Compte-rendu critique. Opéra. INNSBRUCK, HAENDEL, Ottone, 22 août 2019. Orchestre Accademia La Chimera, Fabrizio Ventura.

Compte-rendu critique. Opéra. INNSBRUCK, HAENDEL, Ottone, 22 août 2019. Orchestre Accademia La Chimera, Fabrizio Ventura. Après trois productions « jeune » d’un très haut niveau, cette nouvelle production d’Ottone déçoit un peu sur le plan scénique, mais révèle une belle galerie de chanteurs très prometteurs. En raison du mauvais temps… qui finalement était plutôt beau, le concert a dû se replier dans la nouvelle salle de la Hausmusik, à l’acoustique un peu sèche. Comme souvent, dans ces productions destinées aux lauréats du Concours Cesti, la mise en scène vise à l’efficacité et à la concentration dramatique avec une grande économie de moyens. Dans cet opéra superbe de Haendel, le premier composé pour le King’s Theater, saturé de considérations politiques, la lecture de l’actrice et metteuse en scène de théâtre Anna Magdalena Fitzi, est allée à l’essentiel, en gommant notamment les références au contexte politique (la conquête de l’Italie par un souverain allemand) ; exit ainsi les scènes spectaculaires et pittoresques de la bataille du premier acte, dans les jardins nocturnes au bord du Tibre, dans la prison, au second acte, ou la scène de la tempête du 3e.

 

 

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Ottone 3152Les décors et les costumes sobres et élégants de Bettina Munzer renvoient davantage à un huis-clos presque abstrait et atemporel, une sorte d’hôtel lorgnant davantage vers un sommet de dirigeants du G7 que d’une confrontation entre souverains du Bas-Empire. À cela s’ajoutent trois figurants, un barman et deux policiers gardes du corps, qui accompagnent de leurs déplacements le déroulement plein de péripéties de l’intrigue. Sur scène, une simple bâtisse blanche à trois étages, dont le niveau inférieur est constitué d’arcades permettant d’entrevoir la circulation des personnages à l’arrière-plan de la scène ; quelques fauteuils sur le côté, une table au centre où le repas est servi, et l’arrivée des protagonistes avec leurs bagages, achèvent de planter le décor. Cette transposition efficace mais guère originale, aurait pu davantage fonctionner si la partition n’avait pas été autant amputée dans ses récitatifs, qui seuls, dans le dramma per musica des 17e et 18e siècles, permettent à l’action d’avancer. On perd ainsi en clarté et lisibilité ce qu’on gagne en concentration musicale, mais la cohérence de la dramaturgie s’en ressent.
Heureusement, sur scène, la distribution, extrêmement homogène, compense largement ces défauts de mécanique théâtrale. Dans le rôle-titre, la mezzo Marie Seidler incarne à merveille le souverain allemand, tiraillé entre l’optimisme de sa récente victoire militaire et l’incapacité manifeste à maîtriser ses affects. Voix sonore, d’une belle amplitude, à l’élocution irréprochable, la chanteuse allemande campe un souverain tour à tour langoureux (« Ritorna, o dolce amore ») et dépité (« Dopo l’orrore »), épris d’une Teofane qui ne le connaît qu’à travers un portrait. La princesse impériale, véritable moteur de l’intrigue, a les traits de la soprano française Mariamelle Lamagat, 3e prix au Concours Cesti 2018. Nous avions assisté à ce concours et sa prestation ne nous avait pas pleinement convaincu, malgré une voix solidement charpentée, mais qui privilégiait davantage la performance vocale que la clarté de l’élocution, défaut perceptible à nouveau dans cette production. En revanche, la jeune mezzo Valentina Stadler, en Gismonda, veuve du tyran Berengario, impressionne par sa puissance vocale et son autorité qu’elle manifeste dès son air d’entrée (« La speranza è giunta in porto »). En Matilda, sans doute le personnage le plus touchant de l’opéra, l’autre mezzo, bolivienne, Angelica Monje Torrez, est encore plus convaincante, par la chaleur et le moelleux de son timbre, et les multiples nuances qu’elle apporte dans le phrasé, tant dans la déclamation des récitatifs que dans les termes pathétiquement chargés des arias (« Diresti poi così » au premier acte, en est un exemple éloquent). Les deux autres voix masculines n’appellent que des éloges, aussi bien le contre-ténor espagnol Alberto Moguélez Rouco, voix fine et acidulée, mais non sans un abattage certain qui sied bien au personnage falot d’Adelberto (son chant émerveille dans les airs élégiaques : « Bel labbro » ou de colère : « Tu puoi straziarmi »), que la magnifique basse allemande Yannick Debus, corsaire qui ne révèlera qu’in fine son identité royale. Ses graves caverneux (« Al minacciar del vento »), sa diction impeccable (« No, non temere »), et sa présence très expressive sur scène, ont été l’une des révélations de cette soirée.
Dans la fosse (qui n’en est pas une, l’orchestre se situant au même niveau que les chanteurs), Fabrizio Ventura dirige sa phalange de La Chimera – bien réduite eu égard à l’orchestre opulent du King’s Theater – avec précision et intelligence, conférant un bel équilibre entre les voix et les instrumentistes.

 

 

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Compte-rendu opĂ©ra. Innsbruck, Festwochen der Alten Musik, Georg Friedrich Haendel, Ottone, 22 aoĂ»t 2019. Marie Seidler (Ottone), Mariamielle Lamagat (Teofane), Valentina Stadler (Gismonda), Alberto MiguĂ©lez Rouco (Adelberto), Angelica Monje Torrez (Matilda), Yannick Debus (Emireno), Anna Magdalena Fitzi (mise en scène), Bettina Munzer (dĂ©cors et costumes), Accademia La Chimera, Fabrizio Ventura (direction) – Illustrations : Mariamielle Lamagat © Rupert Larl / Marie Seidler, Alberto MiguĂ©lez Rouco© Rupert Larl.

 

 

 

 

Compte-rendu critique. Opéra. INNSBRUCK, CESTI, La Dori, 24 août 2019. Orchestre Accademia Bizantina, Ottavio Dantone

Compte-rendu critique. Opéra. INNSBRUCK, CESTI, La Dori, 24 août 2019. Orchestre Accademia Bizantina, Ottavio Dantone. Avec le Giasone de Cavalli, La Dori de Cesti est l’opéra le plus joué au XVIIe siècle. L’opéra est redonné pour la première fois dans les lieux mêmes où il fut créé, il y a 362 ans, en 1657. Spectacle magnifique à tous points de vue, l’un des plus beaux qu’ils nous aient été donné de voir, depuis la mémorable Finta pazza dijonnaise.

 

 

Festival d’Innsbruck 2019

Trouble dans le genre
Magnifique résurrection de la Dori de Cesti

 

 
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Entre Cesti et Innsbruck, c’est une longue histoire. Compositeur officiel de l’archiduc d’Autriche, le compositeur y a fait représenter bon nombre de ses opéras. Sa maison, offerte par les Habsbourg, est d’ailleurs toujours visible face à la cathédrale S. Jacobs. Le Festival lui a rendu souvent hommage, depuis l’ère René Jacobs, avec des extraits de ses opéras, puis vinrent la résurrection de la Semiramide, du Tito et de l’Argia. En 2015, le metteur en scène Stefano Vizioli nous avait déjà ébloui avec une production « jeune » de l’autre chef-d’œuvre de Cesti, l’Orontea. Pour fêter comme il se doit les 350 ans de la mort du compositeur (1623-1669), le festival a eu la très bonne idée de programmer un pur joyau du répertoire vénitien. La Dori y concentre tous les ingrédients de cette esthétique qui enchanta la péninsule – et au-delà de ses frontières – pendant près d’un siècle : amours contrariées, équivoques sexuelles, mélange des genres et des registres, présence d’une vieille nourrice nymphomane et désabusée servant de faire-valoir moral et d’un eunuque comique qui rappelle l’indifférenciation sexuelle chère aux libertins de la Sérénissime. La Dori se démarque cependant par l’absence de divinités et par une relégation à un plan secondaire de la sphère politique. L’excellent livret de Giovanni Filippo Apolloni repose finalement sur une intrigue profondément humaine, centrée sur le thème éminemment baroque des apparences trompeuses, mais qui dit aussi que ce qui est réel est ce qui apparaît comme tel aux yeux des personnages, ce qui nous ramène à l’autre thématique baroque par excellence : la vue et le regard, qui mettent en mouvement les passions et embrasent les cœurs.
Sur scène, on est d’abord frappé par l’élégance et la sobriété des décors couleur pastel d’Emanuele Sinisi, d’une infinie poésie, et les éclairages non moins poétiques de Ralph Kopp théâtralement très efficaces (notamment lors de la scène presqu’effrayante de l’apparition de l’ombre de Parisatide devant un Oronte endormi). La mise en scène et la direction d’acteurs orchestrée par Stefano Vizioli est un modèle d’intelligence, qui n’oublie jamais qu’on est ici d’abord au théâtre, que la musique, pour superbe et émouvante qu’elle est, est surtout au service d’une dramaturgie porteuse de toute la gamme des affects. L’opéra vénitien est un théâtre des sens exacerbé et justifie à lui seul le mélange des registres que l’intrigue complexe véhicule.

 

 

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La distribution réunie pour cette résurrection exemplaire comble toutes les attentes et brille par son exceptionnelle homogénéité. Dans le rôle-titre, l’alto Francesca Ascioti est bouleversante d’humanité dès son lamento initial (« Io son pur sola »). Ses graves profonds traduisent à merveille l’androgynie du personnage, aussi à l’aise dans le registre pathétique que dans la véhémence du concitato. Les changements de rythme sont d’ailleurs légion dans les nombreux airs brefs de cet opéra. En témoigne « Non scherzi con amor » du précepteur Arsete, superbement défendu par le ténor Bradley Smith, dont le timbre vaillant et très bien projeté confère une efficace assurance à un rôle par ailleurs assez conventionnel. Musicalement, le rôle d’Oronte, roi falot, moins préoccupé des affaires de l’état que de ses tourments amoureux, est l’un des plus riches de toute la partition. Promis à la princesse Arsinoe, mais encore épris de Dori qu’il croit morte, ses accents presque constamment pathétiques sont d’une beauté à faire pleurer les pierres : « Rendetemi il mio bene » au premier acte, dont les mélismes chromatiques laissent poindre l’espoir des retrouvailles, « Mi rapisce la mia pace » au second acte, interrompu par la voix d’Alì, ou encore, à la fin de la même scène « Dori, ove sei », qui rappelle le « Berenice, ove sei ? » du Tito, atteignent au sublime, confirmé par l’air le plus célèbre de la partition : « Speranze, fermate » qu’il chante avant de s’endormir. Le contre-ténor Rupert Enticknap, dont le timbre juvénile et délicat n’est pas exempt de mâles accents, est un Oronte magnifique, et le pathétique émouvant de ses plaintes vire à la fin au pathétique grotesque, lors de la reconnaissance des identités, alors qu’il était sur le point d’épouser contre son gré la princesse Arsinoe. Celle-ci trouve en Francesca Lombardi Mazzulli une superbe incarnation. Soprano racée, touchante dans les airs langoureux (« Quanto è dura la speranza »), comme dans ses accès de dépit, notamment au dernier acte. L’autre rôle travesti est une habituée du répertoire baroque. Éclatante dans Elena de Cavalli et plus récemment dans la Doriclea de Stradella, Emöke Baráth est un Tolomeo/Celinda d’une grande force dramatique. Son duo d’entrée avec Arsinoe révèle aussi la variété de son jeu scénique et musical (« Se perfido Amore »), et le trouble dans le genre, quand Arsinoe la prend pour un homme (bref duo « Addio », à la fois comique et pathétique). Timbre toujours clair et précis, diction impeccable qui séduit le capitaine Erasto, brillamment interprété par Pietro Di Bianco ; belle prestance, qualités d’acteur superlatives, timbre d’airain qui à juste titre ensorcelle, son costume superbe l’apparente à un personnage tout droit sorti d’un tableau de Rembrandt ou du Vénitien Pietro Della Vecchia. Mêmes qualités chez l’oncle d’Oronte, Artaxerse, interprété par la basse Federico Sacchi, impressionnant d’autorité.

