LâOpĂ©rA/uvillage, PourriĂšres. Le petit festival LâOpĂ©rA/uvillage de PourriĂšres fĂȘte ses dix ans. Ce sympathique festival est singulier et pluriel : singulier par le lieu, la vocation vocale originale, et pluriel parce quâil est nĂ© du rĂȘve, du vĆu collectif dâun groupe dâamis habitant PourriĂšres, qui sâest concrĂ©tisĂ© par la participation de nombreux bĂ©nĂ©voles de tout le village autour du projet.
   Histoire et lieu
Mais un peu dâhistoire puis un peu de gĂ©ographie. Lâhistoire : un jour, un beau jour, un tĂ©nor irlandais, Uele Dean, passe par le village, en est charmĂ©, sây installe, donne des cours de chant, des concerts, crĂ©e un jumelage entre ce village minuscule du sud avec Armoy, en Irlande. Malheureusement, pour des raisons de santĂ©, il abandonne son projet mais, Ćuvrant pour les voix, il ouvrait une voie, et les chanteurs quâil avait formĂ©s, dĂ©cidĂšrent de poursuivre lâaventure, bel hommage Ă lâinitiateur malade.
Avec une poignĂ©e de bĂ©nĂ©voles, Ingrid Brunstein, une Allemande amoureuse de notre rĂ©gion, porta sur les fonts ce quâelle appela « lâOpĂ©rA/u Village », assumant pendant trois ans la prĂ©sidence, qui deviendra tournante. Un hĂŽte capital du village, Jean de Gaspary, propriĂ©taire et restaurateur du petit Couvent des Minimes, dĂ©sireux dây accueillir des artistes mit ce lieu Ă leur disposition. Ainsi naquit le premier spectacle OrphĂ©e et Eurydice, de Gluck. Cette premiĂšre expĂ©rience imposa la nĂ©cessitĂ© de faire appel Ă des professionnels.

PourriĂšres, un petit grand festival
Apparaissent alors, en 2006, deux artistes professionnels, Bernard Grimonet et Luc Coadou, passionnĂ©s par le projet qui dĂ©cident dâassumer bĂ©nĂ©volement les responsabilitĂ©s, respectivement, de metteur en scĂšne et de directeur musical. Les chanteurs sont recrutĂ©s sur audition par un jury de professionnels et lâassociation, le jeune festival affirme son double objectif : produire des opĂ©ras comiques rares, parfois inĂ©dits et donc inouĂŻs, Ă dĂ©couvrir ou redĂ©couvrir et offrir une premiĂšre scĂšne Ă des jeunes chanteurs, entourĂ©s dâartistes aguerris.    Sâajoute, par ailleurs, lâorganisation de concerts et des Ă©vĂ©nements artistiques de qualitĂ© avec des artistes de renom. Bref, dans ce coin de Provence, un festival Ă©clot, sâimplante, sĂšme et essaime dans le village, rĂ©coltant la bienveillance, par dĂ©finition, de bĂ©nĂ©voles, qui forment une vaste Ă©quipe dâaccueil des artistes et des spectateurs, brassĂ©s dans une convivialitĂ© chaleureuse oĂč le programme musical se mĂȘle au menu culinaire Ă thĂšme adaptĂ© de lâĆuvre, concoctĂ© par les villageois eux-mĂȘmes et dĂ©gustĂ© Ă©ventuellement, avant le spectacle, dans un lieu unique, dont il faut parler.
La gĂ©ographie, elle fait partie du charme du lieu, jâen ai dĂ©jĂ parlĂ©. Disons, que, venant dâAix, du nord-ouest, lĂ oĂč sâapaisent les dentelles de la Sainte Victoire en molles ondulations, se hausse, du col de son clocher provençal Ă campanile en fer, le village de PourriĂšres, face aux vagues montantes des monts AurĂ©liens au sud-est, oĂč serpente parmi les vignes la route qui vient de Trets, de Marseille via Gardanne. Route et autoroute tracent leur ligne bleue sur la plateau qui conduit Ă Saint-Maximin, vers la CĂŽte dâAzur. Nous sommes, effectivement, dans une cĂŽte et cote dâamour qui sâinflĂ©chit en un chemin creux vers le petit couvent des Minimes.
