligence rare. Sa personnalitĂ© retient lâattention. InvitĂ© comme le plus jeune pianiste Ă la Roque dâAnthĂ©ron en 2016 (14 ans), Alexander Malofeev (ou Malofeyev) a lâĂ©toffe des plus grands car il sait cultiver une douceur ineffable, une pudeur que peut savent mĂȘme aguerris, simplement Ă©noncer. Pas de virtuositĂ© dĂ©placĂ©e mais lâexpression dâune candeur marquĂ©e par une riche vie intĂ©rieure. Câest lâenseignement de ce concert Rachmaninov⊠La captation rĂ©alisĂ©e en Russie dĂ©voile un authentique Jeune talent russe, Ă suivre dĂ©sormais. Avec lâorchestre national des jeunes russe, dirigĂ© par Dimitris Botinis.
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https://www.youtube.com/watch?v=SCHg9tup9NA
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S.Rachmaninoff. Piano Concerto No.3 in D minor, Op.30. – 42 mn
Soloist : AlexandДr Malofeev (17 y.o. /17 ans).
Russian National Youth Symphony Orchestra.
Conductor, direction : Dimitris Botinis.
Tchaikovsky Concert Hall.
30/12/2018
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30/12/2018
https://www.youtube.com/watch?v=SCHg9tup9NA
AUTRE VIDEO avec Alexander MALOFEEV : Rhapsodie sur un thĂšme de Paganini de Rachmaninov (Myun-Whun Chung, RAI 2017)
CD, critique. YUJA WANG : The BERLIN RECITAL (1 cd DG Deutsche Grammophon).
CD, critique. YUJA WANG : The BERLIN RECITAL (1 cd DG Deutsche Grammophon). Virtuose, la pianiste chinoise Yuja Wang lâest incontestablement. DĂšs le martial et trĂšs affirmĂ© premier PrĂ©lude du programme (Opus 23 n°5), la vitalitĂ© et lâancrage du jeu dans le clavier sont convicancants. Ensuite dans les deux suivants, plus flottants voire Ă©vanescents, entre lâombre et la pĂ©nombre, les doigts peinent Ă suggĂ©rer, Ă exprimer lâinquiĂ©tude sourde qui soustend le texte. Le dernier opus 32 n°10, rĂ©solument introspectif et mĂ©lancolique, osons dire que lâinterprĂšte martĂšle ses forte dâune Ă©gale maniĂšre, carillonnant certes mais nâatteignant pas Ă cette matiĂšre sonore en incandescence, imaginĂ©e par le trĂšs inquiet Rachma, russe dĂ©racinĂ© et toujours nostalgique de la terre natale. Le jeu perd le fil, les doigts se prĂ©cipitent manquant rĂ©ellement de nuances et de construction. On ne sait guĂšre oĂč souhaite nous mener la pianiste. Rachmaninov et son mystĂšre lui Ă©chappent.
La matiĂšre plus abstraite encore de la Sonate de Scriabine (n°10 opus 70, plus de 11 mn), qui passe et traverse dâun univers mental et spirituel Ă lâautre, en une instabilitĂ© elle aussi permanente, mais plus interrogative que vraiment inquiĂšte, manque de ductilitĂ© nuancĂ©e, de velours caressant. Tout est jouĂ© net, vif, nerveux, prĂ©cis certes, mais avec linĂ©aritĂ© trop manifeste. Pas assez de suggestion.
Evidemment le relief percussif et rythmique des 3 Ligeti (surtout le premier « Touches bloquĂ©es »), lui va nettement mieux, car ici il nây a pas vraiment dâenjeu expressif, mais une scansion rĂ©pĂ©titive (les glissandi miroitants de « Vertige ») qui menace lâĂ©quilibre et la structure temporelle comme le cadre du dĂ©veloppement formel. Mais lâexpressivitĂ© toujours trop clairement dĂ©monstrative finit par âŠfatiguer. Dommage.
ImmatĂ©rielle et elle aussi abstraite mais sans enjeu spirituel comme celle de Scriabine, la Sonate n°8 de Prokofiev, dĂšs lâAndante dolce, pourtant dĂ©veloppĂ©e, manque rĂ©ellement de nuance, dâarriĂšres plans, dâombres. La pianiste semble y trouver un jeu pour faire briller sa digitalitĂ© experte (main gauche), mais⊠creuse. DĂ©ception. Ce rĂ©cital Ă Berlin nâa pas rĂ©pondu Ă nos attentes. Yuja Wang a-t-elle raison de poursuivre dans le rĂ©pertoire russe ainsi privilĂ©giĂ© ? On prĂ©fĂšre nettement ce que rĂ©alise en poĂšte et en narrateur habitĂ© voire hallucinĂ©, son confrĂšre Ă©galement chez DG Deutsche Grammophon, Daniil Trifonov, autrement plus riche, allusif, subtil.
CD, critique. YUJA WANG : The BERLIN RECITAL (1 cd DG Deutsche Grammophon).
CD, événement. Denis Matsuev, piano : Rachmaninov, Stravinsky, Shchedrin (1 cd Mariinsky)
CD, Ă©vĂ©nement. Denis Matsuev, piano : Rachmaninov, Stravinsky, Shchedrin (1 cd Mariinsky). Versatile mais pas artificiel, le piano de Denis Matsuev impose avec un style irrĂ©sistible sa furia interprĂ©tative : un volcan, un dragon capable d’audace et d’intĂ©rioritĂ©. Ce programme moins Ă©clectique qu’il n’y paraĂźt, Rachamaninov, Stravinsky, Shchedrin en tĂ©moigne : la puissante magie du sorcier Matsuev s’y dĂ©verse et y cisĂšle une digitalitĂ© sĂ»re, Ă©lectrique, d’une prodigieuse assurance, combinant, expressivitĂ© et poĂ©sie.
FluiditĂ© et virilitĂ© du Concerto n°1 de Rachmaninov : nervositĂ© scintillante, un feu d’une rare vitalitĂ© grĂące Ă un toucher alliant Ă©nergie et ductilitĂ©. La vĂ©locitĂ© digitale dont est capable Denis Matsuev, ne sacrifiant jamais la finesse allusive sur l’autel de la facile virtuositĂ©, s’impose Ă nous dans ce premier volet dont il sait exprimer toutes les nostalgies et les langueurs Ă peine tenus assumĂ©es par l’expatriĂ© Rachma,toujours profondĂ©ment tentĂ© par le dĂ©mon des gouffres lisztĂ©ens (derniĂšre sĂ©quence du I “Vivace”).
Dans sa version tardive de 1949, le Capriccio pour piano et orchestre de Stravinsky prĂ©pare Ă la mĂ©canique apocalytique de Shchedrin, par sa coupe syncopĂ©, ses accents tragico-cyniques auxuquels Matsuev aime Ă ciseler mais sans duretĂ© chaque trait incisif. LĂ encore, la maĂźtrise expressive et suggestive, la mise en place assurĂ©e par le maestro Gergiev, un partenaire fiable assurant la rĂ©ussite de ses deux artistes en pleine complicitĂ©, contribuent Ă la grande sĂ©duction du morceau, formidable mouvement de bascule permanent entre tragique et comique ; s’y insinuent Ă©videmment la morsure du cynisme, de l’angoisse rentrĂ©e, la peur et le visage de toutes les terreurs politiques, proches en cela de Chostakovitch. SĂ©rieux, insouciant, fantaisiste ou profond… tout l’art de l’insaisissable Stravinsky est magistralement exprimĂ©. L’andante Rapsodico et ses dĂ©lires nĂ©obaroques ou nĂ©oclassiques aprofondit encore la portĂ©e d’autodĂ©rision et de satire Ă peine voilĂ©e. Le toucher prĂ©cis, contrĂŽlĂ© du pianiste offre au mouvement, une grandeur tendre, une coloration de sincĂ©ritĂ© (malgrĂ© les masques que le compositeur aime y user jusqu’Ă l’Ă©cĆurement), totalement irrĂ©sistible.