 

 

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Tandis qu’une grande partie du plaisir éprouvé lors de ces presque trois heures de musique vient des trois rôles comiques, extraordinaire galerie des personnages prototypiques de l’opéra vénitien. La vieille nourrice libidineuse Dirce, avec l’impayable incarnation d’Alberto Allegrezza. Formidable acteur, troublant de vérité, à l’élocution exceptionnelle de précision et de clarté, son entrée en scène constitue l’habituel badinage amoureux, inauguré par le Couronnement de Poppée. Le ténor impressionne aussi par l’extrême variété de son jeu scénique et vocal, chaque mot pathétiquement chargé est savamment distillé, en témoigne l’extraordinaire scène où la nourrice se transforme en sorcière préparant le somnifère qu’elle veut administrer à Alì dont elle s’est entichée. L’Eunuque est un autre personnage très présent dans les premiers opéras vénitiens, symbole de l’hybridisme du genre. Le contre-ténor ukrainien Konstantin Derri défend parfaitement le rôle de Bagoa, et on apprécie les énormes progrès, notamment concernant la diction, qu’il a fait depuis que nous l’avions découvert ici même il y a deux ans, dans un autre opéra de Cesti, Le nozze in sogno. Sa voix flûtée et parfaitement projetée, sa franche bonhommie et ses indéniables talents d’acteur, en font un personnage essentiel dans la complexe dramaturgie de l’intrigue. Le dernier rôle comique est constitué par le serviteur et bouffon de cour Golo ; Rocco Cavalluzzi est une très belle voix de basse et lui aussi un comédien hors-pair, qui fait merveille, notamment dans ses nombreuses confrontations ébouriffantes avec la nourrice.
Dans la fosse, Ottavio Dantone, pourtant peu habitué aux opéras du XVIIe siècle, dirige son Accademia Bizantina, comme s’il connaissait parfaitement ce répertoire. L’orchestre, assez fourni, privilégie les cordes, mais introduit une variété bienvenue, dans le choix de certains instruments (l’orgue positif, la harpe, la flûte traversière), pour souligner de façon idoine certains airs qui exigent de l’être plus singulièrement que d’autres. On apprécie surtout l’absence de cornets, inexistants dans l’orchestre vénitien de cette époque. Rarement, une telle osmose entre la fosse, les interprètes et la mise en scène n’aura été aussi homogène. Un spectacle mémorable, heureusement bientôt immortalisé par une captation vidéo.

 

 

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Compte-rendu opéra. Innsbruck, Festwochen der Alten Musik, Pietro Antonio Cesti, La Dori, le 24 août 2019. Francesca Ascioti (Dori/Alì), Rupert Enticknap (Oronte), Federico Sacchi (Artaxerse), Francesca Lombardi Mazzulli (Arsinoe), Emöke Baráth (Tolomeo/Celinda), Bradley Smith (Arsete), Pietro Di Bianco (Erasto), Alberto Allegrezza (Dirce), Rocco Cavalluzzi (Golo), Konstantin Derri (Bagoa), Francesca Ascioti (Ombre de Parisatide, mère d’Oronte), Stefano Vizioli (mise en scène), Emanuele Sinisi (décors), Anna Maria Heinreich (costumes), Ralph Kopp (Lulières), Accademia Bizantina, Ottavio Dantone (direction)

Illustrations : / Federico Sacchi – La Dori par Stefano Vizioli (© Innsbrucker Festwochen / Rupert Larl) / EmĹ‘ke Baráth, Pietro Di Bianco – La Dori par Stefano Vizioli (© Innsbrucker Festwochen / Rupert Larl) / © Konstantin Derri, Alberto Allegrezza – La Dori par Stefano Vizioli (© Innsbrucker Festwochen 2019 / Rupert Larl)

 

 

 

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VIDEO, opĂ©ra : La Dori – opera by / par Pietro Antonio Cesti
Innsbruck 2019
https://www.youtube.com/watch?v=tCIbZvARkqA#action=share
More than 350 years after Pietro Antonio Cesti’s death, his tragicomedy “La Dori” returns to Innsbruck!

24./26. August 2019
Innsbrucker Festwochen der Alten Musik
 
Musical direction: Ottavio Dantone
Stage direction: Stefano Vizioli
Set: Emanuele Sinisi
Costumes: Anna Maria Heinreich
Lighting: Ralph Kopp
Orchestra: Accademia Bizantina

 

 

 

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Compte-rendu, festival. Festival International de Musique Ancienne d’Innsbruck, Landestheater, 16-19 août 2016. Il Matrimonio segreto de Cimarosa et Le nozze in sogno de Cesti

INNSBRUCK, festival de musique ancienne : l’Ă©dition des 40 ans. DEUX MARIAGES POUR UN FESTIVAL. C’est sous le signe du mariage que s’est placĂ© le Festival International de musique ancienne d’Innsbruck, qui fĂŞtait cette annĂ©e ses 40 ans d’existence. Si l’opĂ©ra de Cimarosa n’est pas en soi une raretĂ©, il est en revanche rarement donnĂ© dans son intĂ©gralitĂ©. C’est chose enfin faite Ă  Innsbruck et, tout comme Ă  la crĂ©ation Ă  Vienne en 1792, on aurait souhaitĂ© un bis complet tant cette production mĂ©morable nous a rĂ©jouis Ă  tout point de vue. Ă€ la lecture du livret, construit selon une mĂ©canique théâtrale parfaitement huilĂ©e, on se demande bien ce que l’on pouvait couper sans entamer l’équilibre et la cohĂ©rence de l’intrigue. Nous sommes dans une comĂ©die typiquement goldonienne qui n’exclut pas l’alternance des registres et des tonalitĂ©s, la franche comĂ©die cĂ´toyant le pathĂ©tisme le plus larmoyant. La mise en scène et les dĂ©cors et costumes imaginĂ©s par Renaud Doucet et AndrĂ© Barbe nous entrainent dans une basse-cour gĂ©ante, les personnages portent des costumes de volatiles (inspirĂ©s d’une authentique mode vestimentaire viennoise contemporaine de l’opĂ©ra) ; poule d’eau, pintade, faisan, pigeon, coq, c’est un bestiaire bariolĂ© digne du Chanteclerc de Rostand qui, au-delĂ  de la transposition allĂ©gorique, a le mĂ©rite de maintenir une parfaite lisibilitĂ© de l’intrigue. Le dĂ©cor unique, aux dessins couleur sĂ©pia et noir Ă©voquant l’univers de la bande dessinĂ©e, devient le rĂ©ceptacle des sentiments contrastĂ©s des personnages grâce Ă  une ingĂ©nieuse utilisation de la lumière (admirable travail de Ralf Kopp).

Bilan / témoignage du Festival d’Innsbruck 2016

DEUX MARIAGES POUR UN FESTIVAL

innsbruck-festspiel-festival-festwochen-ancien-musikSur scène, on doit saluer un casting quasiment irrĂ©prochable dominĂ© par les deux voix de basse de Donato Di Stefano (Geronimo) et surtout de Renato Girolami (le Comte Robinson). Ce dernier impressionne par son ampleur vocale, son phrasĂ© et sa diction admirables qui en font une vĂ©ritable bĂŞte de scène. Tout chanteur devrait le prendre comme modèle, et se souvenir que l’opĂ©ra, avant d’être du chant est d’abord du théâtre. La grande joute verbale et musicale qui ouvre le second acte, vĂ©ritable prise de bec avec gestuelle animalière ad hoc est l’un des sommets de la partition et de cette production Ă´ combien roborative. Dans le rĂ´le de Paolino, JesĂşs Ălvarez déçoit quelque peu par un timbre nasillard et s’il est souvent fâchĂ© avec la justesse, son engagement dramatique sans faille et son intelligence du texte compensent les faiblesses vocales. CĂ´tĂ© fĂ©minin, les voix sont plus homogènes sans ĂŞtre toutefois exceptionnelles. Giulia Semenzato campe une excellente Carolina, mĂŞme si le rĂ´le est un peu aigu pour la jeune soprano vĂ©nitienne, mais la technique est irrĂ©prochable et l’on tient lĂ  une chanteuse racĂ©e, promise Ă  un brillant avenir ; dans celui de la sĹ“ur de l’épouse secrète, Elisetta, Klara Eck, que l’on a pu entendre l’annĂ©e prĂ©cĂ©dente dans le Germanico de Porpora, possède le timbre fougueux qui sied au personnage, et fait merveille notamment dans les airs virtuoses Ă  l’agilitĂ© prĂ©-rossinienne (« No, indegno traditore » et « Se son vendicata » du second acte). Enfin le rĂ´le de Fidalma, la veuve Ă©plorĂ©e elle aussi amoureuse du jeune Paolino, initialement destinĂ©e Ă  Vesselina Kasarova, a Ă©tĂ© magnifiquement dĂ©fendu par Arianna Vendittelli, Ă©galement prĂ©sente dans le Cesti. Une voix mordante, très bien projetĂ©e, d’une grâce confondante, notamment dans son aria d’une simplicitĂ© toute mozartienne (« à vero che in casa / son io la signora ») du premier acte.

L’orchestre de l’Accademia Montis Regalis, dirigé avec poigne et précision par Alessandro De Marchi, est l’autre grand triomphateur de la soirée. Dès l’ouverture, le théâtre est là ; la plénitude et l’équilibre des pupitres, le respect scrupuleux des contrastes, écho aux registres mêlés du genre (« dramma giocoso ») qui fait se côtoyer moments pétulants et d’autres franchement pathétiques, montrent les progrès exceptionnels de cette phalange qui compte désormais parmi les plus aguerries pour ce répertoire.

