Angers Nantes OpĂ©ra. Baroque, Histoires sacrĂ©es, 16 septembre-3 octobre 2015. Carrissimi et Marc-Antoine Charpentier. Au XVIIĂš, la ferveur religieuse s’Ă©prouve dans le cadre théùtral de l’oratorio, nouveau genre nĂ© en Italie simultanĂ©ment Ă l’opĂ©ra : chanteurs et instrumentistes ressuscitent les grands actes hĂ©roĂŻques des premiers martyrs chrĂ©tiens. A Rome, le gĂ©nie de Carrissimi s’affirme (Jonas et JephtĂ©), Ă tel point que les compositeurs français et europĂ©ens se pressent pour recevoir la leçon du maĂźtre romain : Marc-Antoine Charpentier venu Ă Rome comme peintre, dĂ©couvre la force de la musique et du chant le plus expressif et le plus sensuel (alliance rĂ©alisĂ©e quelques dĂ©cennies prĂ©cĂ©dentes en peinture par Caravage) : il sera compositeur et maĂźtre de l’oratorio, genre rebatisĂ© en France, aprĂšs sa formation auprĂšs de Carrissimi, “histoire sacrĂ©e”. En tĂ©moigne Le Reniement de Saint-Pierre, chef d’oeuvre de 1670, affirmant au moment oĂč Lully crĂ©e l’opĂ©ra français pour Louis XIV Ă Versailles (tragĂ©die en mussique), le gĂ©nie d’un Charpentier soucieux de sensualitĂ© italienne autant que de dĂ©clamation française, expressive et onirique. Pour autant Charpentier n’oublie le drame, et la structure de ses Histoires italiennes, exploitent toutes les possibilitĂ©s expressives de la musique, en particulier quand l’enchaĂźnement des Ă©pisodes favorise caractĂ©risation, coup de théùtre, contrastes saisissants… A Rome au dĂ©but des annĂ©es 1660 (Ă 17 ou 18 ans), Charpentier concentre une rare expĂ©rience de l’oratorio tel qu’il Ă©tait pratiquĂ© alors par Carissimi mais aussi les frĂšres Mazzocchi, Orazio Benevoli, Francesco Beretta : il apprend Ă leurs cĂŽtĂ©s, Ă maĂźtriser une langue sensuelle et dramatique d’une sĂ©duction inconnue en France. L’auteur de MĂ©dĂ©e (1693), fut nommĂ© au poste prestigieux de maĂźtre de musique Ă la Sainte-Chapelle de Paris (1698, Ă 55 ans) : il y compose sa fameuse Messe Assumpta est Maria, sommet de la ferveur baroque française du Grand SiĂšcle. MoliĂšre ne s’Ă©tait pas trompĂ© en prĂ©fĂ©rant alors Charpentier Ă Lully, pour ses comĂ©dies ballets, quand Lully prĂ©fĂ©ra s’engager avec passion dans le genre de la tragĂ©die lyrique. MĂȘme s’il n’eut aucun poste officiel Ă Versailles, Charpentier trĂšs apprĂ©ciĂ© du parti italophile (Duc de Chartres), suscita nĂ©anmoins l’estime de Louis XIV qui la gratifia d’une pension pour service rendu aux Bourbons, entre autres pour les musiques composĂ©es pour les messes du Grand Dauphin (dĂ©but des annĂ©es 1680).
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Angers Nantes OpĂ©ra dans les Ă©glises de Nantes dĂšs le 16 septembre et jusqu’au samedi 3 octobre 2015, puis et Ă Angers Ă la CollĂ©giale Saint-Martin, les 15,16,18, 19 mars 2016 (20h) offre un florilĂšge spectaculaire de l’art de l’oratorio romain aux histoires sacrĂ©es françaises, excellence d’une transmission Ă©tonnante entre France et italie, Carrissimi et Charpentier.
Programme : Histoires sacrées
3 oratorios de Carissimi Ă Marc-Antoine Charpentier
Jonas de Giacomo Carissimi
Oratorio pour solistes, chĆur, cordes et basse continue. Créé Ă Rome.
Le Reniement de saint Pierre de Marc-Antoine Charpentier
Oratorio pour solistes, chĆur et basse continue. Créé Ă Rome ou Paris, vers 1670.
Jephté de Giacomo Carissimi
Oratorio pour solistes, chĆur et basse continue. Créé Ă Rome, vers 1645.

La figure du Dieu baroque telle qu’elle est illustrĂ©e par Charpentier et Carissimi au XVIIĂš est une instance punitive et inflexible. Les actions reprĂ©sentĂ©es appellent Ă l’humilitĂ©, la contrition, la soumission aux injonctions divines… Les hĂ©ros Ă©prouvĂ©s suscitent chez les “spectateurs/auditeurs”, un profond sentiment de compassion. Rien de tel pour susciter les vocations et convertir les fidĂšles venus en masse assister aux drames sacrĂ©s. Jonas est avalĂ© par la baleine parce qu’il avait dĂ©sobĂ©i Ă l’ordre divin ; Pierre est ici puni voire humiliĂ© parce qu’il a reniĂ© sa foi ; surtout, chez Carissimi, JephtĂ© doit immoler son bien le plus prĂ©cieux, sa propre fille (un thĂšme que l’on retrouve dans d’autres Ă©pisodes Ă l’OpĂ©ra : Abraham sacrifiant son fils Isaac, ou IdomĂ©nĂ©e devant tuer son fils Idamante… mais Ă la diffĂ©rence de JephtĂ© dĂ©finitivement perdue, une main salvatrice vient au dernier moment sauver l’innocente victime). Ainsi les dieux ont soif : il leur faut du sang humain, preuve de la soumission terrestre au ciel rageur et avide. DĂ©veloppĂ© puis perfectionnĂ© pour les Oratoriens de Philippe de NĂ©ri (dont l’ordre fut officialisĂ© par le Pape GrĂ©goire XIII en 1575), la forme de l’oratorio prolonge les premiĂšres expĂ©riences de chants expressifs (polyphonies doxologiques ou laudes). Avec Carissimi, la musique offre un cadre et un rythme dramatique au texte ; son impact sur les foules suscite l’adhĂ©sion des croyants, ainsi l’oratorio romain est-il favorisĂ© par le pape pour convertir les Ăąmes perdues depuis la RĂ©forme. Dans les annĂ©es 1640, Carissimi reprend Ă son compte les modĂšles de musique sacrĂ©e théùtrale fixĂ©e par Emilio de’Cavalieri et Monteverdi, au dĂ©but du XVIIĂš : il en dĂ©coule cette langue sensuelle et expressive que Charpentier exporte Ă Paris Ă la fin des annĂ©es 1660 : continuitĂ©, transmission, sublimation.
Mise en scĂšne : Christian Gangneron
costumes : Claude Masson
avec
Hervé Lamy, Jonas, Pierre, Jephté
Hadhoum Tunc, la fille de Jephté
ChĆur dâAngers Nantes OpĂ©ra, dirigĂ© par Xavier Ribes
Ensemble Stradivaria, dirigé par Bertrand Cuiller
Reprise Angers Nantes OpĂ©ra, créée le mercredi 16 septembre 2015 Ă Nantes, dâaprĂšs la production de lâAtelier de recherche et de crĂ©ation pour lâart lyrique, créée Ă lâabbaye de Pontlevoy le 6 septembre 1985.
Illustration : Caravage : l’IncrĂ©dulitĂ© de Saint-Thomas, Marie-Madeleine pĂ©nitente (DR)