Rachmaninov, Stravinsky, Shchdrine, un triptyque de la modernitĂ© russe…
Piano fauve et allusif du félin Matsuev
Le Concerto pour piano n°2 de Rodion Shchedrin (ChĂ©drine, nĂ© en 1932) s’impose plus encore par sa carrure de l’Ă©trange, un cycle d’atmosphĂšres et de climats qui perturbent et dĂ©stabilisent. L’opus composĂ© en 1966 et dĂ©diĂ© comme l’ensemble de ses 6 Concertos Ă son Ă©pouse la danseuse Ă©toile MaĂŻa PlissetskaĂŻa (dĂ©cĂ©dĂ©e en 2015) tĂ©moigne de l’inspiration contrastĂ©e, ardente, efficace de son auteur. Morsures hallucinĂ©es, et inquiĂ©tudes finales quasi murmurĂ©es (entre dĂ©sespoir et renoncement total) de “Dialogues” (I); rythmicitĂ© mĂ©canique d’Improvisations : allegro (trĂšs courts scherzo parfois grimaçant et sec) ; l’intĂ©rioritĂ© du compositeur s’affirme vĂ©ritablement dans le dernier et troisiĂšme mouvement notĂ© “Contrastes : Andante – allegro” oĂč le cadre lĂ encore resserrĂ©, fait l’inventaire d’un champs de ruines, dĂ©vastĂ©, criant d’effrayante vĂ©ritĂ©. Le piano Ă la fois funambule et comme hagard de Matsuev saisit par sa juste pudeur, introspective, tĂ©nue, mesurĂ©e oĂč des gouffres s’ouvrent sans filet, contrastant avec des sĂ©quences jazzy d’une inconscience / insouciance d’autant plus inquiĂ©tante que la dualitĂ© des deux climats paraĂźt bien ĂȘtre le miroir de notre Ă©poque : dĂ©ni collectif des sociĂ©tĂ©s consommatrices et violence barbare en plein expansion… tout le mouvement dernier tire sa force hypnotique du contraste nĂ© des deux styles. Shchedrin a ressenti le dĂ©rĂšglement profond de notre sociĂ©tĂ© dans un Concerto dĂ©concertant Ă bien des Ă©gards. DĂ©stabilisant mais terriblement Ă©loquent. La musique nous tend le miroir… ce que nous voyons, grĂące au pianiste en transe, relĂšve de l’horreur absolu. Le rĂ©cital, conçu tel le triptyque de la modernitĂ© russe captive du dĂ©but Ă la fin. Le piano fauve et allusif du fĂ©lin Mastuev saisit par sa prĂ©cision, son mordant, sa justesse, sa maturitĂ© et sa musicalitĂ©. CLIC de classiquenews de janvier 2016.
CD, Ă©vĂ©nement. Denis Matsuev, piano : Rachmaninov (Concerto pour piano n°2, version de 1917), Stravinsky (Capriccio pour piano et orchestre, version de 1949), Shchedrin (Concerto pour piano n°2). Mariinsky Orchestra. Valery Gergiev, direction – Enregistrement rĂ©alisĂ© en 2014 (Rachma), avril 2015 Ă Saint-Petersbourg, Mariinsky Theatre Concert Hall – 1 cd SACD Mariinsky MARO 587.
CD, compte rendu critique. Rachmaninov : Symphonie n°3. Valery Gergiev, novembre 2014 (1 cd LSO Live)
CD, compte rendu critique. Rachmaninov : Symphonie n°3. Valery Gergiev, novembre 2014 (1 cd LSO Live). L’opus 44 de Rachmaninov en la mineur accuse et la prĂ©sence occidentale dans l’oeuvre du symphonisme, le plus ardent parmi les crĂ©ateurs russes aprĂšs Tchaikovski, dĂ©fendant toujours une active Ă©nergie de la nostalgie dans un langage flamboyant qui l’affirme comme un immense crĂ©ateur pour l’orchestre. La Symphonie n°3 combine idĂ©alement tentation panique du repli mĂ©lancolique, voire dĂ©pressif, et esprit de conquĂȘte intĂ©rieur sur des dĂ©mons personnels. Gergiev comprend parfaitement cette ambiguitĂ© inhĂ©rente Ă la sensibilitĂ© d’un Rachmaninov tiraillĂ© : pulsion de vie et effondrement amer… Ecrite en 1936 aux USA, créée en novembre 1936, sous la direction de Leopold Stokowski Ă Philadelphie, la 3Ăšme clame ses humeurs sombres, Ăąpres, toujours suractive. Rachmaninov le dĂ©racinĂ©, fait chanter avec force (particuliĂšrement l’allegro moderato du premier mouvement) son amour pour sa patrie avec une intensitĂ© rare qui renoue avec la partition purement instrumentale antĂ©rieure (L’Ăle des morts de 1909), avant la grand Ćuvre des Danses Symphoniques de 1940.
Le raffinement de l’orchestration, incises trĂ©pidantes et toujours trĂšs actives des cordes, cors majestueux, flĂ»tes et hautbois dansants et insinueux, scintille avec mesure sous la baguette d’un Gergiev trĂšs scrupuleux, toujours parfaitement allant et prĂ©cisĂ©ment dramatique. L’Adagio exprime une douceur attendrie recueillie qui se recentre dans le chant du violon solo, avec des couleurs et accents typiquement amĂ©ricains (sentimentalisme… que Gergiev sait tempĂ©rer en russe qu’il est, Ă©vitant le pathos dĂ©monstratif et appuyĂ© dans lequel trop de chefs s’embourbe).
Dans le dernier mouvement, vif, dont l’Ă©nergie chorĂ©graphique Ă©perdue et conquĂ©rante rappelle Borodine, Gergiev se montre trĂšs attentif Ă mille nuances qui Ă©carte Ă qui sait les percevoir, l’Ă©toffe du clinquant Rachmaninov de la pleine maturitĂ© amĂ©ricaine, d’une dĂ©monstration hollywoodienne. La mise en place trĂšs prĂ©cise des pupitres (dĂ©jĂ parfaite dans l’intervention du contrebasson et du cĂ©lesta dans le second mouvement, produit les mĂȘmes bĂ©nĂ©fices : Rachmaninov y semble parcourir et fouiller toutes ses Ă©motions les plus tĂ©nues, recomposant sa propre lĂ©gende personnelle avec une finesse instrumentale et une cohĂ©rence dans son dĂ©roulement qui souligne la sincĂ©ritĂ© de la construction. La pĂąte du LSO London Symphony Orchestra Ă©vite toute lourdeur, rĂ©vĂ©lant une superbe finesse instrumentale, une sensualitĂ© ardente et souple (6’27 du 3Ăšme mouvement) tout en marquant chaque jalon de la formidable Ă©nergie finale. Tout cela va dans le sens d’une caractĂ©risation scintillante de l’Ă©criture instrumentale, moins, et c’est une tendance lĂ©gitime et juste, vers une approche contrastĂ©e par masses. De sorte que malgrĂ© les soubresauts rythmiques, Gergiev fait souffler une langueur noble et simplement chantante, magistralement nostalgique. En dĂ©finitive, ne voudrait-il pas nous confirmer ce qui demeure le caractĂšre le plus emblĂ©matique de Rachmaninov, son romantisme Ă©perdu, viscĂ©ral, jusqu’au boutiste qui en fait le dernier des grands symphonistes russes tendances classiques, aux cĂŽtĂ©s des Stravinsky, Prokofiev, Chostakovitch, eux aussi bien trempĂ©s mais plus permĂ©ables Ă la modernitĂ© musicale.
Le patriote Balakirev exprime une passion explicite pour la Russie historique et Ă©ternelle dont Russia manifeste clairement l’orgueil, une certaine fiertĂ© enivrĂ©e. Le pilier du Groupe des Cinq y Ă©voque l’histoire russe Ă travers les 3 volets reprĂ©sentatifs : paganisme, gouvernements populaires, empire moscovite, chacune correspondant Ă une mĂ©lodie populaire spĂ©cifique. Créée Ă Saint-PĂ©tersbourg en 1864, rĂ©visĂ©e en 1887, la partition offre un vĂ©ritable condensĂ© d’inspiration russe noble, trĂšs inspirĂ©e par le folklore populaire. MalgrĂ© la grandeur Ă©pique, le chef sait construire l’ouverture sur l’intĂ©rioritĂ©, la suggestion, le raffinement lĂ encore d’une orchestration fine et qui conclue la piĂšce dans un murmure. Une Ă©lĂ©gance rare, une subtilitĂ© de ton font toute la saveur de cette approche qui respire et s’enflamme sans contraintes ni effets superfĂ©tatoires. En somme, un chant musical qui sous la baguette du chef s’Ă©coule et se dĂ©ploie comme une seconde langue.
CD, compte rendu critique. Rachmaninov (1873-1943) : Symphonie n°3 opus 44, 1935-1936. Mily Balakirev (1837-1910) : Russia, seconde ouverture d’aprĂšs 3 thĂšmes populaires russes, 1864, rĂ©vision de 1907. LSO Londons SYmphony Orchestra. Valery Gergiev, direction. Enregistrement rĂ©alisĂ© au Barbican Center de Londre en novembre 2014. 1 cd LSO Live.