Connaissez vous Pietro Antonio Cesti ?La création mondiale des Nozze in sogno de Pietro Antonio Cesti constituait l’autre moment fort du Festival. La partition, qui dormait anonymement dans les tiroirs de la Bibliothèque Nationale de Paris, a été récemment attribuée à Cesti sur la foi d’un compte-rendu du spectacle (l’opéra fut représenté à Florence en 1665) qui cite explicitement le nom du compositeur. La production a été dédiée à la mémoire d’Alan Curtis qui aurait dû diriger les représentations. Le choc est à la mesure de cette redécouverte exceptionnelle. Malgré les coupures (la durée initiale de 3h30 a été ramenée à 2h40), il s’agit là d’une partition foisonnante qui couvre un spectre d’une infinie variété d’affects, du comique au pathétique, en passant par l’élégiaque et le parodique (magnifique réécriture des incantations de Médée du Giasone de Cavalli, « Dagl’antri gelidi »), le fantastique et le métathéâtral (« Un sogno è la vita », duo envoûtant aux accents madrigalesques dignes de Monteverdi). Il faudrait citer la totalité des plus de quarante formes closes (aria, arioso, duos, trios, quatuors et même quintettes), tant la qualité reste constamment élevée. Le livret, le seul écrit par le dramaturge Pietro Susini, est d’une richesse incroyable, à mi-chemin entre le Shakespeare du Songe d’une Nuit d’été et le Calderòn du Grand théâtre du monde. Appartenant au genre typiquement florentin du dramma civile, qui met en scène des personnages modestes, avec une forte composante réaliste et dialectale (on y trouve même un personnage juif, écho à la forte communauté israélite de Livourne où se déroule l’intrigue), les Nozze in sogno ont été composées au retour de Cesti de la cour d’Innsbruck où il officia durant quatre ans. La mise en scène voulue par Alessio Pizzech tient compte, certes, des contraintes du plein air (dans la cour de Faculté de Théologie, à l’acoustique remarquable), mais parvient difficilement à rendre justice à ce merveilleux théâtre nourri des sources les plus diverses. L’inévitable adaptation à l’actualité (la fin d’une représentation théâtrale sur laquelle s’ouvre l’opéra est remplacée par une sortie de boîte de nuit) ne convainc qu’à moitié et les scènes fantastiques et oniriques virent à la farce grand-guignolesque. Le théâtre finit heureusement par avoir le dessus et les grandes caisses en bois imaginées par Davide Amadei, disposées sur la petite scène deviennent autant de micro-lieux où se déploie l’ingéniosité du dramaturge.

Le casting, qui réunissait la plupart des lauréats du Concours Cesti 2015, est dominé par la superbe Lucinda d’Arianna Vendittelli. Une voix généreuse au phrasé d’une remarquable précision, et une présence scénique constamment affirmée (qui triomphe dans les merveilleux lamenti dont la partition regorge, comme le sublime « Pur sei tu, mio Flammiro » du premier acte) sont les principales qualités de cette jeune soprano prometteuse. Le contre-ténor vénézuélien Rodrigo Sosa Del Pozzo campe un Flammiro tout en fougue juvénile, dont le timbre sonore et bien projeté en fait un compagnon idéal de Lucinda (très beau duo « Io contenta/Io felice »). Ce sont les mêmes qualités qui illuminent le chant généreux de Yulia Sokolik (Emilia), Ludwig Obst (dans le rôle du serviteur astucieux Fronzo) et de Rocco Cavaluzzi (criant de vérité en marchand Pancrazio et irrésistible dans la parodie de la chanson napolitaine accompagnée au colachon, « Chiangiu lu iurnu »). Dans le rôle de Scorbio, serviteur de Flammiro), Konstantin Derri, jeune contre-ténor ukrainien à la voix ample, a parfois du mal à canaliser sa puissance de feu et la clarté de l’élocution s’en ressent, mais son timbre révèle un potentiel rare dans sa catégorie. Enfin, les trois ténors dans les rôles de la nourrice Filandra (Francisco Fernández-Rueda), du jeune amoureux Lelio (Bradley Smith) et de Teodoro et du juif Mosè (l’inusable Jeffrey Francis, qui plus est, merveilleux acteur), complètent magnifiquement la distribution.

Dans la fosse, aménagée derrière une balustrade en bois en forme de bateau gravé au nom d’Alan Curtis, l’Ensemble Innsbruck Barock, d’une dizaine de musiciens, selon les pratiques de l’époque, est dirigé avec passion et une parfaite connaissance de la rhétorique du genre par Enrico Onofri. Un chef-d’œuvre qui mérite d’être repris et enregistré urgemment.

Jean-François Lattarico

Reportage vidĂ©o. Festival d’Innsbruck 2015 : les Napolitains, Lully et MĂ©tastase

de-marchi-alessandro-festival-innsbruck-2015Reportage vidĂ©o. Festival d’Innsbruck 2015. Retour sur les temps forts de l’Ă©dition 2015 : prĂ©sence des Napolitains (Porpora et Jommelli), constance de la poĂ©sie de MĂ©tastase, deux lignes fortes de la nouvelle direction artistique dĂ©fendue par le chef et directeur artistique Alessandro De Marchi ; en aoĂ»t 2015, le Festival rĂ©alise aussi la crĂ©ation d’une nouvelle production d’Armide de Lully avec les jeunes chanteurs du Concours Cesti, rĂ©cemment créé par Alessandro De Marchi. Entretiens, nombreuses images de la ville baroque et mĂ©diĂ©vale d’Innsbruck en Autriche © studio CLASSIQUENEWS.TV 2015 (RĂ©alisation : Philippe Alexandre Pham)

VIDEO, reportage. Nouvelle Armide de Lully à Innsbruck (août 2015)

Nouvelle production d'Armide de Lully Ă  Innsbruck et PostdamVIDEO, reportage. Nouvelle Armide de Lully Ă  Innsbruck (aoĂ»t 2015). AoĂ»t 2015 : le Festival de musique ancienne et baroque Ă  Innsbruck (Autriche) accueille pour la première fois de son histoire, un opĂ©ra français : Armide de Lully (1686) dans une nouvelle production rĂ©alisĂ©e par le Centre de musique baroque de Versailles dans laquelle participent jeunes instrumentistes sur instruments d’Ă©poque, jeunes chanteurs dont les laurĂ©ats du Concours Cesti 2014. Dans Armide dernière opĂ©ra de Lully, l’interaction de la danse et du drame intĂ©rieur de l’enchanteresse impuissante face Ă  Renaud est exceptionnelle. La partition permet aussi au CMBV Centre de musique baroque de Versailles de diffuser l’opĂ©ra baroque français Ă  l’Ă©tranger, tout en transmettant aux jeunes chanteurs le goĂ»t du théâtre et de la langue baroques. Reportage vidĂ©o : entretiens avec les chanteurs, BenoĂ®t Dratwicki, Deda Cristina Colonna (mise en scène), Patrick Cohen-AkĂ©nine (direction musicale). DurĂ©e : 15mn © studio CLASSIQUENEWS.TV – RĂ©alisation : Philippe-Alexandre Pham. Lire aussi notre prĂ©sentation de la production d’Armide de Lully Ă  Innsbruck (aoĂ»t 2015)

 

 

 

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Compte rendu critique, opéra. Innsbruck, festival / Festwochen der Alten Musik (château d’Ambras). Jommelli: Don Trastullo. Robin Johannsen (Arsenia), Federico Sacchi (Don Trastullo), Francesco Castoro (Giambarone). Academia Montis Regalis. Alessandro De Marchi, direction. Christophe von Bernuth, mise en scène.

Innsbruck, château d’Ambras, le 19 août 2015. Jommelli : Don Trastullo. Suite de la présence des Napolitains au festival d’Innsbruck. Alessandro De Marchi directeur artistique, et qui dirige aussi son ensemble très à l’aise dans ce répertoire : Academia Montis Regalis-, fait de l’opéra parténopéen, un axe fort de sa ligne artistique. Après une passionnante recréation d’Il Germanico de Porpora (seria musicalement flamboyant de 1732), voici une pièce comique du Jommelli alors célébré à Rome, compositeur officiel pour les autorités religieuses et aussi, pétulant narrateur sur la scène lyrique. L’auteur des Didon et Armide Abandonnée a aussi réussi dans la veine comique et ce Don Trastullo de 1749 en témoigne évidemment, ne déméritant guère aux côtés de La Serva Padrona d’un Pergolesi antérieur et tout autant inspiré. Mis en espace dans l’ample galerie supérieure du château d’Ambras, villégiature des Habsbourg, le spectacle tient son rôle, divertissant et enjoué. Intermezzo joué à l’origine en parties intercalaires à un seria de plus grande ampleur, les deux parties sont jouées successivement, défendues par un jeu dramatique efficace partagé par les trois solistes.

 

 

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Du trio animé, c’est la soprano non italienne (son texte reste aléatoire), Robin Johannsen qui par son timbre et la justesse du style, fin et onctueux (malgré des aigus parfois serrés), remporte la palme de la caractérisation dramatique. Voici donc dans une mise en espace ingénieuse, fluide et habile (où Trastullo, habité par le modèle des héros antiques, devient un Quichotte dupé mais flamboyant), ce théâtre délirant, facétieux, picaresque, où la femme est une maîtresse dominatrice et astucieuse, usant de tous les stratagèmes pour séduire, manipuler, triompher. Guerre des sexes, école comique certes mais aussi satire parfois cynique, jouant du double voire triple sens de certains mots, le buffa napolitain trouve ici des interprètes honnête car efficaces : d’autant que instrumentistes et chef redoublent de souple vitalité pour exprimer la verve et la finesse d’une partition qui rayonne par sa santé et son énergie (cordes bondissantes et cors très justes à la fête).
Le festival d’Innsbruck sait autant proposer des programmes de dĂ©frichement – qui ont fait sa rĂ©putation internationale (comme Il Germanico dĂ©jĂ  citĂ©) qu’offrir dans la cohĂ©rence de sa ligne artistique, des soirĂ©es plus lĂ©gères quoique moins badines qu’il n’y parait, de surcroit dans un lieu aussi magicien et impressionnant que la galerie cynĂ©gĂ©tique d’Ambras (salle espagnole / Spanischer saal), prĂ©servĂ©e dans son jus dĂ©coratif (stucs et fresque nĂ©o italiennes) depuis le XVIIème. La prochaine Ă©tape majeure, outre la nouvelle Ă©dition du Concours Cesti (rare concours de chant baroque), demeure la nouvelle production d’Armide de Lully (première le 22 aoĂ»t 2015).

Compte rendu critique, opéra. Innsbruck, festival / Festwochen der Alten Musik (château d’Ambras). Jommelli: Don Trastullo. Robin Johannsen (Arsenia), Federico Sacchi (Don Trastullo), Francesco Castoro (Giambarone). Academia Montis Regalis. Alessandro De Marchi, direction. Christophe von Bernuth, mise en scène.