Un toit oblique chapeautĂ© dâun plat clocher triangulaire ajourĂ©, aiguisĂ© de deux pignons pointus, offre sa façade de guingois Ă un fronton classique, mince frontispice dorique rappelant le XVI e siĂšcle de la construction : humble construction que des moines campagnards bĂątirent patiemment en assemblant Ă lâancienne, une Ă une, ces pierres roses ou rousses, liĂ©es dâun peu de mortier. Une muraille en moellons apparents, soulignĂ©e et ombragĂ©e dâune ligne de marronniers sĂ©culaires, sous lesquels se dressent ordinairement les joyeuses tables du repas Ă thĂšme servi par les bĂ©nĂ©voles du lieu, embrasse plus quâelle ne ceinture, le couvent. Mais aujourdâhui, les sourcils froncĂ©s de nuages dâorages, ont contraint les tables festives Ă se replier sous les arcades propices du petit cloĂźtre, en simple appareil de pierres crues, une galerie au modeste dos voĂ»tĂ© autour dâune courette Ă laquelle un marronnier tutĂ©laire offre un ciel vert, parasol le jour, parapluie ce soir, dais vĂ©gĂ©tal la nuit, Ă©ventant mollement de sa palme les Ă©toiles dâĂ©tĂ© ou, miracle du soir, semblant Ă©pousseter, repousser les nuages frondeurs. Câest dans ce lieu amical quâaura lieu le spectacle, qui se riera des intempĂ©ries.
ĂLES HILARANTES
Câest le facteur commun des deux Ćuvres peu communes programmĂ©es ce soir : comme au temps de leur crĂ©ation, deux pĂ©tulantes et pĂ©taradantes opĂ©rettes se partagent cette annĂ©e lâaffiche joyeuse.
 Les Pantins de Violette dâ Adolphe Adam
Ouvrant le ban, Adolphe Adam (1803-1856), trĂšs connu pour son Postillon de Longjumeau (1836), son ballet Giselle (1841), mais inconnu pour cette Ćuvre si rare quâelle nâexiste mĂȘme pas en disque , Les Pantins de Violette (1856, mort quatre jours aprĂšs). CâĂ©tait une commande de Jacques Offenbach (1819â1880) pour son petit théùtre, les Bouffes-Parisiens. Le mince livret de Battu et HalĂ©vy joue sur la mode dĂ©jĂ ancienne des automates, connus depuis lâAntiquitĂ©, relancĂ©e par Vaucanson au siĂšcle prĂ©cĂ©dent, remise au goĂ»t du jour par le romantisme allemand fantastique dâHoffmann et ses contes, qui nourriront plus tard lâinspiration dâOffenbach. Sur une Ăźle dĂ©serte, qui rappelle aussi celles, nombreuses en littĂ©rature (chez Marivaux aussi) oĂč vit encore une humanitĂ© innocente prĂ©servĂ©e de la civilisation, Alcofribas, lâenchanteur, veut prĂ©server la puretĂ© virginale, disons en langage fleuri la rose de Violette pour la garder intacte pour son fils Pierrot. Il lui fait croire que le monde nâest peuplĂ© que de pantins pantois par lui fabriquĂ©s, mais la fille reste une poupĂ©e de chair rĂȘvant de faire paire sans impair, insatisfaite et exigeante, car depuis La Fontaine et son conte, on sait Comment lâesprit vient aux filles grĂące Ă certain jeu Ă deux :
Le beau du jeu n’est connu que de l’Ă©poux;
C’est chez l’Amant que ce plaisir excelle.
Colette en fera un récit plus coquin et malin que cette bourgeoise bluette fleur bleue. Un Deus ex machina, logique pour ces machines et cette machination mécanique, rendra tout le monde heureux : la morale bourgeoise est sauve.