Aleko et Francesca da Rimini de Rachmaninov Ă Nancy
Nancy. Rachmaninov : Aleko, F. Da Rimini. 6-15 fĂ©vrier 2015. Superbe et heureuse surprise lyrique proposĂ©e par l’OpĂ©ra de Nancy : les opĂ©ras de Rachmaninov sont trop peu jouĂ©s et pourtant d’un raffinement symphonique et crĂ©pusculaire, souvent saisissant. Aleko – opĂ©ra virtuose du jeune Ă©lĂšve talentueux au Conservatoire de Moscou de 1893) et surtout le flamboyant Francesca da Rimini- composĂ© en 1905, d’aprĂšs le VĂšme chant de l’Enfer de Dante, dĂ©voilent une facette mĂ©connue de compositeur russe, son gĂ©nie théùtral.
Nancy, Opéra de Lorraine
Les 6,8,10,12,15 février 2015
Calderon, Purcarete
Vinogradov, Maksutov, Sebesteyen, Gaskarova, Lifar – Gnidi, Maksutov, Vinogradov, Gaskarova, Liberman
Aleko, 1893
Aboutissement de son apprentissage au Conservatoire de Moscou, le jeune Rachmaninov doit composer un opĂ©ra d’aprĂšs Pouchkine. Illivre la partition scintillante d’Aleko, d’un raffinement orchestral dĂ©jĂ sĂ»r, Ă©gal des opĂ©ras les plus rĂ©ussis de Tchaikovski, avec une science des transitions mĂ©lodiques et des climats, entre Ă©lĂ©gie poĂ©tique, ivresse sensuelle et vertiges amers rarement aussi bien enchaĂźnĂ©s. En seulement 17 jours et suivant l’encouragement admiratif d’Arensky son professeur, Rachmaninov achĂšve Alenko qui lui permet de remporter la grande mĂ©daille d’or, rĂ©compense prestigieuse qu’il rĂ©colte avec un an d’avance : c’est dire la prĂ©cocitĂ© de son gĂ©nie lyrique. MalgrĂ© l’enthousiasme immĂ©diat de Tchaikovski dĂšs la premiĂšre Ă Moscou, Alenko sera ensuite rejetĂ© par son auteur qui le trouvait trop italianisant.
Proche de son sujet, immersion dans le monde tziganes oĂč la libertĂ© fait loi, Rachmaninov inspirĂ© par un milieu d’une sensualitĂ© farouche, Ă la fois sauvage et brutale mais Ă©tincelante par ses accents orientalisants, favorise tout au long des 13 numĂ©ros de l’ouvrage, une succession de danses caractĂ©risĂ©es, Ă©nergiquement associĂ©es, de choeurs trĂšs recueillis et prĂ©sents, un orchestre dĂ©jĂ flamboyant qui annonce celui du Chevalier Ladre de 1906. FidĂšle Ă son sens des contrastes, le jeune auteur fait succĂ©der amples pages symphoniques et chorales Ă l’atmosphĂ©risme envoĂ»tant et duos d’amour entre les Ă©poux, d’un abandon extatique. Parmi les pages les plus abouties qui dĂ©passe un simple exercice scolaire, citons la Cavatine pour voix de basse (que rendit cĂ©lĂšbre Chaliapine, d’un feu irrĂ©sistible plein d’espĂ©rance et de dĂ©sir inassouvi) ou la scĂšne du berceau. e souvenant de Boris de Moussorsgki, la scĂšne tragique s’achĂšve sur un sublime chĆur de compassion et de recueillement salvateur auquel rĂ©pond les remords du jeune homme sur un rythme de marche grimaçante et languissante, avant que les bois ne marque la fin, Ă peine martelĂ©e, furtivement. La maturitĂ© dont fait preuve alors Rachmaninov est saisissante.
Synopsis
Carmen russe ? La passion rend fou… D’aprĂšs Les Tziganes de Pouchkine, Alenko est un jeune homme que la vie de BohĂšme sĂ©duit irrĂ©sistiblement au point qu’il dĂ©cide de vivre parmi les Tziganes. Surtout auprĂšs de la belle Zemfira dont les infidĂ©litĂ©s le mĂšne Ă la folie : possĂ©dĂ©, Aleko tue la jeune femme, sirĂšne fascinante et inaccessible, avant d’ĂȘtre rejetĂ© par le clan qui l’avait accueilli. Le trame de l’action et la caractĂ©risation des protagonistes rappelle Ă©videmment Carmen de Bizet (1875), mais alors que le français se concentre sur le duo mezzo-soprano/tĂ©nor (Carmen, JosĂ©), Rachmaninov choisit le timbre de baryton pour son hĂ©ros tiraillĂ© et bientĂŽt meurtrier.
La figure de Francesca sâimpose dans lâhistoire des amants maudits magnifiques. Bien que mariĂ©e Ă Lanceotto, la jeune femme ne peut rĂ©sister au frĂšre de ce dernier : Paolo. La princesse de Rimini a inspirĂ© de nombreux artistes surtout romantiques : les peintres (cĂ©lĂšbre tableau de monsieur Ingres et de William Dyce en une claire nuit enchantĂ©eâŠ) et les compositeurs tels Liszt (Dante Symphonie), Tchaikovski ou Ambroise Thomas sans omettre Riccardo Zandonai⊠La lecture quâen offre Rachmaninov sâinscrit dans lâillustration tragique, tĂ©nĂ©breuse, crĂ©pusculaire.
L’exceptionnel Francesca da Rimini opus 25 (1905) sur le livret de Modeste Tchaikovski, aux Ă©clats crĂ©pusculaires … souligne combien Rachmaninov est un auteur taillĂ© pour les atmosphĂšres somptueusement fantastiques voire lugubres : pas d’Ă©chappĂ©e possible pour Francesca. La partition met en avant le gĂ©nie symphonique de l’orchestrateur, sa capacitĂ© Ă saisir des ambiances sombres et mĂ©lancoliques que sous-tend cependant une rĂ©elle Ă©nergie tendre (ample et prophĂ©tique prĂ©lude, trĂšs dĂ©veloppĂ©). Les profils psychologiques sont remarqualement caractĂ©risĂ©s par un orchestre ocĂ©anique qui fait souffler une houle flamboyante et introspective : difficile de rĂ©sister au chant de Lanceotto Malatesta (baryton) chez qui s’embrase littĂ©ralement le feu dĂ©vorant du soupçon et de la jalousie.
En dĂ©pit d’un livret assez sommaire et trĂšs schĂ©matique de Modeste Tchaikovsky, la musique comble les vides criants du texte, dĂ©veloppe de superbes variations symphoniques sur chaque situations en conflits opposant les deux amants ivres et impuissants face au venin de plus en plus menaçant de Lanceotto. StructurĂ© en flasback, le livret mĂȘle prĂ©sent de l’action tragique et dramatique, et passĂ©.
Le prologue Ă©voque le premier et le second cercle des enfers que traverse Dante conduit par Virgile (comme dans le tableau de Delacroix oĂč les deux sont sur la barque sur un ocĂ©an inquiĂ©tant…). Dante aperçoit l’Ăąme et les fantĂŽmes errants de Paolo et Francesca…
Au premier tableau, ans la palais Malatesta, le trĂšs grand monologue de Lanceotto Malatesta, solitaire, douloureux tĂ©moin d’un amour qu’il ne peut attĂ©nuer sans le dĂ©truire, se glisse l’amertume de Rachmaninov lui-mĂȘme qui compose cette partie (1900) alors qu’il vit une profonde dĂ©pression aprĂšs l’Ă©chec de sa premiĂšre symphonie. Conflit entre rage et impuissance tenace face au destin qui renforce sa totale frustration : Francesca qu’il aime en aime un autre : son propre frĂšre, Paolo. Toute la thĂ©matique de la malĂ©diction se dĂ©ploie ici avec des couleurs inouĂŻes. Contraint de partir Ă la guerre, Lanceotto exprime nĂ©anmoins ses soupçons et sa colĂšre dĂ©munie. Le meurtre est Ă©vacuĂ© en quelques mesures comme si l’opĂ©ra Ă©tait plutĂŽt centrĂ© sur le ressentiment du frĂšre trahi et Ă©cartĂ© : Lanceotto est le vrai protagoniste de ce drame Ă la fois Ă©conome et fulgurant.
Dans le tableau II, en l’absence de son frĂšre, le beau Paolo fait sa cour Ă Francesca en lui narrant subtilement l’histoire de Lancelot et de GueniĂšvre : adultĂšre et trahison d’une force irrĂ©pressible au son de la harpe enchantĂ©e… Rachmaninov peint alors un superbe lieu d’amour enchantĂ© : ce lieu mĂȘme qu’Ă©voque insidieusement Paolo, lĂ oĂč GueniĂšvre s’est donnĂ© au chevalier magnifique. Les deux s’embrassent quand surgit Lanceotto qui les poignarde de fureur.