Jommelli : Don Trastullo Ă  Innsbruck

innsbruck-2015-vignette-DEPECHE-2015Festival d’Innsbruck 2015. Don Trastullo de Jommelli, Ă©vĂ©nement lyrique, les 19 et 20 aoĂ»t 2015.  Suite des Napolitains Ă  Innsbruck… Alessandro De Marchi nous a dĂ©ja rĂ©galĂ© ce 16 aoĂ»t avec Il Germanico de Porpora, seria enchanteur par la diversitĂ© des situations mĂ©lodiques et dramatiques, oĂą percent outre les tempĂ©rament des deux guerriers affrontĂ©s, Arminio (le germain) et Germanico (le romain), le profil des deux soeurs germaines, Ersinda et Rosmonda, toutes deux filles de SĂ©geste et opposĂ©es par la rivalitĂ© des deux clans. Après la veine historico-sentimentale, voici dans la citĂ© autrichienne, le bouffon napolitain, intermezzo de pure facĂ©tie, signĂ©e d’un maĂ®tre postĂ©rieur Ă  Porpora, Jommelli dont on connaĂ®t plus familièrement les opĂ©ras tragiques. Don Trastullo créé au Teatro della Valle, pour le Carnaval Ă  Rome en 1749,  se distingue par sa cocasserie, une intelligence rare des situations comiques qui en font un joyau du genre buffa. Trois personnages s’affrontent (Don Trastullo, Giambarone et la mordante et piquante Arsenia), se mesurent en une joute oĂą se joue la suprĂ©matie des genres et des sexes, comme des âges. Et comme souvent dans la tradition napolitaine, Ă©galement illustrĂ©e par Pergolesi et sa Serva Padrona (1733), la femme est maĂ®tresse, d’une finesse espiègle dont Mozart se souviendra encore dans le personnage de Despina pour son Cosi fan tutte. Ici Arsenia parviendra coĂ»te que coĂ»te Ă  Ă©pouser son aimĂ© (Giambarone/Totaro) et l’Ă©pousera après avoir extorquĂ© Ă  Trastullo, près de 100 doublons.

de-marchi-alessandro-innsbruck-maestro-academia-montis-realisLa partition devait imposer Jommelli Ă  Paris contre Rameau et l’inscrire d’emblĂ©e comme le maĂ®tre de la scène comique aux cĂ´tĂ©s de Hasse et de Pergolèse.  En deux parties, l’intermède suit la construction symĂ©trique en vogue : pour chaque partie, les 3 personnages ont chacun un air d’exposition, de situation, de rĂ©solution. Le mince argument est centrĂ© autour de la situation typique de la commedia dell’arte prĂ©sentant un Ă©lĂ©gant riche et stupide (Don Trastullo) que berne et dĂ©pouille de son argent une fille astucieuse (Arsenia) pour se marier avec son fiancĂ©. ComposĂ©e l’annĂ©e oĂą Jommelli est nommĂ© maestro coadiutore Ă  la chapelle papale, Don Trastullo tĂ©moigne de la versatilitĂ© poĂ©tique d’un maĂ®tre du drame lyrique, qu’il soit seria ou bouffa. Comme toujours, la scène comique parodie la style noble et solennel voire hĂ©roĂŻque : ainsi la cantate de l’Acte I destinĂ©e Ă  Don Trastullo, et aussi les airs caricaturaux du benĂŞt fortunĂ©, satire du style aristocratique nourrissent un ouvrage qui n’est pas que pur divertissement : il s’agit aussi pour Jommelli, d’interroger les limites du genre, la porositĂ© entre les deux veines poĂ©tique (seria/buffa), qui alors, depuis la rĂ©forme de Zeno, sont parfaitement sĂ©parĂ©es (alors qu’ils Ă©taient mĂŞlĂ©s et avec quel Ă©clat trouble dans l’opĂ©ra vĂ©nitien du siècle prĂ©cĂ©dent).
Parodique, satirique, comique, Don Trastullo exige des interprètes fins et subtils, en particulier dans les rĂ©citatifs, piliers du drame (dont une sĂ©quence d’improvisation littĂ©raire par Trastullo qui demeure exemplaire et irrĂ©sistible.

Jommelli_portrait_250LIRE aussi notre grand dossier Niccolo Jommelli (1714-1774). Portrait et carrière de l’auteur de Didone abbandonata, Armida abbandonata, citĂ© par Balzac dans sa nouvelle musicale Sarasine. Discographie sĂ©lective par Alexandre Pham
Il existe un excellent enregistrement de Don Trastullo de Jommelli par Antonio Florio (édité dès 2000, Opus 111).

Compte rendu, opĂ©ra.Innsbruck, Festival de Musique ancienne (Autriche). Tiroler Landestheater Oper, le 16 aoĂ»t 2015. Superbe recrĂ©ation d’Il Germanico de Nicola Porpora (Rome, 1731). Alexander Schulin, mise en scène. Alessandro de Marchi, direction.

germanico-porpora-innsbruck-2015Innsbruck. Compte rendu, opĂ©ra. Superbe recrĂ©ation d’Il Germanico de Porpora par Alessandro De Marchi Ă  Innsbruck. Très belle surprise Ă  Innsbruck pour la recrĂ©ation d’Il Germanico de 1732 de Nicola Porpora, compositeur Ă  torts Ă©tiquettĂ© (et expĂ©diĂ© en mĂŞme temps) comme exclusivement “virtuose” c’est Ă  dire dĂ©monstratif voire dĂ©coratif et creux. Rien de tel en vĂ©ritĂ© tout au long du spectacle comprenant trois actes et dans lesquels le chef Alessandro De Marchi avec un zèle passionnant, joue toutes les reprises des airs : tremplin excitant pour les chanteurs mais aussi loupe radicale pour ceux qui tenteraient de masquer des dĂ©fauts techniques ou stylistiques.

 

 

Germanico-innsbruck-david-hansen-patricia-bardon-compte-rendu-review-classiquenews-2015La vedette attendue de la soirĂ©e Ă©tait le contre-tĂ©nor David Hansen dont un premier disque (“Rivals”) paru sous Ă©tiquette DHM avait alors convaincu la RĂ©daction de classiquenews (rĂ©cital dĂ©diĂ© Ă  “Farinelli and Co”). Certes, le soliste a du cran de pousser sa voix dans les aigus atteignant des accents puissants et de mieux en mieux couverts, mais dès le dĂ©but, un dĂ©faut majeur gâte l’Ă©coute : son Ă©mission serrĂ©e presque engorgĂ©e (le temps de chauffer la voix est long) et surtout, son italien laisse vraiment Ă  dĂ©sirer, comparĂ© Ă  celui dĂ©fendu par les autres chanteurs. L’articulation patine, reste imprĂ©cise et flottante : un charabia Ă©nigmatique pour les plus fines oreilles italophiles. Un conseil, il ne s’agit pas de forcer et de projeter des aigus mĂ©talliques spectaculaires, il faut encore savoir articuler et nuancer… On invite donc le chanteur Ă  suivre une formation sĂ©rieuse d’articulation de l’italien : avec cette maĂ®trise, l’interprète devrait gagner encore en conviction d’autant qu’il est aujourd’hui au sommet de ses possibilitĂ©s vocales. La seule performance montre ses limites tant il faut de la subtilitĂ©.

En ressuscitant Il Germanico, Alessandro de Marchi dévoile la profondeur de Porpora

Seria subtil et humain

 

Car c’est lĂ  la surprise de la soirĂ©e : on attendait un Porpora rien que superfĂ©tatoire et virtuose, on dĂ©couvre un théâtre oĂą les scènes hĂ©roiques et historiques (confrontation du romain Germanico / Germanicus et du germain rebelle Arminio / Arminius) sont finalement prĂ©texte Ă  de superbes dĂ©voilements Ă©motionnels, oĂą les protagonistes ne sont pas ceux que nous espĂ©rions. Certes face Ă  l’Arminio de David Hansen, le Germanico de Patricia Bardon ne manque pas d’allure et campe mĂŞme une figure du pouvoir mobile, très juste : d’abord dure, inflexible, puis de plus en plus troublĂ©e et atteinte, jusque dans la scène finale, augurant Les Lumières, en pardonnant au vaincu Arminio… lequel suscite dans l’esprit du vainqueur romain, un pur sentiment d’admiration et de compassion.

 

 

Germanico innsbruck ensemble classiquenews review aout 2015

 

 

Les rĂ©vĂ©lations de la soirĂ©e sont du cĂ´tĂ© des “seconds rĂ´les” : celle des deux soeurs germaines (toute deux filles de Segeste, fidèle du clan Romain), Rosmonda et Ersinda, respectivement soprano et mezzo, remarquablement caractĂ©risĂ©es par deux solistes idĂ©alement convaincantes, jeunes tempĂ©raments d’une musicalitĂ© nuancĂ©e, au jeu crĂ©dible : Klara Ek et Emilie Renard ; cette dernière confirme les promesses dĂ©jĂ  exprimĂ©es quand nous l’avions dĂ©couverte comme laurĂ©ate de l’AcadĂ©mie de William Christie, Le Jardin des Voix 2013 ; la mĂŞme annĂ©e, la jeune britannique remportait aussi le Concours de chant Cesti… d’Innsbruck. Grâce Ă  Emilie Renard, Ersinda s’impose sur la scène par sa franche et souple sensualitĂ©, et le couple amoureux d’une lascivitĂ© assumĂ©e (voire explicite dans cette mise en scène) qu’elle forme avec le très correct Cecina (Hagen Matzeit, 2ème contre tĂ©nor de la production, s’impose superbement dans ses “affrontements” et duos suaves, qui sont autant de contrepoints conjugaux, rĂ©flexion sur la fidĂ©litĂ© et le dĂ©sir, Ă  l’action politique. Ces deux lĂ  sont l’antithèse du couple Ă©prouvĂ© par l’autoritĂ© de Germanico : Rosmonda et son Ă©poux, Arminio. Ainsi dans le rĂ´le de Rosmonda, Klara Ek incarne Ă  l’inverse, l’effroi de la soeur plutĂ´t gagnĂ©e au clan des germains rebelles, tous les vertiges et les tiraillements de la jeune femme, âme piĂ©gĂ©e, prise entre la rĂ©sistance au Romain, son lien filiale Ă  Segeste (père dĂ©vouĂ© au parti de Germanico) et surtout son amour pour son Ă©poux, Arminio (figure splendide de la rĂ©sistance). Les rapports entre les personnages sont parfaitement calibrĂ©s, d’autant que chaque protagoniste dĂ©fend son pĂ©rimètre expressif avec une autoritĂ© qui ne faiblit jamais.

Saluons Ă©galement l’engagement, la projection, l’aisance, la prĂ©cision linguistique (naturels pour un natif) du tĂ©nor Carlo Vincenzo Allemano qui apporte au personnage mĂ©dian de Segeste, un relief particulier: le rĂ´le assure le lien entre les cercles mĂŞlĂ©s : cour de Germanico dont il est le serviteur, et cercle sentimental des deux soeurs Rosmonda et Ersinda dont il est le père. HĂ©roĂŻques, ses airs sont redoutables et cĂ©lèbrent continĂ»ment la gloire romaine.

 

Collection de séquences enivrantes

 

Parmi les meilleurs moments de la soirĂ©e : citons quelques instants vocalement très rĂ©ussis, fruits d’une complicitĂ© entre les solistes et d’un esprit d’Ă©quipe qui demeure manifeste et s’affirme mĂŞme de façon croissante jusqu’Ă  la dernière mesure de cette 3ème et dernière reprĂ©sentation Ă  Innsbruck.

 

 

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Au I, c’est d’abord, l’enchaĂ®nement des airs d’Ersinda puis de son fiancĂ©, Cecina, le second reprenant la mĂŞme mĂ©lodie comme une surenchère Ă©motionnelle qui rĂ©pond en miroir Ă  son aimĂ©e, avec une Ă©vidente coloration Ă©rotique (scène 6 : enchaĂ®nĂ©s, les airs “Al Sole lumi d’Ersinda”, puis “Splende per mille amanti” de Cecina) : ce jeu de dĂ©clarations successives relève d’une exigence dramaturgique et inspire particulièrement Porpora (s’inspirerait-il pour le couple d’amoureux Ersinda/Cecina, des couples emblĂ©matiques de l’opĂ©ra vĂ©nitien : un hommage imprĂ©vu de Porpora Ă  Vivaldi finalement, et plus loin encore Ă  Cesti et Cavalli ?).