Le thĂšme est mince, la trame musicale, jolie. Partition trouvĂ©e par les complices ingĂ©nieux du lieu Ă Avignon : une ouverture en trois partie, dâabord entraĂźnante avec une sicilienne, une barcarolle berceuse pour second mouvement langoureux, et une sorte de saltarello ou de tarentelle joyeuse en troisiĂšme. On trouve, vocalement, des passages obligĂ©s de lâopĂ©ra ou lâopĂ©rette hĂ©ritĂ©s du baroque, lâair du canari oĂč la chanteuse rivalise avec la flĂ»te, lâorage zĂ©brĂ© dâĂ©clairs de cordes, lâair faussement pastoral, lâair de « liste (ici, de mĂ©tiers), les battements de cĆur de lâopera buffa depuis La Serva padrona. Câest une musique agrĂ©able, pleine de mĂ©tier, simple mais nourrie de rĂ©fĂ©rences savantes, et la dĂ©licate rĂ©alisation musicale de Luc Coadou a beaucoup de charme. Il dirige un petit mais efficace effectif musical, StĂ©phanie PĂ©rin (violon), Virginie Bertazzon (violoncelle), CĂ©cile Hann-Fritsche (alto), Jean-Luc Bonnet (flĂ»te), Isabelle Terjan (piano) et AngĂ©lique Garcia dont lâapparemment insolite accordĂ©on nappe dâargent le continuo musical.
Marion Rybaka, la belle Violette,pour la premiĂšre fois sur scĂšne, a une belle prĂ©sence et un joli soprano qui assouplira ses vocalises ; Claire Devy, qui dĂ©bute aussi, travestie en Pierrot, dĂ©ploie un mezzo ombrĂ© trĂšs solide ; Guilhem Chalbos, tĂ©nor, est un Ă©pisodique Polichinelle pantin robotisĂ© ; quant Ă Pierre Espiaut, tĂ©nor qui nâest pas inconnu de nous, enchanteur attifĂ© de foutraque façon, de raphia farfelu, fantasque, facĂ©tieux, loufoque, fou-fou-fou, nous enchante par sa verve et sa veine comique.
Nous retrouvons ces jeunes et excellents chanteurs et comĂ©diens, qui sâen donnent Ă cĆur joie, pour la nĂŽtre, dans lâĆuvre suivante, avec la complicitĂ© de trois autres interprĂštes et de deux athlĂ©tiques « porteurs » Ă chevelure touffue dâOcĂ©anie (Mathieu Duriff, Jules Phocas).
La scĂšne reste donc chaude pour lâopĂ©rette suivante, la scĂ©nographie astucieuse des compĂšres Jean de Gaspary et Bernard Grimonet dĂ©jĂ plantĂ©e, hutte ou cahute, paillote, masques polynĂ©siens et le marronnier comme un totem enracinĂ© dans cet exotique dĂ©cor des antipodes (GĂ©rard, Alain, Michel, Dominique, Jean-Pierre et les autresâŠ), verdissant de rage ou de renouveau printanier sous les lumiĂšres de Sylvie Maestro. Les costumes, Ă grand renfort de perruques pelucheuses, dâos, de couronnes de fleurs pas mortuaires et un Cupidon flashy avec son truc en plumes de « zoiseau » (Mireille, MichĂšle, Catherine, Jacqueline) bouillonnent de bouffonnerie, comme la grosse marmite du festin cannibalesque qui bout et trĂŽne sur la scĂšne. DĂ©jĂ lâhumour visuel mettrait en bouche les plus mal embouchĂ©s.
Vent du soir dâOffenbach : Gare, « gore » au gorille !
On salue encore une fois Luc Coadou qui a restituĂ© Ă cette partition sinon perdue, en perdition, sans accompagnement, une instrumentation pleine de connaissance musicologique et de goĂ»t facĂ©tieux, hommage intelligent et plein dâhumour Ă Offenbach. PostĂ©rieure dâun an Ă la premiĂšre, sur un livret de Philippe Gille, cette opĂ©rette anticipe les « grands » Offenbach par lâimagination mĂ©lodique, parodique, le jeu sur les mots et un sujet de farce, littĂ©ralement, plus ou moins savoureuse pour les gourmands et gourmets, au menu de ce festin cannibalesque qui frappe sans rester sur lâestomac.
Histoire succulente (selon les goĂ»ts !) : guerre tribale et gastronomique, anthropophagique, entre les Gros-Loulous (chef âchef cuistotâVent du soir) et les Papas-Toutous, dont le chef est Lapin-Courageux, rĂȘvant dâalliance matrimoniale entre fille et fils, aprĂšs que chacun a consommĂ© (plaisante image de lâadultĂšre croisĂ©), boulottĂ©, mangĂ©, dĂ©vorĂ©, sinon digĂ©rĂ© âĂ©change de bons procĂ©dĂ©sâ la femme de lâautre. Bref, papa contre papa, Papas-Toutous de Papouasie et pas de papous dans la tĂȘte affublĂ©e, pour chacun, dâĂ©normes toisons capillaires Ă faire rĂȘver un chauve (une nuit sur un mont) ornĂ©es, sinon de cornes chĂšres au vaudeville, de fourchettes, de cuillĂšres, dâos, dâossements et de reliefs de plumes autant que de poils. En somme, qui paiera lâaddition du repas, qui mangera qui ? Ce sera un gorille chu du statut de dieu dans le potage et partage dâune communion culinaro-religieuse, Ă grand renfort dâos tirĂ©s du bouillon : gore au gorille !