L’Epilogue (avec son choeur surexpressif bouche fermĂ©e) Ă©voque le retour de Dante conduit par Virgile hors du second cercle des Enfers. L’ouvrage s’achĂšve ainsi dans les brumes du souvenir, de l’Ă©vocation fantomatique, comme un songe surnaturel.
CD. On ne saurait mieux conseiller la version signĂ©e il y a presque 20 ans, en 1996 par Neeme JĂ€rvi et le symphonique de Gothenburg (Decca) avec deux monstres sacrĂ©s du chant russe : le baryton ardent et noble Serguei Leiferkus (Lanceotto) et le tĂ©nor non moins hallucinant Serguei Larin dans le rĂŽle Ă©perdu de Paolo. Chacun Ă©blouit dans la premiĂšre et seconde partie. Il est temps de reconnaĂźtre le gĂ©nie lyrique de Rachmaninov tel qu’il se dĂ©voile dans ses pages hautement dramatiques. Certes la livret pĂȘche mais la construction et l’intelligence musicale captivent de bout en bout : la fin prĂ©cipite le drame, l’Ă©vocation des enfers de Dante offre une fresque symphonique avec chĆur d’une Ă©vidente puissance poĂ©tique.
Les VĂȘpres de Rachmaninov
France Musique : le 9 janvier, 14h. Rachmaninov : Les VĂȘpres. DĂ©but 1915, il y a un siĂšcle, en pleine guerre, Rachmaninov compose entre janvier et fĂ©vrier 2015, les VĂȘpres opus 36 : 15 Cantiques pour chĆur et solistes a cappella (six pages de vĂȘpres et neuf de matines). Il utilise les mĂ©lodies du rituel orthodoxe comme il lâavait fait pour la Liturgie. Refus du brio, absence de virtuositĂ©, le cycle exprime une nouvelle intĂ©rioritĂ©, une profondeur qui est liĂ©e aux derniers Ă©vĂ©nements de la vie personnelle et amicale : simplicitĂ© et sincĂ©ritĂ© Ă©blouissent ici, nuançant lâimage du Rachmaninov, prodige au piano et concertiste cĂ©lĂ©brĂ© dans les plus grandes salles de concert. LâĆuvre est celle dâun homme atteint, hantĂ© par la mort : depuis la dĂ©claration de la premiĂšre guerre, Rachmaninov a rĂ©duit son activitĂ© de compositeur ; il perd aussi quelques temps aprĂšs la crĂ©ation des VĂȘpres, plusieurs de ses amis et proches : Scriabine, leur ancien professeur TaneĂŻev, puis surtout son pĂšre. Rachmaninov confirme Ă ses proches : « il est impossible de vivre quand on sait que lâon doit de toute maniĂšre finir par mourir ».
France Musique. Rachmaninov : Les VĂȘpres. Vendredi 9 dĂ©cembre 2014, 14h. ChĆur de Radio France. Celso Antunes, direction.
DVD. Rachmaninov. Film de Pavel Lounguine (2006)
DVD. Rachmaninov. Film de Pavel Lounguine (2006). Il y a beaucoup de tendresse dans ce « faux » biopic dĂ©diĂ© au pianiste et compositeur Sergei Rachmaninov (1873-1943). Il sâagit plutĂŽt dâune variation autour de sa vie, un rĂ©sumĂ© subjectif qui parle en terme de sĂ©quences, climats, courtes visions, alternant entre sa tournĂ©e menĂ©e Ă un rythme dâenfer aux USA (premiĂšre moitiĂ© des annĂ©es 1920), sa vie dâexpatriĂ© Ă Los Angeles; les souvenirs de son enfance russe (avant la RĂ©volution bolchĂ©vique), dans la maison familiale oĂč rĂšgne, parfum et prĂ©sence obsessionnelle tout au long du film, la douce matiĂšre olfactive des lilas blancs (tournĂ© en 2006, et sorti lâannĂ©e suivante, le film sâintitulait « Lilacs »). Le Rachmaninov de Lounguine est un artiste demeurĂ© enfant. Un pianiste virtuose qui Ă©lectrise les salles, mais un compositeur dĂ©racinĂ©, Ă©corchĂ©, frustrĂ©. Tiraillement intĂ©rieur souvent exposĂ©/exprimĂ© de façon bien naĂŻve, clichĂ©s Ă lâappui : le compositeur est Ă son piano dĂ©chirant dans des mines investies, les papiers oĂč sâenchaĂźnent des portĂ©es insatisfaisantes.
les lilas blancs de RachmaâŠ
Le cinĂ©aste russe nĂ© en 1949, brosse un portrait souvent manichĂ©en du musicien : il en fait un nostalgique absent, au regard lointain, Ă©videmment portĂ© sur lâalcool et la cigarette (ces deux travers ont effectivement causĂ© la mort de Rachmaninov). Dans le rĂŽle principal, lâacteur Evgeniy Tsyganov ne manque pourtant pas de prĂ©sence Ă lâĂ©cran. A ses cĂŽtĂ©s papillonnent des femmes amoureuses, admiratives (dont surtout la rĂ©volutionnaire Mariana), aprĂšs sa premiĂšre muse plutĂŽt froide et distante : Anna, femme sirĂšne qui assiste dĂ©faite Ă la crĂ©ation (catastrophique) de sa PremiĂšre Symphonie (le chef Ă©tait ivre). AprĂšs cette infamie, ils ne se reverront plus⊠suit lâerrance du pauvre compositeur dans les rues sombres et froides dâune ville glaçante (encore un clichĂ© !). La figure fĂ©minine qui lâaccompagne et le pousse mĂȘme dans toutes les nouvelles Ă©preuves de sa vie reste sa cousine Natalya, dâabord complice en tout, puis son Ă©pouse qui le suit comme une ombre fidĂšle dans ses tournĂ©es au rythme trĂ©pidant.
MalgrĂ© un travail iconographique sĂ»r (nombreuses images dâĂ©poque de lâAmĂ©rique des annĂ©es 1920), malgrĂ© une photographie trĂšs raffinĂ©e (surtout dans les sĂ©quences qui replongent dans la Russie impĂ©riale dâavant la RĂ©volution), le film garde un goĂ»t dâinachevĂ© dans la construction alternĂ©e, surtout dans le traitement du personnage central : Ă©vocation plus quâincarnation, silhouette qui glisse sur la vie et les Ă©preuves plutĂŽt que force crĂ©ative douĂ©e dâun fort tempĂ©rament nĂ©oclassique et postromantique qui a fait de Serguei Rachmaninov un adolescent adulĂ©, prodige du piano et immĂ©diatement encouragĂ© par TchaĂŻkovski lui-mĂȘme: ce dernier est dâailleurs citĂ© mais absent, lors dâun diner auquel le jeune Rachmaninov retardataire paraĂźt tardivement et plutĂŽt dĂ©solĂ© (il sâenivrait dans les bras de sa muse). A en croire le film, ce manque dâĂ©gard pour Tchaikovski scelle la rupture avec son professeur et mentor Sverev qui le renvoie de sa pension acadĂ©mie.
Lounguine prend prĂ©texte dâune Ă©vocation esquissĂ©e pour traiter des thĂšmes habituels dans sa filmographie : nostalgie de la Russie de naguĂšre, choc de la RĂ©volution⊠pour autant le drame dâune vie, celle de Rachmaninov expatriĂ©, la question de la crĂ©ation, et dans lâactivitĂ© artistique, le dilemme entre virtuositĂ© creuse mais rentable du pianiste virtuose, et angoisse du compositeur dĂ©tournĂ© de son Ćuvre… sont bĂąclĂ©s dans une sĂ©rie dâimages jolies … hĂ©las, rien que dĂ©coratives.