L’air de Rosmonda qui conclut l’acte (avec hautbois obligĂ©), outre qu’il souligne le dĂ©chirement intĂ©rieur qui dĂ©vore l’Ă©pouse d’Arminio comme on l’a dit, dĂ©voile aussi un jeu d’acteurs et une conception scĂ©nographique très justes : Klara Ek est la seule Ă  se dĂ©placer. La soprano va de l’un Ă  l’autre des 5 autres protagonistes, comme si soudainement l’action se dĂ©roulait de son point de vue, rĂ©vĂ©lant l’horreur de sa situation personnelle : son impuissance et sa souffrance. La subtilitĂ© qu’apporte la chanteuse Ă©claire ce personnage central dans l’action, comme Emilie Renard cisèle la sensualitĂ© lĂ©gère mais profonde d’Ersinda : les deux portraits de femmes (antagoniques) sont dans cette production idĂ©alement restituĂ©s.

 

 

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L’Acte II est centrĂ© sur le couple politique affrontĂ© : Germanico qui a contrario de son pouvoir omnipotent, s’inflĂ©chit intĂ©rieurement ; et Arminio qui dans sa prison, laisse fuser une plainte sombre qui Ă©gale les grands Haendel, par sa grandeur tragique et son esprit de rĂ©sistance. “Nasce da  valle impura” (ici s’adressant Ă  Arminio) rĂ©vèle un Romain dĂ©fait humainement et profondĂ©ment troublĂ© (mĂŞme sentiment dĂ©voilĂ© face Ă  Ersinda dans l’air qui suit : “Per un moment ancora” – scène 3 oĂą dans cette mise en scène, le Romain s’effondre en larmes en fin d’air) ; puis,  ”Parto, ti lascio, o Cara” (s’adressant alors Ă  son Ă©pouse Rosmonda) souligne pour Arminio, une autre facette chez David Hansen, la gravitĂ© lugubre, oĂą perce le masque de la mort : mĂŞme si l’italien s’enlise, le style s’assagit, les couleurs sont plus nuancĂ©es, le souffle surgit. Ses deux grands airs distinguent nettement les deux guerriers affrontĂ©s et accrĂ©ditent le très grand intĂ©rĂŞt de la partition créée Ă  Rome. Il paraĂ®t Ă©vident que Haendel Ă  puiser chez le Napolitain, et que plus tard Ă  Vienne, le jeune Haydn profite des enseignements de son maĂ®tre Porpora.

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Tout cela rĂ©vèle la sĂ©duction d’une esthĂ©tique théâtrale qui Ă©claire diffĂ©remment notre connaissance de Porpora : la combinaison des deux mondes (politique avec Germanico et Arminio, et sentimental avec les deux soeurs, Rosmonda et Ersinda) fonctionne Ă  merveille. Le jeu des contrastes produit la diversitĂ© du spectacle et dans sa continuitĂ©, sa grande diversitĂ© de climats. On comprend mieux ainsi que le compositeur napolitain ait pu dĂ©fier Haendel sur ses terres londoniennes justement dans les annĂ©es 1730.

de-marchi-alessandro-innsbruck-maestro-academia-montis-realisL’artisan d’une telle rĂ©ussite est le chef, Alessandro de Marchi qui est aussi le directeur artistique du Festival : direction souple, affĂ»tĂ©e, très soucieuse de l’Ă©quilibre voix/chanteurs, le maestro convainc pleinement dans cette rĂ©surrection d’un seria en rien indigeste malgrĂ© sa longueur. Le continuo est idĂ©alement souple et subtil, travaillant surtout une fine caractĂ©risation des sĂ©quences selon les enjeux politiques ou sentimentaux. La vivacitĂ© des enchaĂ®nements, la rĂ©partition des airs, le profil dramatique de chacun des caractères, d’autant mieux servi ici par une troupe très cohĂ©rente, de surcroĂ®t dans une mise en scène intelligente et fine (avec changements Ă  vue grâce Ă  une machinerie tournante) soulignent la justesse du choix musical ; la partition mĂ©rite absolument d’ĂŞtre connue et dans ce dispositif (de prochaines reprises sont vivement souhaitĂ©es). VoilĂ  qui dĂ©montre que la transmission est assurĂ©e et que l’ancien assistant-continuiste de RenĂ© Jacobs, devenu son successeur pour la direction du festival autrichien, retrouve ce goĂ»t si essentiel du dĂ©frichement et de la prise de risques. Jacobs s’Ă©tait engagĂ© pour l’opĂ©ra vĂ©nitien (rĂ©vĂ©lant le premier les perles mĂ©connues de Cesti et Cavalli), De Marchi fait de mĂŞme aujourd’hui, au service d’autres compositeurs, dont Porpora et son Germanico dĂ©sormais mĂ©morable. Très belle rĂ©vĂ©lation.

de-marchi-alessandro-maestro-alessandro_de_marchi__c_innsbrucker_festwochen_thomas_schrottInnsbruck, Festival de Musique ancienne (Autriche). Tiroler Landestheater Oper, le 16 août 2015. Nicola Porpora : Il Germanico (Rome, 1731). Recréation. Livret de Niccolo Coluzi. Patricia Bardon, Germanico. David Hansen, Arminio. Klara Ek, Rosmonda. Emilie Renard, Ersinda. Hagen Matzeit, Cecina. Carlo Vincenzo Allemano, Segeste. Academia Montis Regalis (Olivia Centurioni, premier violon). Alexander Schulin, mise en scène. Alessandro de Marchi, direction.

Illustrations : © R.IarI / Festival d’Innsbruck 2015

 

légendes des 6 photographies :
1- Arminio / Germanico : David Hansen / Patricia Bardon
2- Ensemble, de gauche Ă  droite : Segeste, Rosmonda, Ersinda et Germanico
3- Ersinda : Emilie Renard
4- Germanico et sa suite (Patricia Bardon)
5- finale de l’opĂ©ra
6- finale du II

 

 

 

 

 

 

 

 

Prochains temps forts du Festival d’Innsbruck 2015 :

 

Suite de la prĂ©cence de l’opĂ©ra napolitain du XVIIIè mais dans le genre buffa, avec l’intermezzo pĂ©tillant facĂ©tieux, Don Trastullo de Jommelli (1714-1774), les 19 puis 20 aoĂ»t 2015 Ă  20h (Spanischer saal, Château d’Ambras)

 

Armide de Lully avec les laurĂ©ats du dernier concours de chant baroque Cesti d’Innsbruck, les 22,24,26 aoĂ»t 2015

 

Toutes les infos et les modalitĂ©s de rĂ©servations sur le site du Festival d’Innsbruck / Innsbrucker Festwochen Der Alten Musik 2015

 

 

LIRE notre prĂ©sentation complète du Festival d’Innsbruck 2015 “Stylus Phantasticus”

 

 

Innsbruck 2015 : David Hansen chante Arminio

Contre-tĂ©nor Ă  suivre : David Hansen chante ArminioInnsbruck. RecrĂ©ation d’Il Germanico de Porpora : les 12,14,16 aoĂ»t 2015. Alors que Beaune 2015 ressucite en première mondiale son oratorio clĂ© : Il Trionfo della Giustizia (lire notre prĂ©sentation “Il Trionfo della Giustizia: un oratorio inĂ©dit Ă  Beaune”, le 24 juillet 2015 ), le Festival autrichien d’Innsbruck, propose l’un des temps forts de l’Ă©tĂ© lyrique, en programmant en recrĂ©ation mondiale, Il Germanico de Nicolo Porpora (1868-1768), les 12, 14, 16 aoĂ»t 2015 (au Tirol Landstheater), sous la direction du directeur du Festival, l’heureux successeur de RenĂ© Jacobs Ă  ce poste, Alessandro de Marchi. Porpora reste mĂ©connu, cantonnĂ© Ă  l’ombre de Haendel dont il fut le rival flamboyant Ă  Londres dans les annĂ©es 1730. MaĂ®tre de Haydn, Porpora incarne l’âge d’or de l’opĂ©ra napolitain, trouvant un Ă©quilibre subtil entre suprĂŞme virtuositĂ© et Ă©lĂ©gance mĂ©lodique, alliĂ© parfois Ă  un sens dramatique aigu. A Naples, il est le professeur de chant des plus grands chanteurs napolitains, en particulier du castrat Farinelli pour lequel il compose nombre d’ouvrages mettant en avant la facilitĂ© vocale de son Ă©lève favori.

Nicola_Antonio_PorporaLe style de Porpora (chaĂ®non flamboyant de l’art vocal entre Alessandro Scarlatti et Haendel) marque l’art musical du premier tiers du XVIIIème : le Napolitain marque les esprit comme professeur de chant au Conservatoire San Onofrio de Naples de 1715 Ă  1721 ; il devient le maĂ®tre du castrat Farinelli (comme des autres chanteurs adulĂ©s Cafarelli, favori de Haendel, ou de Hasse), et plus tard de Haydn, Porpora atteint un rare Ă©quilibre entre virtuositĂ© technique et fine caractĂ©risation des personnages qu’il s’agisse d’opĂ©ras ou d’oratorios. Porpora, gĂ©nie de l’art vocal, voyage beaucoup, atteignant mĂŞme avant Gluck ou Piccinni, un statut europĂ©en : il quitte Naples en 1726 pour Venise (oĂą il dirige l’Ospedale des Incurabili) ; puis rejoint Londres en 1733, pilotant la direction artistique de l’Opera de la Noblesse, maison rivale de celle de Haendel. Puis c’est Ă  nouveau Naples puis Venise en 1742 (crĂ©ation de Statira au Grisostomo) oĂą il dirige alors l’Ospedaletto. De 1747 Ă  1752, Porpora rejoint Dresde oĂą se produit son Ă©lève Hasse. Il devient Kappellmeister de la Cour en 1748 avant de gagner Vienne en 1753 : il emploie alors Haydn comme valet ! Ce dernier deviendra son Ă©lève enfin, recevant sa maĂ®trise exceptionnelle de l’écriture lyrique. Pour sa crĂ©ation Ă  Rome au Capranica, il Germanico in Germania de Porpora est créé par Cafarelli, castrat vedette Ă  Naples qui chante aussi pour Haendel Ă  Londres. L’oeuvre est emblĂ©matique du gĂ©nie lyrique de Porpora : elle est composĂ©e entre sa rĂ©sidence Ă  Venise (comme directeur musical de l’Ospedale degli Incurabili, nommĂ© dès 1726) et son arrivĂ©e Ă  Londres en 1733 comme directeur du nouveau théâtre rival de celui de la Royal Academy of Music de Haendel, l’Opera of the Nobility. Il Germanico renseigne donc sur l’Ă©criture de Porpora avant qu’il ne compose pour Londres, près de 5 ouvrages majeurs (dont Arianna in Nasso). LIRE notre prĂ©sentation complète d’Il Germanico de Porpora, crĂ©ation mondiale, prĂ©sentĂ©e au Festival d’Innsbruck 2015