Il y a aussi le gandin qui, rĂȘvant de faire passer la fille Ă la casserole, risque de finir dans la marmite, dĂ©gustĂ© par les convives et son propre pĂšre (« Il a mangĂ© son rejeton ! »). Câest tout un jeu dont le gros comique, comme le gros sel de lâassaisonnement, est nourri, câest le mot, par des sous-entendus, des doubles sens, un second degrĂ© de lâeffet le plus drĂŽle oĂč « passer Ă table » est littĂ©ralement « passer dans la table », faire partie du menu.
Les noms des personnages sont dĂ©jĂ un programme : Vent du soir, campĂ© par un Mikhael Piccone survoltĂ©, vrai tempĂ©rament comique en prose comme en chant, superbe baryton et irrĂ©sistible acteur, grimaçant, grinçant des dents ; il prend lâaccent pagnolesque et mĂ©ridional de CĂ©sar aux « quatre tiers », a la grandeur gaullienne dâun « Je vous ai compris » auquel Denis Mignien, tĂ©nor (qui en ouverture a dignement dĂ©fendu les intermittents), lui donne une inĂ©narrable rĂ©plique en nordique châti authentique, tandis quâAtala (tentante et lĂ©gĂšre vamp, clin dâĆil malicieux Ă lâhĂ©roĂŻne empesĂ©e et pesante de Chateaubriand) incarnĂ©e en belle chair par Ămilie Cavallo, dĂ©butante aussi, jolie voix de soprano et belle silhouette alanguie en des poses hollywoodiennes et des intonations parisiennes sophistiquĂ©es, met en appĂ©tit lâArthur, blanc bec pour qui il nâest bon bec que de Paris, interprĂ©tĂ© par Guilhem Chalbos, beau tĂ©nor au timbre chaud, chaud lapin naufragĂ© , ex friquĂ© en frac dĂ©froquĂ© et claquĂ© chapeau Ă claque (sinon tĂȘte), visage dâune extrĂȘme mobilitĂ© comme son mobile corps bondissant de jeune premier Ă lâamĂ©ricaine.
Les autres personnages, joués par les chanteurs de la premiÚre partie, sont tous encore excellents Pa-Peigné-Dutout (Pierre Espiaut), La Belle-Kapasson-Fer (Marion Rybaka), La Belle-Kasson-Fer (Claire Devy), sans compter un gorille en chair et⊠en os (Gérard Nauguet),
La juvĂ©nile troupe joue, chante, danse dans un rythme effrĂ©nĂ© et une bonne humour contagieuse : on rit (Ă tripes dĂ©ployĂ©es dirait-on) Ă cette ripaille et tripaille menĂ©e Ă un train dâenfer par le meneur de jeu Bernard Grimonet. Un spectacle Ă sâen lĂ©cher les doigts qui mĂ©riterait de tourner pour apporter un peu de rose dans cette France morose.
LâOpĂ©rA/uvillage. PourriĂšres, les 20, 22, 24, 26, 28 juillet 2014.
Les Pantins de Violette dâAdolphe Adam et Vent du soir de Jacques Offenbach.
Direction musicale : Luc Coadou.
Mise en scĂšne : Bernard Grimonet.
Scénographie : Jean de Gaspary et Bernard Grimonet.
Avec, par ordre dâapparition :
Pierre Espiaut, Marion Rybaka, Claire Devy, Denis Mignien.
Mikhael Piccone, Ămilie Cavallo, Guilhem Chalbos, Pierre Espiaut, Marion Ribaka, Claire Devy, Denis Mignien.
Renseignements 06 98 31 42 06 â contact@loperaauvillage.fr
Exposition « LâOpĂ©ra au Village fĂȘte ses dix ans ».
Illustration : Bernard Grimonet