On croit difficilement Ă ce personnage un peu creux qui manque de profondeur. Les connaisseurs ou les amateurs, mĂ©lomanes avertis, attirĂ©s par le sujet du film, nây retrouveront pas lâauteur enflammĂ© des opĂ©ras Aleko, Le chevalier ladre et de Francesca da Rimini (ouvrages lyriques Ă redĂ©couvrir d’urgence, d’un flamboiement fantastique somptueusement articulĂ© Ă l’orchestre !), de lâIle des morts et du poĂšme symphonique Les cloches, des trois Concertos pour piano, Ćuvres majeures du XXĂšme siĂšcle, si diamĂ©tralement opposĂ©es esthĂ©tiquement des piĂšces de Stravinsky ou de Prokofiev. Ici Rachmaninov est un doux rĂȘveur, un peu trop doux. Un agneau Ă©garĂ© qui fuyant le pays des Soviets, reste tout autant Ă la marge au pays de lâoncle Sam et se perd dans des tournĂ©es menĂ©es tambour battant mais tragiquement trompeusesâŠ
DVD. Rachmaninov. Film de Pavel Lounguine (2006, sorti dans les salles en 2007). Parution en dvd : début décembre 2014.
approfondir
Dossier. Les opĂ©ras de Serge Rachmaninov.  A lâoccasion de la parution chez Decca dâun coffret de 32 cd (Rachmaninov : the complete works, lâintĂ©grale, Decca 32 cd, octobre 2014) regroupant tout lâĆuvre du compositeur russe, toujours si mĂ©sestimĂ©, classiquenews rĂ©ouvre le dĂ©bat du gĂ©nie incompris, porteur dâauthentique chefs dâoeuvres dont ses 4 opĂ©ras, diversement livrĂ©s, certains incomplets dont Monna Vanna (seul subsiste le matĂ©riel du premier acte). DâAleko et du Chevalier ladre à  Francesca da Rimini,les opĂ©ras de Rachmaninov nâont rien de ce post classicisme artificiel et sentimental, mais plutĂŽt souligne le crĂ©pitement dâun auteur fascinĂ© par les climats hallucinĂ©s et fantastiques, ceux exacerbĂ©s qui dans un style millimĂ©trĂ©, retenu, pudique â proche de sa nature profonde- Ă©clairent et rĂ©vĂšlent la psychĂ© secrĂšte et souterraine des protagonistes⊠LIRE notre dossier les opĂ©ras de Rachmaninov
3Ăšme Concerto de Rachmaninov au TAP de Poitiers
Poitiers, TAP. 3Ăš Concerto pour piano de Rachmaninov. 16 novembre, 15h. Danses et scintillements post romantiques au fĂ©mininâŠDeux AmĂ©ricaines, une pianiste et une chef dâorchestre, sont les maĂźtresses de cĂ©rĂ©monie de ce programme au TAP de Poitiers, largement inspirĂ© par la danse. Les cycles de Danses slaves furent composĂ©es par DvorĂĄk suite au succĂšs des Danses hongroises de Brahms, son grand ami rencontrĂ© Ă Vienne, et reprennent des danses populaires telles les dumkas, polkas, scocnas aux rythmes si contrastĂ©s. La Pianiste Natasha Paremski, nĂ©e en Russie est lâune des rares femmes Ă jouer le 3e Concerto de Rachmaninov, monument de virtuositĂ© qui exige de son interprĂšte une largeur de main inhabituelle. La chef dâorchestre mexicaine Alondra de la Parra dirige en conclusion du concert, le DanzĂłn dâArturo MĂĄrquez, une danse Ă nouveau mais celle-ci typique de la musique mexicaine du 20e siĂšcle imprĂ©gnĂ©e de musique cubaine, entraĂźnante et sollicitant tous les feux de lâorchestre.
Rachmaninov : 3Ăšme Concerto pour piano et orchestre
EtĂ© 1909, Rachma vient dâachever son sublime poĂšme symphonique LâĂźle des morts dâaprĂšs le peintre Böcklin, il prĂ©pare en outre une grande tournĂ©e outre-Atlantique (USA) comme pianiste et compositeur pour lâautomne. Son 3Ăšme Concerto pour piano doit dĂ©passer la rĂ©ussite du Second, affirmer sa virtuositĂ© de soliste tout en sachant aussi se renouveler. Le 3Ăšme Concerto est donc créé pendant la tournĂ©e sur le cĂŽte Est amĂ©ricaine, en novembre 1909 Ă New York, avec la complicitĂ© de Gustav Mahler alors directeur du Philharmonique. La sincĂ©ritĂ© du style, la clartĂ© de dĂ©veloppement affirment entre autres la maturitĂ© du compositeur. ComposĂ© dans sa chĂšre maison familiale dâIvanovka, le Concerto dĂšs son premier mouvement impose la poĂ©sie de thĂšmes simples, enfantins, immĂ©diatement accessibles comme lâindice dâune confession murmurĂ©e Ă lâoreille dâun ami. La cadence du premier mouvement renoue avec lâinsouciance et lâinnocence primitive Ă laquelle aspirent tous les Romantiques. Le second mouvement, Intermezzo, rĂ©fĂ©rence au tableau central du Concerto de Schumann, fait se succĂ©der un jaillissement dâĂ©motions diverses et jamais contraintes, dâune volubilitĂ© aĂ©rienne qui nâĂ©carte pas la profondeur des affects les plus intimes. Enfin, le dernier mouvement est bĂąti comme un galop, une chevauchĂ©e irrĂ©pressible qui va son terme sans dĂ©vier dâune mesure : lâallant et la dĂ©termination du compositeur sây imposent sans transiger. Versatile sans dilution, inspirĂ© sans artifice, le soliste requis doit nuancer et rĂ©aliser ce scintillement de sentiments habilement combinĂ©s qui font la valeur du 3Ăšme Concerto de 1909, vĂ©ritable joyau du postromantisme.
TAP, Poitiers. Dimanche 16 novembre 2014, 15h
Rachmaninov, Dvorak, Marquez... Â
Orchestre National Bordeaux Aquitaine
Rachmaninov / DvoĆĂĄk / Marquez
Alondra de la Parra, direction
Natasha Paremski, piano
> Sergueï Rachmaninov : Concerto pour piano n°3
> Anton DvorĂĄk : Danses Slaves op.46
> Arturo Mårquez : Danzón n°2
Les opĂ©ras de Rachmaninov : Aleko, Le Chevalier Ladre… Dossier spĂ©cial
Dossier. Les opĂ©ras de Serge Rachmaninov. A l’occasion de la parution chez Decca d’un coffret de 32 cd (Rachmaninov : the complete works, l’intĂ©grale, Decca 32 cd, octobre 2014) regroupant tout l’Ćuvre du compositeur russe, toujours si mĂ©sestimĂ©, classiquenews rĂ©ouvre le dĂ©bat du gĂ©nie incompris, porteur d’authentique chefs d’oeuvres dont ses 4 opĂ©ras, diversement livrĂ©s, certains incomplets dont Monna Vanna (seul subsiste le matĂ©riel du premier acte). D’Aleko et du Chevalier ladre Ă Francesca da Rimini, les opĂ©ras de Rachmaninov n’ont rien de ce post classicisme artificiel et sentimental, mais plutĂŽt souligne le crĂ©pitement d’un auteur fascinĂ© par les climats hallucinĂ©s et fantastiques, ceux exacerbĂ©s qui dans un style millimĂ©trĂ©, retenu, pudique – proche de sa nature profonde- Ă©clairent et rĂ©vĂšlent la psychĂ© secrĂšte et souterraine des protagonistes…
Aleko, 1893
Aboutissement de son apprentissage au Conservatoire de Moscou, le jeune Rachmaninov doit composer un opĂ©ra d’aprĂšs Pouchkine. Illivre la partition scintillante d’Aleko, d’un raffinement orchestral dĂ©jĂ sĂ»r, Ă©gal des opĂ©ras les plus rĂ©ussis de Tchaikovski, avec une science des transitions mĂ©lodiques et des climats, entre Ă©lĂ©gie poĂ©tique, ivresse sensuelle et vertiges amers rarement aussi bien enchaĂźnĂ©s. En seulement 17 jours et suivant l’encouragement admiratif d’Arensky son professeur, Rachmaninov achĂšve Alenko qui lui permet de remporter la grande mĂ©daille d’or, rĂ©compense prestigieuse qu’il rĂ©colte avec un an d’avance : c’est dire la prĂ©cocitĂ© de son gĂ©nie lyrique. MalgrĂ© l’enthousiasme immĂ©diat de Tchaikovski dĂšs la premiĂšre Ă Moscou, Alenko sera ensuite rejetĂ© par son auteur qui le trouvait trop italianisant.
Proche de son sujet, immersion dans le monde tziganes oĂč la libertĂ© fait loi, Rachmaninov inspirĂ© par un milieu d’une sensualitĂ© farouche, Ă la fois sauvage et brutale mais Ă©tincelante par ses accents orientalisants, favorise tout au long des 13 numĂ©ros de l’ouvrage, une succession de danses caractĂ©risĂ©es, Ă©nergiquement associĂ©es, de choeurs trĂšs recueillis et prĂ©sents, un orchestre dĂ©jĂ flamboyant qui annonce celui du Chevalier Ladre de 1906. FidĂšle Ă son sens des contrastes, le jeune auteur fait succĂ©der amples pages symphoniques et chorales Ă l’atmosphĂ©risme envoĂ»tant et duos d’amour entre les Ă©poux, d’un abandon extatique. Parmi les pages les plus abouties qui dĂ©passe un simple exercice scolaire, citons la Cavatine pour voix de basse (que rendit cĂ©lĂšbre Chaliapine, d’un feu irrĂ©sistible plein d’espĂ©rance et de dĂ©sir inassouvi) ou la scĂšne du berceau. e souvenant de Boris de Moussorsgki, la scĂšne tragique s’achĂšve sur un sublime chĆur de compassion et de recueillement salvateur auquel rĂ©pond les remords du jeune homme sur un rythme de marche grimaçante et languissante, avant que les bois ne marque la fin, Ă peine martelĂ©e, furtivement. La maturitĂ© dont fait preuve alors Rachmaninov est saisissante.