 

 

 

distribution de la recrĂ©ation d’Il Germanico Ă  Innsbruck

Première mondiale, recréation
Nicola Porpora (1686 – 1768)
Il Germanico
Opera seria en 3 actes
Livret de Niccolo Coluzzi
création à Rome, 1732

direction musicale : Alessandro De Marchi
mise en scène : Alexander Schulin
Academia Montis Regalis

 

 

hansen-david-contre-tenor-582-594-arminius-germanico-porpora-innsbruck-2015Patricia Bardon, mezzo : Germanico
David Hansen, contre ténor : Arminio (portrait ci contre)
Klara Ek, soprano : Rosmonda
Emilie Renard, mezzo : Ersinda
Hagen Matzeit, contre ténor : Cecina
Carlo Vincenzo Allemano, ténor : Segeste

 

TIROLER LANDESTHEATER Oper
Les 12 et 14 aout 2015 (18h), le 16 août 2015 à 15h

 

 

germanicus-expirant-poussin-tableau-classiquenews-critique-description-germanico-porpora-innsbruck-aout-2015-582David Hansen, maillon fort d’Il Germanico prĂ©sentĂ© en crĂ©ation Ă  Innsbruck. Partenaire de la mezzo Patricia Bardon, Germanico attendu Ă  Innsbruck, le contre tĂ©nor australien David Hansen, qui a sucitĂ© rĂ©cemment l’enthousiasme de la RĂ©daction de Classiquenews pour son premier cd Ă©ditĂ© par Sony (DHM), et intitulĂ© “RIvals” en rĂ©fĂ©rence aux joutes vocales de l’Ă©poque des castrats dont Ă©videmment le modèle Farinelli, est le jalon fort de la nouvelle production prĂ©sentĂ©e Ă  Innsbruck. LIRE notre compte rendu critique du cd de David Hansen, “Rivals” (DHM). EN voici un extrait :

David HansenInspiré par les Cafarelli, Farinelli, Bernacchi et Manzuoli, Hansen ose tout, se risque souvent, et relève les défis multiples de ce récital hors normes. En outre, audacieux défricheur, Hansen nous gratifie généreusement de plusieurs inédits dont quelques airs que le frère de Farinelli, Carlo Broschi, composa pour son parent prodigieux… (Son qual Nave… restitué avec les notations du créateur de l’air).
Plein de santé juvénile et osons dire de testostérone prête à dégainer vocalement, le divo au look ravageur a décidément tout pour réussir et affirmer une très plaisante carrière. Les Cencic ou Scholl connaissent à présent leur successeur. Ce gars là a apparemment une présence, bientôt scénique, à revendre : voilà qui changera des voix étroites au physique maladroit. Pour ses prises de risques, son sens de l’équilibre sur le fil, ce disque est exemplaire et si le talent se confirme ici, voici à n’en pas douter l’un des meilleurs représentants de la jeune génération de haute contre réellement sensationnels.

 

Innsbruck. RecrĂ©ation d’Il Germanico de Porpora

germanicus-expirant-poussin-tableau-classiquenews-critique-description-germanico-porpora-innsbruck-aout-2015-582Innsbruck. RecrĂ©ation d’Il Germanico de Porpora : les 12,14,16 aoĂ»t 2015. Alors que Beaune 2015 ressucite en première mondiale son oratorio clĂ© : Il Trionfo della Giustizia (lire notre prĂ©sentation “Il Trionfo della Giustizia: un oratorio inĂ©dit Ă  Beaune”, le 24 juillet 2015 ), le Festival autrichien d’Innsbruck, propose l’un des temps forts de l’Ă©tĂ© lyrique, en programmant en recrĂ©ation mondiale, Il Germanico de Nicolo Porpora (1868-1768), les 12, 14, 16 aoĂ»t 2015 (au Tirol Landstheater), sous la direction du directeur du Festival, l’heureux successeur de RenĂ© Jacobs Ă  ce poste, Alessandro de Marchi. Porpora reste mĂ©connu, cantonnĂ© Ă  l’ombre de Haendel dont il fut le rival flamboyant Ă  Londres dans les annĂ©es 1730. MaĂ®tre de Haydn, Porpora incarne l’âge d’or de l’opĂ©ra napolitain, trouvant un Ă©quilibre subtil entre suprĂŞme virtuositĂ© et Ă©lĂ©gance mĂ©lodique, alliĂ© parfois Ă  un sens dramatique aigu. A Naples, il est le professeur de chant des plus grands chanteurs napolitains, en particulier du castrat Farinelli pour lequel il compose nombre d’ouvrages mettant en avant la facilitĂ© vocale de son Ă©lève favori.

Nicola_Antonio_PorporaLe style de Porpora (chaĂ®non flamboyant de l’art vocal entre Alessandro Scarlatti et Haendel) marque l’art musical du premier tiers du XVIIIème : le Napolitain marque les esprit comme professeur de chant au Conservatoire San Onofrio de Naples de 1715 Ă  1721 ; il devient le maĂ®tre du castrat Farinelli (comme des autres chanteurs adulĂ©s Cafarelli, favori de Haendel, ou de Hasse), et plus tard de Haydn, Porpora atteint un rare Ă©quilibre entre virtuositĂ© technique et fine caractĂ©risation des personnages qu’il s’agisse d’opĂ©ras ou d’oratorios. Porpora, gĂ©nie de l’art vocal, voyage beaucoup, atteignant mĂŞme avant Gluck ou Piccinni, un statut europĂ©en : il quitte Naples en 1726 pour Venise (oĂą il dirige l’Ospedale des Incurabili) ; puis rejoint Londres en 1733, pilotant la direction artistique de l’Opera de la Noblesse, maison rivale de celle de Haendel. Puis c’est Ă  nouveau Naples puis Venise en 1742 (crĂ©ation de Statira au Grisostomo) oĂą il dirige alors l’Ospedaletto. De 1747 Ă  1752, Porpora rejoint Dresde oĂą se produit son Ă©lève Hasse. Il devient Kappellmeister de la Cour en 1748 avant de gagner Vienne en 1753 : il emploie alors Haydn comme valet ! Ce dernier deviendra son Ă©lève enfin, recevant sa maĂ®trise exceptionnelle de l’écriture lyrique. Pour sa crĂ©ation Ă  Rome au Capranica, il Germanico in Germania de Porpora est créé par Cafarelli, castrat vedette Ă  Naples qui chante aussi pour Haendel Ă  Londres. L’oeuvre est emblĂ©matique du gĂ©nie lyrique de Porpora : elle est composĂ©e entre sa rĂ©sidence Ă  Venise (comme directeur musical de l’Ospedale degli Incurabili, nommĂ© dès 1726) et son arrivĂ©e Ă  Londres en 1733 comme directeur du nouveau théâtre rival de celui de la Royal Academy of Music de Haendel, l’Opera of the Nobility. Il Germanico renseigne donc sur l’Ă©criture de Porpora avant qu’il ne compose pour Londres, près de 5 ouvrages majeurs (dont Arianna in Nasso).

Germanicus, héros julio claudien

germanicus-porpora-poussin-julio-claudien-general-classiquenews-juillet-2015Drusus Germanicus (nĂ© en 15 avant JC – mort en 19 après JC). Le gĂ©nĂ©ral romain Germanicus appartient Ă  la famille impĂ©riale julio-claudienne (c’est le petit-fils de Marc Antoine et d’Octavie, la soeur d’Auguste) : hĂ©ritier de Tibère (son père adoptif) mais dĂ©cĂ©dĂ© avant la mort de celui-ci, Germanicus est l’archĂ©type du guerrier romain, loyal, couvert de gloire grâce Ă  ses compagnes victorieuses au profit de la puissance impĂ©riale romaine. Epoux d’Agrippine l’aĂ®nĂ©e, il a pour enfants : Julius Cesar, Agrippine (monstre politique et mère de NĂ©ron). En 10 av JC, Drusus devient Germanicus en raison de ses victoires contre les Germains en 15 et 16 après JC.  C’est le vainqueur du guerrier germain Arminius Ă  Idistaviso.

Avant d’ĂŞtre Germanicus, stratège vainqueur des barbares, Drusus fut un lettrĂ© dès sa jeunesse : Ovide lui dĂ©die ses Fastes (alors que Drusus n’a que 20 ans). En 18, Germanicus est nommĂ© consul romain dans les provinces d’Orient : pour Tibère, le loyal guerrier transforme la Cappadoce en province romaine et rattache la Commagène Ă  la Syrie. Il meurt Ă  Antioche probablement empoisonnĂ© par Piso, gouverneur de Syrie. Nicolas Poussin, gĂ©nie pictural du classicisme baroque, a peint la mort de Germanicus, l’un des plus beaux tableaux du XVIIè français, aujourd’hui au Louvre : disposition (composition) en fresque, chatoiement des couleurs nĂ©ovĂ©nitiennes (titianesques), clartĂ© et hĂ©roĂŻsme des attitudes et des gestes, accessoires minutieusement restituĂ©s dans le souci d’une reconstitution archĂ©ologique…).

Il Germanico in Germania (1732) de Nicolo Porpora Ă  Innsbruck, recrĂ©ation lyrique attendue / Germanico in Germania, créé Ă  Rome en 1732, de Porpora, avec mise en scène sous la direction d’Alessandro de Marchi, le directeur  artistique du Festival : première mondiale les 12 et 14 aoĂ»t, 18h puis le 16 Ă  15h)… Avec Patricia Bardon (Germanico), David Hansen (Arminio), Carlo Vincenzo Alemanno (Segeste), Hagen Matzeit (Cecina)… Academia Montis Regalis. Alexander Schulin (scĂ©nographie). + d’infos sur la page Il Germanico du festival d’Innsbruck

EVASION en Autriche : le festival d'Innsbruck 2015Stylus fantasticus, festival d’Innsbruck 2015. Du 8 au 28 aoĂ»t 2015. Lire notre prĂ©sentation, les temps forts, les productions d’opĂ©ras Ă  ne pas manquer : Il Germanico, Don Trastullo, Armide… La recrĂ©ation du seria de 1732, Il Germanico de Nicola Porpora Ă  Innsbruck est l’un des temps forts du Festival autrichien 2015. L’atout majeur de cette première attendue reste les deux chanteurs dans les rĂ´les protagonistes antagonistes : l’excellente mezzo Patricia Bardon et le contre tĂ©nor David Hansen dans les rĂ´les respectifs de Germanicus et de son rival barbare : Arminius.