Synopsis
Carmen russe ? La passion rend fou… D’aprĂšs Les Tziganes de Pouchkine, Alenko est un jeune homme que la vie de BohĂšme sĂ©duit irrĂ©sistiblement au point qu’il dĂ©cide de vivre parmi les Tziganes. Surtout auprĂšs de la belle Zemfira dont les infidĂ©litĂ©s le mĂšne Ă la folie : possĂ©dĂ©, Aleko tue la jeune femme, sirĂšne fascinante et inaccessible, avant d’ĂȘtre rejetĂ© par le clan qui l’avait accueilli. Le trame de l’action et la caractĂ©risation des protagonistes rappelle Ă©videmment Carmen de Bizet (1875), mais alors que le français se concentre sur le duo mezzo-soprano/tĂ©nor (Carmen, JosĂ©), Rachmaninov choisit le timbre de baryton pour son hĂ©ros tiraillĂ© et bientĂŽt meurtrier.
Le Chevalier ladre, 1906
Le Chevalier Ladre est créé au Théùtre BolshoĂŻ le 24 janvier 1906 ; l’ouvrage taillĂ© comme un diamant noir, semble exprimer au plus prĂšs la tension psychologique imaginĂ©e par Pouchkine dans sa chronique familiale, Ă©vocation noire et sombre, maudite, de la relation tragique d’un baron fortunĂ© mais avare, et de son fils rattrapĂ© par ses crĂ©anciers dont le Duc. L’efficacitĂ© du style lyrique de Rachmaninov s’y rĂ©vĂšle idĂ©ale : dense, fulgurante, d’une flamboiement orchestral inouĂŻ, aussi noir et sombre voire lugubre, et mĂȘme frappĂ© par ce fantastique hallucinĂ© propre aux meilleures sĂ©quences de Tchaikovski.
Le baron est un Ă©mule d’Harpagon de MoliĂšre mais avec des Ă©clairs de rage et de haine viscĂ©rale, Rachmaninov suivant de prĂšs le profil qu’en trace Pouchkine : une Ăąme dĂ©chirĂ©, aux abois, en panique, dont l’admirable monologue (grand air Ă l’origine Ă©crit pour Fedor Chaliapine qui dĂ©clina la proposition de crĂ©er ce formidable personnage) Ă©claire les vertiges et la folie souterraine. Pas de femmes dans un univers, – comme La maison des morts de Janacek, et Billy Budd de Britten-, uniquement masculin, Ă©touffant huit clos oĂč la tension psychique et la violence affleurante rĂ©vĂšle les personnalitĂ©s. C’est ainsi le profil aigu, soupçonneux, un rien corrosif de l’usurier juif d’un hĂ©roĂŻsme sadique trop heureux de contraindre une victime toute dĂ©signĂ©e qu’il soumet par l’argent.
Ayant eu le choc de Bayreuth, Rachmaninov façonne un nouvel orchestre miroitant, d’une richesse instrumentale inĂ©dite dont le raffinement exprime toutes les nuances de la psychĂ© en effervescence : dans le fameux monologue du baron, l’orchestre s’Ă©coule comme un torrent embrasĂ© aux ondulations et scintillements wagĂ©nriens. Jamais trop dense, mais millimĂ©trĂ©e, la partition rĂ©vĂšle les grands chefs (encore rares comme Neeme JĂ€rvi qui se sont frotter au monde fascinant des opĂ©ras de Rachmaninov). Jamais bavard, ou mĂ©canique dans l’usage de formules russes folkloriques, le style de Rachmaninov exprime l’intensitĂ© des passions humaines avec une Ă©lĂ©gance et une pudeur qui n’appartiennent qu’Ă son puissant gĂ©nie dramatique. L’inspiration du compositeur rejoint les grandes rĂ©ussites de son catalogue symphonique : Symphonie n°2, l’Ăle des mort, Les cloches… Le Chevalier ladre relĂšve et du poĂšme symphonique avec voix, et de l’Ă©pure psychologique, tant le dĂ©veloppement du tissu orchestral comme chez Wagner suit au plus prĂšs les enjeux dramatiques et l’Ă©volution des personnages au cours de l’action. Tout converge vers la confrontation violente, sans issue du pĂšre et du fils. La caresse inquiĂ©tante des clarinettes, la morsures plus cyniques des hautbois, le hoquet ou les Ă©clairs tĂ©nus des bassons composent avec le flot inquiĂ©tant des cordes, une houle imprĂ©visible et envoĂ»tante : ils indiquent une connaissance prĂ©cise des possibilitĂ©s de l’orchestre en un flux hallucinĂ© continu, proche du cauchemar Ă©veillĂ© ou de l’accomplissement d’une inĂ©luctable et sourde malĂ©diction. L’introduction du grand monologue du baron dont la folie affleure, est l’une des pages orchestrales les plus rĂ©ussies de Rachmaninov, comme l’air dans sa totalitĂ©, Ă©cho trĂšs original du Boris de Moussorgski dont Rachmaninov a compris le schĂ©ma introspectif qui mĂšne le hĂ©ros rongĂ© et tiraillĂ© par ses dĂ©mons invisibles, de l’hallucination Ă la transe : l’Ă©criture Ăąpre, mordante, expressionniste y exprime la destruction mentale et les dĂ©rĂšglements intĂ©rieurs dont est la proie l’avare dĂ©risoire… Le climat qui y est peint est celui d’une tragĂ©die fantastique et dĂ©sespĂ©rĂ©e. D’une Ă©nergie noire, la partition s’achĂšve sur une sĂ©rie de quatre accords qui claquent comme l’interruption providentielle d’un destin foudroyĂ©. L’effet est toujours saisissant.
Synopsis
InspirĂ© du Chevalier Avare de Pouchkine (1830). Le baron, avare refuse de prĂȘter Ă son fils la moindre de ses richesses : Albert dĂ©muni doit emprunter toujours, en particulier au Duc. Quand une confrontation est inĂ©vitable entre le Duc, le baron et son fils, celui est violemment pris Ă partie par son pĂšre au bord de la folie qui l’accuse de vouloir l’assassiner… L’argent rend fou, le poison des richesses s’accomplit ici avec une violence terrifiante mais au final c’est le baron fragile psychiquement qui meurt d’une crise cardiaque…
Aleko
OpĂ©ra en un acte, sans numĂ©ro d’opus.âšLivret de V. Nemirovich-Dantchenko d’aprĂšs le poĂšme de Pouchkine, Les Gitans. ComposĂ© en avril 1892 pour l’examen final du conservatoire de Moscou.âšPremiĂšre reprĂ©sentation Ă Moscou le 27 avril 1893 au BolchoĂŻ sous la direction d’Altani.
Le Chevalier ladre
Opus 24, composĂ© en 1903/1905.âšOpĂ©ra en trois actes, livret d’aprĂšs PouchkineâšCommencĂ© en aoĂ»t 1903. TerminĂ© en fĂ©vrier 1904.âšPremiĂšre reprĂ©sentation Ă Moscou en janvier 1906 au BolchoĂŻ sous la direction de Rachmaninov.
Francesca Da Rimini
Opus 25, composĂ© en 1904/1905.âšOpĂ©ra en deux actes avec prologue et Ă©pilogue, livret de Modest I. TchaĂŻkovski d’aprĂšs un Ă©pisode de l’Inferno de Dante (VĂšme chant). âšPremiĂšre reprĂ©sentation Ă Moscou en janvier 1906 au BolchoĂŻ, sous la direction de Rachmaninov (en mĂȘme temps que Le chevalier Ladre).
CD, coffret. Rachmaninov : the complete works, integrale (32 cd Decca)
CD, coffret. Rachmaninov : the complete works, integrale (32 cd Decca). Serge Rachmaninov (1873-1943) a longtemps souffert d’un surplus de pathos miĂšvre et sirupeux que bon nombre de ses interprĂštes au disque comme au concert semblent vouloir toujours et encore nous assĂ©ner… en toute mĂ©connaissance profonde de sa personnalitĂ© comme de sa sensibilitĂ©. Quand certains aiment souligner avec force effets de poignets au clavier ou Ă la direction, ce romantisme classicisant, sentimental et outrageusement pathĂ©tique, d’autres comme Vladimir Ashkenazy ont cultivĂ©, comme pianiste et comme chef, une voie mĂ©diane, plus dĂ©licate, mais plus juste dĂ©fendant un Rachma, dĂ©finitivement et essentiellement pudique, Ă©lĂ©gant, d’une mesure suggestive, spĂ©cifiquement allusive (en rien dĂ©monstrative).
Tel peut-ĂȘtre l’enseignement de ce coffret somptueux et finalement rĂ©capitulatif qu’Ă©dite Decca, comme un hommage Ă l’affinitĂ© de l’interprĂšte pour un compositeur qu’il a servi avec une indĂ©fectible Ă©nergie, dĂ©fendant avec la mĂȘme ardeur, l’Ă©clat lunaire, voire mĂ©lancolique et mĂȘme saturnien d’un compositeur russe aussi mĂ©connu que peuvent ĂȘtre mieux servis Ă l’inverse, ses contemporains, les modernes Stravinsky et Prokofiev.
Les 32 cd de cette intĂ©grale impressionnante par sa cohĂ©rence artistique et sa grande unitĂ© esthĂ©tique offre une palette complĂšte, le legs d’une recherche interprĂ©tative qui dans le cas de Vladimir Ashkenazy remonte Ă 40 ans, les premiers enregistrements au piano datant du milieu des annĂ©es 1970 (1975 pour le premier cd : les 24 PrĂ©ludes, enregistrĂ©s entre 1974 et 1975) et les plus rĂ©cents remontant Ă 2012 (cd 8 comprenant Morceaux de salon opus 10, 3 Nocturnes, 4 PiĂšces opus 1). Aux cĂŽtĂ©s d’Ashkenazy, le coffret prĂ©sente Ă©galement des alternatives complĂ©mentaires fameuses : ainsi dans le CD3, les variations sur un thĂšme de Chopin par Jorge Bolet (1986), ou la Sonate n°1 en rĂ© mineur opus 28 par Alexis Weissenberg (1987), … Ă©galement entre autres, la complicitĂ© devenue lĂ©gendaire Ă deux pianos d’Argerich et Freire dans la transcription des Danses Symphoniques opus 45 (2009). SimultanĂ©ment Ă ses enregistrement des Ćuvres pour piano seul (septembre 1974), Ashkenazy enregistre les mĂ©lodies avec Elisabeth Sodeström, soit un cycle de 3 cd Ă©blouissants, d’une profondeur et d’une sincĂ©ritĂ© intactes, rĂ©alisĂ©s jusqu’en 1980.
Mais les premiers enregistrements rĂ©alisĂ©s par Ashkenazy chez Decca concerne les Concertos pour piano mis en boĂźte dĂšs le dĂ©but des annĂ©es 1970 : ainsi le n°1 (1970) comme soliste avec le London Symphony Orchestra sous la direction d’AndrĂ© PrĂ©vin, puis l’annĂ©e suivante, en 1971, les n°2,3 et 4. Le coffret comprend aussi les versions originales des n°1 et 4 enregistrĂ©es par Ashkenazy chef d’orchestre (soliste : Alexander Ghindin) avec le Philharmonique d’Helsinki en mars 2001.
Les pages symphoniques suivent l’enregistrement des Concertos pour piano ; Ashkenazy enregistrant les Symphonies 1 et 3 dans les annĂ©es 1980. Et aussi la Symphonie Jeunesse de 1891 en 1983 avec le Concertgebouw Orchestra. ComplĂ©tant le volet strictement symphonique, la Symphonie n°2 (opus 27) est ici celle dirigĂ©e par Edo de Waart, enregistrĂ©e dĂšs mai 1973. Parmi les fresques orchestrales, les plus rĂ©ussies citons les Danses Symphoniques opus 45 (1983), surtout les sublimes Cloches – Kolokola opus 35 d’aprĂšs Edgar Allan Poe (1984) enregistrĂ© avec le mĂȘme Concertgebouw Orchestra.
Les 4 opĂ©ras de Rachmaninov. Les raretĂ©s du coffret concernent surtout les opĂ©ras de Rachmaninov, au symphonisme flamboyant dont on ne comprend pas bien pourquoi ils ne sont pas plus souvent jouĂ©s car leur dramatisme intense y est souvent conjuguĂ© Ă un dĂ©veloppement condensĂ©, trĂšs efficace ; ainsi : Aleko (1892, composĂ© par l’Ă©tudiant du Conservatoire de Moscou, dĂ©jĂ admirĂ© par Tchaikovski), Le chevalier ladre opus 24 (1904, inspirĂ© comme Aleko de Pouchkine) dont l’ouverture saisit immĂ©diatement par le sens de la couleur, le climat de malĂ©diction sombre auquel rĂ©pond des Ă©clairs scintillants d’espoir (c’est un huit clos entre un pĂšre fortunĂ© mais pingre et son fils)…, surtout l’exceptionnel Francesca da Rimini opus 25 (1905) sur le livret de Modeste Tchaikovski, aux poudroiements crĂ©pusculaires … les 3 ouvrages sont enregistrĂ©s de façon trĂšs convaincantes par Neeme JĂ€rvi Ă l’Ă©tĂ© 1996. On comprend TchaĂŻkovski dĂ©couvrant Ă Moscou le feu dramatique du jeune Rachma alors Ă©tudiant prĂ©coce de seulemnt 19 ans… S’il n’avait Ă©tĂ© sĂ©duit par d’autres formes, en particulier celles dĂ©rivĂ©es du piano dont il Ă©tait virtuose, Rachmaninov se rĂ©vĂšle passionnant dramaturge. L’opĂ©ra, plus dĂ©veloppĂ© dans son Ćuvre, aurait probablement atteint le mĂȘme essor que celui de Piotr Illyitch… le compositeur sait en quelques mesures faire surgir le trĂ©fonds des Ăąmes Ă©prouvĂ©es, exprimer tous les enjeux dramatiques de la situation : n’Ă©coutez que le monologue du baron avare, si dur envers son fils Albert (l’introduction orchestrale Ă©gale La Dame de Pique de TchaĂŻkovski), longue tirade tourmentĂ© Ă l’Ă©criture prĂ©cise et souterraine qui au dĂ©part Ă©tait destinĂ© Ă l’immense Chaliapine… Rachmaninov s’y montre parfait assimilateur du Wagner de Bayreuth, un modĂšle qui lui inspire une orchestration riche et transparente. C’est pourquoi les 4 opĂ©ras ici regroupĂ©s sont de premiĂšre importance et d’un plaisir inouĂŻ. Le feu trĂšs articulĂ© de JĂ€rvi toujours soucieux de lisibilitĂ© y compris dans les scĂšnes avec choeur, se rĂ©vĂšle passionnant d’autant qu’il rĂ©unit une distribution luxueuse comptant entre autres : le lĂ©gendaire et passionnĂ© Sergei Larin dans le rĂŽle d’Albert fils du baron avare, l’incandescent et phĂ©nomĂ©nal Sergei Leiferkus, Maria Gulhina (leur duo dans la derniĂšre partie de Francesca est captivant-) … ; mĂȘme dĂ©couverte fructueuse avec Monna Vanna, scĂšne 1,2 3 de l’acte I (1907 : dans l’enregistrement rĂ©alisĂ© en 1991 par Igor Buketoff, direction qui en proposait alors Ă la demande des descendants, la premiĂšre restitution du seul premier acte : en anglais, la distribution n’a pas l’assise ni l’unitĂ© dramatique des JĂ€rvi ; seul Sherrill Milnes en Guido convainc).
Les fleurons de la musique de chambre ne sont pas Ă©cartĂ©s (intĂ©grale oblige) : les 2 trios Ă©lĂ©giaques par le Beaux Arts Trio (1986) ni les Quatuors Ă cordes n°1 et n°2 (Goldner string Quartet, 2009)… TrĂšs complet le coffret complĂšte l’apport d’Ashkenazy par la lecture d’autres interprĂštes tout autant convaincants, c’est le cas pour les Concertos pour piano de Sviastoslav Richter (n°2, 1959), Argerich / Chailly (n°3, 1982), Zoltan Kocsis (n°4, 1982). Mais rien ne vaut au final, l’Ă©coute du compositeur lui-mĂȘme grand pianiste cĂ©lĂ©brĂ© de son vivant, grĂące au cd32 qui rĂ©unit les fameux enregistrements de Rachmaninov conservĂ©s sur rouleaux Ampico et rĂ©alisĂ©s entre 1919 et 1929 : le compositeur y joue ses propres oeuvres (Morceaux de fantaisie opus 3, Etudes tableaux opus 39 n°4 et 6…) mais aussi plusieurs transcriptions de son cru d’aprĂšs Moussorgksi, Rimsky (le vol du bourdon), Kreisler… le dernier cd comprend un entretien audio avec Vladimir Ashkenazy Ă propors du “vrai Rachamaninov” (en anglais).