 

 

 

distribution de la recrĂ©ation d’Il Germanico Ă  Innsbruck

Première mondiale, recréation
Nicola Porpora (1686 – 1768)
Il Germanico
Opera seria en 3 actes
Livret de Niccolo Coluzzi
création à Rome, 1732

direction musicale : Alessandro De Marchi
mise en scène : Alexander Schulin
Academia Montis Regalis

 

 

hansen-david-contre-tenor-582-594-arminius-germanico-porpora-innsbruck-2015Patricia Bardon, mezzo : Germanico
David Hansen, contre ténor : Arminio (portrait ci contre)
Klara Ek, soprano : Rosmonda
Emilie Renard, mezzo : Ersinda
Hagen Matzeit, contre ténor : Cecina
Carlo Vincenzo Allemano, ténor : Segeste

 

TIROLER LANDESTHEATER Oper
Les 12 et 14 aout 2015 (18h), le 16 août 2015 à 15h 

 

 

David Hansen, maillon fort d’Il Germanico prĂ©sentĂ© en crĂ©ation Ă  Innsbruck. Partenaire de la mezzo Patricia Bardon, Germanico attendu Ă  Innsbruck, le contre tĂ©nor australien David Hansen, qui a sucitĂ© rĂ©cemment l’enthousiasme de la RĂ©daction de Classiquenews pour son premier cd Ă©ditĂ© par Sony (DHM), et intitulĂ© “RIvals” en rĂ©fĂ©rence aux joutes vocales de l’Ă©poque des castrats dont Ă©videmment le modèle Farinelli, est le jalon fort de la nouvelle production prĂ©sentĂ©e Ă  Innsbruck. LIRE notre compte rendu critique du cd de David Hansen, “Rivals” (DHM). EN voici un extrait :

David HansenInspiré par les Cafarelli, Farinelli, Bernacchi et Manzuoli, Hansen ose tout, se risque souvent, et relève les défis multiples de ce récital hors normes. En outre, audacieux défricheur, Hansen nous gratifie généreusement de plusieurs inédits dont quelques airs que le frère de Farinelli, Carlo Broschi, composa pour son parent prodigieux… (Son qual Nave… restitué avec les notations du créateur de l’air).
Plein de santé juvénile et osons dire de testostérone prête à dégainer vocalement, le divo au look ravageur a décidément tout pour réussir et affirmer une très plaisante carrière. Les Cencic ou Scholl connaissent à présent leur successeur. Ce gars là a apparemment une présence, bientôt scénique, à revendre : voilà qui changera des voix étroites au physique maladroit. Pour ses prises de risques, son sens de l’équilibre sur le fil, ce disque est exemplaire et si le talent se confirme ici, voici à n’en pas douter l’un des meilleurs représentants de la jeune génération de haute contre réellement sensationnels.

 

Festival d’Innsbruck (Autriche), du 8 au 28 aoĂ»t 2015

Innsbruck-festival-2015-austria-august--8-28-2015-classiquenews-selection-summer-2015Innsbruck (Autriche), festival estival 8 du 28 août 2015. Pourquoi aller à Innsbruck en août prochain ? Pour la qualité des œuvres programmées (Innsbruck est un festival de musique ancienne et baroque), les interprètes qui les défendent et aussi l’attrait du site comme les thématiques affichées : Fantastique, extravagance … voilà les clés d’accès, pour une invitation prometteuse, celle du 39ème festival de musique ancienne d’Innsbruck. Concerts et récitals au château d’Ambras (y paraissent entre autres les sopranos Roberta Invernizzi, Anna Prohaska, le violoniste Giulano Carmignola), recréation lyrique attendue (Germanico in Germania, créé à Rome en 1732, de Porpora, avec mise en scène sous la direction d’Alessandro de Marchi, le directeur  artistique du Festival : première mondiale les 12 et 14 août, 18h puis le 16 à 15h)… les événements ne manquent pas.

 

 
Porpora, Lully, Hasse, Jommelli…

Germanico, Armide, Romolo ed Ersilia…

Moissons d’événements lyriques à Innsbruck

 

lully_portrait_mignard_lebrunMais fiertĂ© hexagonale oblige, c’est peut-ĂŞtre en plus de ce Germanico du Napolitain Porpora (le maĂ®tre et compositeur attirĂ© du prodige Farinelli… lequel crĂ©e le rĂ´le titre), une autre production attendue est celle de l’Armide de Lully, – les 22, 24 et 26 aoĂ»t 2015 : la partition tragique majeure traite du mythe de la guerrière enchanteresse, proie dĂ©munie et si humaine, dĂ©passĂ©e par l’amour brĂ»lant que suscite Ă  ses yeux, le beau chevalier chrĂ©tien Renaud. InspirĂ© du Tasse, et dĂ©jĂ  traitĂ© par le Monteverdi madrigalesque des dĂ©buts (le plus audacieux, le plus sensuel, le plus expĂ©rimental aussi, celui du Livre II de madrigaux de 1590), le profil fĂ©minin inspire aussi en 1686, le compositeur de Louis XIV Ă  Versailles : la distribution Ă  Innsbruck rĂ©unit la fine fleur du jeune chant baroque, distinguĂ©e l’annĂ©e dernière (Ă©tĂ© 2014, lord du premier Concours Cesti de chant baroque : Elodie Hache, Daniela Skorka, Miriam Albano…). Première tragĂ©die française créée Ă  Innsbruck (avec chorĂ©graphie de la compagnie suĂ©doise spĂ©cialisĂ©e Nordic Baroque dancers), Armide est aussi le chef d’oeuvre de Lully, ultime offrande du Florentin au genre lyrique français qu’il a créé pour Louis XIV. Le spectacle pilotĂ© en partie par le CMBV Centre de musique baroque de Versailles, met Ă  l’honneur la puretĂ© digne du chant baroque versaillais, tel que l’aimait le Roi-Soleil : Ă©loquence sensible d’un chant expressif aussi articulĂ© et convaincant que le théâtre parlĂ©. Tous les chanteurs sont coachĂ©s par BenoĂ®t Dratwicki et Jeffrey Francis dans leur approfondissement du chant baroque Ă  la française  (en particulier pour la rĂ©ussite des recitatifs).

Autre événement d’Innsbruck 2015, Romolo ed Ersilia, opéra seria de Hasse pour les noces à Innsbruck de l’archiduc Pierre-Léopold avec l’Infante Marie-Louise d’Espagne en août 1765. Le festival renoue avec les fastes des cérémonies dynastiques liées à la vie des Habsbourg (Gala pour Marie-Thérèse, le 13 août 2015, 20h) dont Innsbruck est l’une des résidences officielles. La production réunit au Landstheater la soprano Sunhae Im, le contreténor Valer Varna Sabadus au chant irradié particulièrement expressif (comme son confrère de la même génération et lui aussi révélé par Max Emanuel Cencic : Franco Fagioli).

Donc Innsbruck n’est pas seulement un laboratoire de partitions méconnues et pourtant captivantes, c’est aussi un festival particulièrement défricheur, dénicheur de jeune tempéraments lyriques…

Jommelli_portrait_250Enfin, saluons la comédie, Don Trastullo, perle buffa de Jommelli, autre napolitain de la fin XVIIIè, qui renaît ici dans la Salle espagnole du Château d’Ambras (les 19 et 20 août) ; et le récital de la soprano Sandrine Piau dans un programme consacré aux héroïnes de Rameau : la cantatrice française offre un chant instrumental d’une sensibilité étonnante, d’autant bienvenue ici qu’elle avait marqué les esprits lors des concerts Rameau à l’Opéra royal de Versailles dans la recréation de Zaïs où son incarnation sensible de Zélidie, âme amoureuse éprouvée, avait atteint une justesse poétique bouleversante… (récital Sandrine Piau : Les Surprises de l’amour, le 27 août, 20h).

Soit Porpora, Lully, Hasse, Jommelli… quel festival européen offre une telle richesse artistique dans le domaine baroque ?

 

 

boutonreservationToutes les infos et les modalités pratiques de réservation sur le site du festival de musique ancienne d’Innsbruck : Innsbruck Festwochen der Alten Musik, du 8 au 28 août 2015.

 

 

Pietro Antonio Cesti (1623-1669)

rosa salvatore marc antonio cesti Self-portrait_by_Salvator_RosaPietro Antonio Cesti (1623-1669).  A l’heure oĂą depuis Aix cet Ă©tĂ©, retentit (enfin) la gloire oubliĂ©e de Cavalli et ce théâtre enchanteur vĂ©nitien originaire du XVIIème, classiquenews s’intĂ©resse Ă  son contemporain Pietro Antonio Cesti, autre figure majeure de l’opĂ©ra italien du Seicento (XVIIème). L’heure est aux vĂ©nitiens (avant les napolitains au XVIIIè) : l’opĂ©ra est un divertissement populaire rĂ©cent qui impose sur les planches le mĂ©lange des genres, propice Ă  l’essor lyrique… Il y a 32 ans Ă  prĂ©sent RenĂ© Jacobs rĂ©vĂ©lait dans un enregistrement pionnier (L’Orontea) le geste sensuel, cynique et furieusement parodique de Cesti, compositeur au succès foudroyant qui croise le chemin de Christine de Suède, laquelle se passionne Ă  Innsbruck pour son opĂ©ra L’Argia, composĂ© lors de sa venue dans la ville tyrolienne. L’Orontea qui porte le nom de l’hĂ©roĂŻne, -reine fière et autoritaire qui a renoncĂ© Ă  l’amour, apporte un Ă©clairage prĂ©cis sur le style et le monde esthĂ©tique de Cesti : comme nombre d’ouvrages de son contemporain et rival Cavalli (La Calisto, Elena…), L’Orontea met en scène les figures ordinaires de l’opĂ©ra vĂ©nitien du Seicento : dans un cadre particulièrement théâtral (beaucoup de rĂ©citatifs, peu d’airs dĂ©veloppĂ©s et surtout des situations multiples qui enchaĂ®nent rebondissements, coups de théâtres, confrontations, oppositions, faux semblants, quiproquos…), Cesti emploie le travestissement qui concourt Ă  la confusion des sexes et des sentiments : ainsi Jacinta qui espionne Ă  la Cour d’Orontea, se travestit en homme, et devient Ismero, lequel suscite les avances de la vieille Aristea… – mĂŞme canevas chez Cavalli dans Elena oĂą MĂ©nĂ©las, l’amoureux d’Elena, s’étant habillĂ©e en femme, devient  l’objet des dĂ©sirs ardents du roi Tyndare et de PirithoĂĽs, le compagnon de ThĂ©sĂ©e… (!). Le comique bouffon et les saillies oniriques voire satiriques vont aussi bon train chez Cesti, en cela fidèle au style vĂ©nitien qui aime mĂ©langer les genres.

L’identité miroitante et changeante, le trouble né du désir est au coeur de l’intrigue car le jeune peintre Alidoro, que le philosophe Créonte tient pour un vagabond opportuniste dont s’est entichée la reine, ne sait pas qui il est ; au III, par un revirement théâtral qui singe la réalité (n’oublions pas que le réel peut parfois dépasser l’imaginaire), l’artiste porte un médaillon qui l’identifie clairement comme… le fils du roi de Phénicie, Floridano. Le peintre errant peut ainsi épouser Orontea en un happy end (Fine lieto) enfin pacifié. Hors des tensions et rivalités, intrigues et manipulations, l’amour vainc tout.

Rosa salvatore 1024px-Self-portrait_of_Salvator_Rosa_mg_0154Biographie. La vie de Cesti se confond avec les lieux qui ont portĂ© avant lui l’éclosion du talent de Piero della Francesca. NĂ© Ă  Arezzo en 1623, Cesti (donc toscan) entre chez les Franciscains Ă  14 ans, puis devient organiste et maĂ®tre de musique au sĂ©minaire de Volterra. MĂŞme Ă©loignĂ© des grands foyers artistiques toscans, – Sienne, Florence-, Cesti reste informĂ©s des avants-gardes : il rencontre le peintre fantasque et fascinant Salvatore Rosa (1615-1673) dont l’univers fantasmagorique, et la sensibilitĂ© panthĂ©iste, en fait un conteur et paysagiste parmi les plus captivants de l’époque.