CD, coffret. Rachmaninov : the complete works, integrale (32 cd Decca)
CD. Vladimir Ashkenazy : Rachmaninov. Complete works for piano (11 cd Decca)
CD. Vladimir Ashkenazy : Rachmaninov. Complete works for piano (11 cd Decca). Vladimir Ashkenazy a fĂȘtĂ© les 50 ans de sa collaboration exclusive avec Decca en 2013. Ce coffret Rachmaninov vient souligner en 2014 une vocation personnelle Ă exprimer les langueurs et tourments de l’expatriĂ© si lyrique et tendre Ă la fois, – passionnĂ© mais rĂ©solument classique et post romantique – Rachmaninov. ElĂšve de Lev Oborin au Conservatoire Tchaikovsky de Moscou, Vladimir Ashkenazy a remportĂ© le second prix au Concours Chopin de Varsovie en 1955, puis le Premier en 1962 (cofinaliste avec John Ogdon) ; le pianiste se montre souvent puissant mais aussi Ă©loquent, articulĂ©, et d’une carrure plĂ»tot toujours trĂšs Ă©quilibrĂ©e; les 10 cd de ce coffret prĂ©sentant l’intĂ©grale des oeuvres pour piano de Serge Rachmaninov (+ 1 cd ” bonus “) concentrent le mĂ©tier trĂšs sĂ»r d’un interprĂšte visiblement en affinitĂ© avec son sujet et dont les talents reconnus et engagĂ©s de chef d’orchestre apportent aussi leur sens de la structure et certainement une vision approfondie et synthĂ©tique des oeuvres. De quoi nourrir encore le bĂ©nĂ©fice de lectures jamais neutres ni systĂ©matiques.
Le piano roi de Rachma
A lâaune des romantiques Chopin et Tchaikovski, Rachmaninov Ă©difie une arche flamboyante que le lutin Ashkenazy sait Ă©clairer dâun feu original, pĂ©tillant, douĂ© dâune trĂšs belle activitĂ© intĂ©rieure. Comme Chopin, Rachma fait chanter le clavier : un art du bel canto que le pianiste russe sait Ă©videmment porter sans le schĂ©matiser. Du grand art. La clartĂ© et l’Ă©quilibre deux de ses qualitĂ©s majeures savent aussi revĂȘtir de superbes couleurs intĂ©rieures dans les mouvements plus crĂ©pusculaires et rĂȘveurs (Andante, Largo, Adagio sostenuto, Intermezzo) des Concertos dont le souffle sous la direction de Haitink, atteignent vĂ©ritablement un sommet de plĂ©nitude active, souvent irrĂ©sistible (Concertos pour piano 1-4, avec le Concertgebouw Amsterdam, propres aux annĂ©es 1984-1986). MĂȘme enthousiasme pour la fantaisie concertante menĂ©e avec ivresse et embrasements multiples : Rhapsody sur un thĂšme de Paganini opus 43 (crĂ©pitements dansant de Haitink (1987).
Parmi les opus trĂšs aboutis, les Danses Symphoniques dans leur versions autographes pour deux pianos (ici avec AndrĂ© PrĂ©vin, enregistrĂ© Ă Londres en 1979); Ă©videmment les PrĂ©ludes (1974-1975), et les Etudes Tableaux opus 39 (l’un des plus anciens enregistrements de 1963… proposĂ© dans le cd ” bonus ” 11). Ici ne paraissent pas les oeuvres chambristes et les mĂ©lodies, le fil conducteur et fĂ©dĂ©rateur restant essentiellement le piano comme instrument soliste. D’un tempĂ©rament sĂ»r, de belle assise comme d’une articulation infiniement moins percussive comme beaucoup de ses successeurs nouveaux champions de l’Ă©cole russe, Vladimir Ashkenazy paraĂźt bien ici tel un interprĂšte incontournable pour Rachmaninov. Son mĂ©tier de chef lui assure dans les concertos par exemple une entente complice, idĂ©alement calibrĂ©e, Ă©quilibrĂ©e avec l’orchestre. Incontournable.
Vladimir Ashkenazy, piano. IntĂ©grale des Ćuvres pour piano de Serge Rachmaninov. 11 cd Decca. 478 6348. Parution : mars 2014.
CD. Yuja Wang, piano : Rachmaninov, Prokofiev (Dudamel, 2013).
CD. Yuja Wang, piano : Rachmaninov, Prokofiev (Dudamel, 2013). Le feu acide et rythmique (Prokofiev) et la fluiditĂ© expressive crĂ©pusculaire (Rachmaninov) font le ciment et la rĂ©ussite de ce disque qui ne manque pas … d’audace Ă bien des Ă©gards. Voici donc la relĂšve artistique de l’Ă©curie Deutsche grammophon, nouvelle gĂ©nĂ©ration d’artistes, tous deux d’un vrai tempĂ©rament musicien dont la complicitĂ© dans ce live in Caracas, pour les 38 ans du Sistema, le rĂ©seau de formation de jeunes instrumentistes vĂ©ritable chantier exemplaire Ă la fois humaniste et sociĂ©tal au profit de la jeunesse vĂ©nĂ©zuĂ©lienne Ă l’initiative de JosĂ© Antonio Abreu.
Il y a dĂ©jĂ un an, se rencontrent et fusionnent le tempĂ©rament puissant et Ă©loquent de la jeune pianiste chinoise Yuja Wang, vrai consĆur de Lang Lang et certainement de notre point de vue, sa championne pour le jeu dĂ©liĂ© et Ă©lĂ©gant, une digitalitĂ© jamais heurtĂ©e ni trop percussive (y compris dans les climats versatiles syncopĂ©s du Prokofiev), et l’Ă©clat d’une baguette qui avait immĂ©diatement conquis et Salonen et Abbado : celle du vĂ©nĂ©zuĂ©lien, lui-mĂȘme enfant du Sistema, Gustavo Dudamel.
Le programme est d’autant plus mĂ©ritoire qu’il rĂ©unit deux Concertos parmi les plus difficiles de leur auteur respectif, voire de tout le rĂ©pertoire pour clavier.
La fusion orchestre et piano dans le n°3 de Rachmaninov (1909) est formidable de crĂ©pitement comme de flexibilitĂ© – virtuositĂ© funambule et magicienne de la pianiste dans les variations du I-, mĂȘme l’orchestre dĂ©voile de superbes couleurs, fondantes, prĂ©cises, jamais sirupeuses. Un manifeste furieusement enivrĂ©. Du grand art.
Le n°2 de Prokofiev (1913) de loin le plus difficile Ă©videmment techniquement mais surtout Ă©motionnellement : le premier mouvement est course Ă©chevelĂ©e qui confine Ă l’implosion d’une mĂ©canique fragile, prise de panique, exigeant tout du soliste et de l’orchestre : ĂąpretĂ©, ruptures, cynisme d’une forme contrariĂ©e et contrastĂ©e… l’ample mouvement initial qui dĂ©passe tout juste 10 mn s’achĂšve par l’essoufflement et l’extĂ©nuation totale des forces opposĂ©es. Dans ce combat rĂ©clamant sauvagerie et prĂ©cision, l’Ă©lĂ©gance de Yuja Wang ne faiblit pas, bien au contraire, en particulier dans sa cadence Ă©bouriffante qui dure prĂšs de la moitiĂ© de la sĂ©quence. L’agilitĂ© d’une toccata qui cache son nom dans le second mouvement dĂ©concerte et convainc tout autant. Quant au finale, ” tempestoso “, la vitalitĂ© de la jeune pianiste irradie d’une Ă©nergie accrocheuse, idĂ©alement trempĂ©e. La complicitĂ© que suggĂšre ce live, la haute tenue technicienne, l’intelligence musicale de la pianiste que Martha Argerich a saluĂ©, et la direction enflammĂ©e mesurĂ©e du chef qui dĂ©voile ici sa permanente facilitĂ© dans la forme du Concerto (premier enregistrement des jeunes instrumentistes du Bolivar sous sa baguette, avec une soliste), font les dĂ©lices d’un superbe rĂ©cital concertant. Totale rĂ©ussite.
Yuja Wang, piano. Concertos pour piano : Rachmaninov (n° 3 op. 30), Prokofiev (n° 2 op. 16). SimĂłn BolĂvar Symphony Orchestra of Venezuela. Gustavo Dudamel, direction. Enregistrement live rĂ©alisĂ© Ă Caracas (Venezuela) en fĂ©vrier 2013. 1 cd Deutsche Grammophon 0289 479 1304 7.