A Florence en 1650, Cesti presque trentenaire, se distingue au théâtre : il chante Ă  Lucques, le Giasone de Cavalli. MenacĂ© d’exclusion par les frères mineurs,  mais dĂ©jĂ  remarquĂ© par les Medicis, Cesti fait crĂ©er Ă  Venise pour les Carnavals de 161 et 1652, ses deux premiers drames lyriques. En 1652, l’archiduc Ferdinand, duc de Toscane le nomme compositeur de la chambre : succès foudroyant pour celui qui est prĂ©sentĂ© après la mort de Monteverdi (1643) et malgrĂ© le rayonnement de Cavalli (l’autre Ă©lève de Monteverdi) comme le compositeur le plus douĂ© de sa gĂ©nĂ©ration. Il compose des cantates, forme les castrats de la cour toscane, surtout pilote les divertissements organisĂ©s Ă  Innsbruck sur le modèle des théâtres vĂ©nitiens. Ainsi se succèdent les grands opĂ©ras cestiens : Cesare amante (repris en 1654 sous le nom de Cleopatra : et qui reprend la figure du tyran effĂ©minĂ© / efeminato, c’est Ă  dire dĂ©cadent et corrompu dans la lignĂ©e du Nerone de Monteverdi et Busenello dans Le couronnement de PoppĂ©e antĂ©rieur, de 1642-1643)), puis avec le librettiste Apolloni (qui travaille aussi avec Cavalli pour Elena de 1659), ce sont trois opus majeurs : Argia en 1655 donnĂ© pour la Reine Christine de Suède rĂ©cemment convertie au catholicisme ; Orontea en 1656 ; La Dori en 1657. Cesti est rappelĂ© par les Franciscains en 1659 et doit rejoindre immĂ©diatement Rome.

GĂ©nie de l’opĂ©ra vĂ©nitien du Seicento

Il devient chantre Ă  la Chapelle Sixtine, continue de composer des cantates, certaines licencieuses, se produit sur les scènes privĂ©s (Rome n’a pas encore de théâtre public). Il supervise la reprise de l’Orontea chez les Colonna en 1661. Pour les Noces de CĂ´me III et Marguerite Louise d’OrlĂ©ans, il chante dans l’opĂ©ra de Melani, Ercole in Tebe. A Vienne, au service des Habsbourg et favorisĂ© par ces derniers, Cesti compose son chef d’oeuvre, Il Pomo d’oro. MalgrĂ© son prĂ©texte dynastique qui en fait une partition de circonstance, Cesti produit comme Cavalli Ă  Paris pour les Noces de Louis XIV (Ercole amante), une oeuvre opulente et raffinĂ©e, touchante par sa profondeur, fascinante par son invention poĂ©tique. En 1666, il fait reprendre Ă  Venise (Teatro San Giovanni e Paolo) l’Orontea, pourtant « vieille partition de 10 ans »… preuve de son succès auprès des publics. SollicitĂ© Ă  Vienne et Ă  Venise, mais aussi Ă  Florence, il meurt au faĂ®te de sa gloire, en pleine activitĂ© en 1669 Ă  46 ans. Sa maison, cadeau de son protecteur pour service rendu, existe toujours Ă  Innsbruck, occupant un angle face Ă  la CathĂ©drale Saint-Jacob d’Innsbruck.



Salvator_Rosa_poetryAristocratique et populaire. Cesti familier des grands livre une musique raffinée et aristocratique
, tout en fournissant les opĂ©ras pour les théâtres vĂ©nitiens publiques dont la formule s’exporte alors partout en Europe. L’Orontea incarne l’engouement des audiences pour la formule de l’opĂ©ra vĂ©nitien, au point que l’ouvrage de Cesti occulta un premier drame musical sur le mĂŞme sujet signĂ© de Lucio. Le succès d’Orontea d’après le livret originel de Cicognini est un vrai drame théâtral, turbulent, grotesque, acide et sensuel Ă  la fois, d’esprit carnavalesque et lĂ©ger : une comĂ©die grinçante dont les vĂ©nitiens ont toujours eu le gĂ©nie. La rĂ©solution n’intervient qu’au terme du IIIè acte, après que les auteurs en aient compliquĂ© et densifiĂ© le dĂ©ploiement au fur et Ă  mesure de son dĂ©roulement, quitte Ă  (sur)charger les intrigues parallèles, et les rencontres des plus improbables; comme dans les opĂ©ras les mieux conçus de Cavalli, le théâtre de Cesti tisse un labyrinthe oĂą les identitĂ©s et les tempĂ©raments se perdent, s’inversent, se confondent comme en un miroir dĂ©formant. Cesti impose dans l’Orontea, une vĂ©ritable intelligence des situations, diversifiant ses choix formels afin de vivifier un drame musical proche de la rue. Sa facilitĂ© Ă  ciseler les rĂ©citatifs en scènes courtes, vivantes mais capitales pour la comprĂ©hension et la continuitĂ© de l’action se distingue particulièrement dans l’Orontea. Cesti partage avec Cavalli, cette versatilitĂ© vertigineuses des sentiments et des climats Ă©motionnels : tous deux incarnent l’âge d’or de l’opĂ©ra vĂ©nitien du XVIIème, une pĂ©riode fĂ©conde qui est aussi ce bel canto originel. Dans le sillon fixĂ© par leur maĂ®tre Monteverdi, Cesti et Cavalli portent Ă  son sommet l’art du bel canto qui alors profite du mĂ©lange des genres : comiques, hĂ©roĂŻques, tragiques, bouffons. C’est une scène d’une flamboyante richesse poĂ©tique que le XVIIIè s’ingĂ©niera Ă  assĂ©cher, jusqu’à Mozart qui dans ses drames giocosos (dont Don Giovanni) revient Ă  la richesse originelle de l’opĂ©ra.

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Illustrations : Toutes les illustrations de notre portrait de Pietro Antonio Cesti sont de Salvatore Rosa, peintre, paysagiste, ami de Cesti. Deux autoportraits, allĂ©gorie de la poĂ©sie, bataille…

 

CD. Provenzale : La Stellidaura Vendicante (Alessandro de Marchi, 2012)

provenzale stellidaura vendicante marchi innsbruckCD. Provenzale : La Stellidaura Vendicante (Alessandro de Marchi, 2012). Il fut un temps, à l’époque du feu label Opus 111, depuis racheté par Naïve, Provenzale occupait une place non négligeable du catalogue discographique grâce entre autres à l’audace défricheuse de l’ex Capella dei Turchini (Antonio Florio, direction) qui s’était fait une spécialité de défricher l’œuvre prolifique du Napolitain. Un tempérament taillé pour l’opéra qui aux côtés des perles comiques et des oratorios et drames sacrés (spesames fervents de Rosalia dans La Colomba ferita), nous offre ici un opéra tragico héroïque de 1674, nouveau jalon de l’opéra parténopéen du premier baroque (Seicento). S’y agrègent tous les ferments d’un génie lyrique et dramatique puissant et terriblement sensuel (Cavalli le sublime vénitien n’est pas loin) au service d’une action qui met en scène l’indomptable et loyale Stellidaura, femme déterminée et courageuse, prête à tout pour sauver son amant Armidoro, bravant le cynisme barbare de son ennemi, l’inflexible Orismondo : Stellidaura est donc une préfiguration de Leonora et de Tosca, une lionne faite femme.

Stellidaura, la veine pathétique et sensuelle de Provenzale
L’ouvrage est inspirée de la cantatrice Giulia de Caro, directrice du San Bartolomeo de Naples qui passa commande à Provenzale. Exhumée en 1997 (Bruxelles, La Monnaie), la partition est ensuite remontée en 2012 à Innsbruck, sous la tutelle du même chef explorateur, Alessandro de Marchi et son ensemble Academia Montis Realis. L’Italien devenu après René Jacobs, directeur du festival d’Innsbruck, entend reproduire le miracle des représentations passées, un peu à la façon de La Calisto de Cavalli pour le même Jacobs. Las, la distribution est loin d’être à la hauteur de l’ouvrage et les instrumentistes de de Marchi n’ont pas toute le flexibilité ni la science dynamique… des Turchini. Ni même la verve versatile, entre langueurs sincères et amoureuse du couple héroïque (Stellidaura et Armidoro) et comique déjanté voire délirant des personnages secondaires (dont évidemment des dérapages plébéiens cocasses voire picaresques. ici en dialecte calabrais)…
Dans le rôle titre, la mezzo Jennifer Rivera affirme un tempérament vocal généreux quoique manquant parfois de nuances, son vibrato permanent nuisant aussi à la clarté de l’émission. Face à elle, Carlo Allemano sait en revanche nuancer le rôle du méchant Orimsondo dont le désir et l’activité de la la jalousie se dévoile, tissant un être de chair et de sang, se révélant plus humain que mécaniquement barbare : un individu et non plus un type. (très beau lamento amoroso : « Trà pianti e sospiri »). D’un tessiture ample et d’une présence continue, le rôle du ténor amoureux et fervent, coloriste aussi, Armidoro est plus bancal : Adrian Strooper manque de finesse, de clarté, de justesse aussi : schématisant un personnage qui exige éclat, tendresse, intensité. Domestique à l’origine tenu par le castrat juvénile Nicolo Grimaldi (Nicolini alors âgé de 12 ans… qui créera Rinaldo de Hanedel), Armillo est ici défendu par le contre ténor Hagen Matzeit, loquace, ardent malgré sa petite voix.
En fosse, chef et instrumentistes peinent à exprimer l’extase amoureuse comme l’ivresse bouffe des situations. Le geste reste étroit, systématique en un continuo peu caractérisé et lui aussi peu nuancé, qu’un Ottavio Dantone et sa Academia Bizantina (vrai rival dans ce répertoire) aurait certainement mieux sculpté. Il y manque un soupçon de dépassement, de transe, de vertiges comme de délire… autant de critères déterminants qui font les grandes interprétations au service des grandes œuvres (c’était le cas de La Calisto de Cavalli par Jacobs dans la mise en scène de Wernicke : un must devenu légendaire). Avec l’intensité (et l’épaisseur vibrée) de Jennifer Rivera, la production d’Innsbruck en avait la promesse… mais le cast reste bancal et les instrumentistes, trop neutres. Tout est trop poli.

Francesco Provenzale (1624 – 1704) : La Stellidaura Vendicante (Naples, 1674). OpĂ©ra en 3 actes sur un livret d’Andrea Perrucci. Stellidaura : Jenifer Rivera, mezzo-soprano. Orismondo : Carlo Allemano, tĂ©nor. Armidoro : Adrian Strooper, tĂ©nor. Giampetro : Enzo Capuano, basse. Armillo : Hagen Matzeit, contre tĂ©nor. Academia Montis Regalis. Alessandro de Marchi, direction. 2 cd, DHM. Enregistrement rĂ©alisĂ© Ă  Innsbruck en 2012.