CD coffret Ă©vĂ©nement, critique. FRANCK : intĂ©grale de la musique de chambre (4 cd Fuga Libera) – Pour cĂ©lĂ©brer les 200 ans de la naissance de CĂ©sar Franck (1822 – 1890), nĂ© liĂ©geois mais gĂ©nie primordial pour la musique française Ă l’époque du WagnĂ©risme total, l’éditeur Fuga libera Ă©dite plusieurs coffrets dont le mĂ©rite sous forme d’intĂ©grales thĂ©matiques propose une rĂ©estimation de son Ă©criture : voici le volet chambriste. Tout y est : autour du Quintette pour clavier (jalon essentiel de 1878) et de la Sonate (pour violon / piano), fleuron de 1886, l’auditeur peut ainsi mesurer le gĂ©nie franckiste dans la ciselure et le dialogue instrumental, ce en deux parties : l’une relevant de la jeunesse (propre aux annĂ©es 1840) ; la seconde fixant les Ă©volutions tardives (soit la dĂ©cennie 1880). Sous une figure avenante et calme, le pianiste et compositeur Franck bouillonne ; son Trio Ă©crit dès 12 ans, marquĂ© par Alkan, exprime les contrastes d’un tempĂ©rament de feu, probablement dĂ©jĂ initiĂ© par Reicha (le maĂ®tre de Berlioz), dĂ©jĂ crĂ©pitant et fortement contrastĂ© que son père naturalise vite pour que l’enfant prodige rejoigne le Conservatoire de Paris (1837). On suit ainsi le jeune auteur et concertiste qui s’affiche, portĂ© par l’ambition d’un père impresario plutĂ´t zĂ©lĂ© ; Paris dĂ©couvre ses 4 Trios pour piano / violon / violoncelle de 1843, dont le premier inaugure la forme cyclique promise Ă devenir emblĂ©matique, et le 4è (dĂ©veloppĂ© Ă partir du dernier mouvement du 3è) est dĂ©diĂ© Ă son « ami » Liszt, dĂ©jĂ grand admirateur du Franck architecte. On ne saurait Ă©couter interprètes mieux engagĂ©s dans cette intĂ©grale des plus opportunes au moment du bicentenaire.
FRANCK, un génie français
Maître de la forme cyclique et du thème générateur…
Un volcan des plus singuliers couve en réalité dans chacune des ces partitions mais canalisé et explicité en une maîtrise incomparable du développement formel. Tous les aspects d’une sensibilité ciselée autant qu’éruptive se font jour : les (rares) Fantaisies pour piano, la forme libre du « solo pour piano », avec accompagnement ; l’Andantino quietoso aux contours plus apaisés (propre au Maître « Séraphin »). Ces débuts pour les salons parisiens étonnent et saisissent.
Puis le pianiste devient maître de l’orgue, ne revenant à la musique de chambre que dans les années… 1880 ; soit plus de 30 ans après ses premiers éblouissements.
Le coffret permet d’évaluer les pépites de cette nouvelle décennie ; ces nouveaux accomplissements, produits par le professeur du Conservatoire dès 1871 qui parle autant de composition que d’orgue… « Morceau de lecture » (1877) ouvre le cycle de pleine maturité, où la valeur pédagogique du corpus ne sacrifie rien à l’exigence esthétique (« Mélancolie », 1885 : véritable leçon de solfège et œuvre à part entière) : les 2 œuvres sont restituées ici dans la version piano et violon.
Le fabuleux « Quintette en fa mineur » de 1878, qu’il soit ou non composé dans le tumulte d’une relation supposée et toujours non avérée, entre Franck et Augusta Holmès, s’impose ici par son assise émotionnelle, son ampleur brute et austère, inquiète et franche, pudique et scintillante.
Même ivresse irrésistible et conquérante ici encore fièrement et pleinement assumée pour la Sonate pour violon et piano qui régénère par le génie de sa construction beethovénienne, le genre Sonate en 1886 alors qu’il est tombé en totale désuétude… Le dédicataire Eugène Ysaÿe la sublime et la défend partout en Europe, suscitant un enthousiasme inédit (bientôt, en 1888, traduit par la transcription pour piano et violoncelle). Le coffret offre aussi une nouvelle version anthologique du fameux « Quatuor » (sommet unique, datant de 1890), fixant alors l’étude de Schubert, Brahms, Beethoven : dans le geste du Quatuor Adorno, Franck y distille les secrets de son art cyclique où le thème générateur déduit tout le déroulement / développement avec clarté et puissance (formes lied et sonate combinées dans le premier mouvement). Ici rayonne l’équilibre de l’architecture pourtant mouvante et multiple qui exprime la complexité vivante de l’expérience terrestre. Dans ces 4 cd, l’interprétation profite de la complicité voire la fusion exemplaire entre « maîtres » et jeunes instrumentistes, ici associés au sein de la Chapelle Reine Elisabeth ; une vivacité émotionnelle entre pédagogie et plénitude artistique que Franck lui-même, généreux mentor, n’aurait certes pas méjugée.
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CD coffret Ă©vĂ©nement, critique. CESAR FRANCK : complete chamber music : IntĂ©grale de la musique de chambre (Fuga Libera 4 cd) – Divers interprètes dont Franck Braley, Alexandre Chenorkian, Leon Blekh, salih Can Gevrek, Shuichi Okada, Jonathan Fournel, Lorenzo gatto, StĂ©phanie Huang, … DurĂ©e : circa 5h (enregistrements rĂ©alisĂ©es entre 2019 et 2022). CLIC de CLASSIQUENEWS printemps 2022.
PLUS D’INFOS sur le site FUGA LIBERA / César Franck 2022 :
https://outhere-music.com/en/albums/franck-complete-chamber-music
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CD coffret événement, critique. César FRANCK : complete orchestral works / Intégrale symphonique (4 cd Fuga Libera) - CLIC de CLASSIQUENEWS printemps 2022 – Le coffret a le mérite, intégrale oblige, et aussi le courage de rétablir certains faits concernant César Franck. Voici le cas exemplaire d’une révélation : Franck atteint une belle maturité artistique dès son jeune âge, alors prodige du piano, récemment naturalisé, élève au Conservatoire de Paris et maîtrisant la forme chambriste et comme ici, l’écriture orchestrale. En témoignent ses premières Variations à 11 ans (!) ; celles « brillantes » d’après l’opéra Gustave III d’Auber (composées en 1834, un an après la création du drame lyrique) ; le thème de la ronde tirée de l’acte II déploie une liberté de ton et une virtuosité mozartienne toujours inspirée à laquelle répond l’orchestration d’esprit webérien. A défaut de savoir si le Concerto n°1 a jamais existé (probable supercherie de Franck père), le Concerto n°2 du fils saisit lui aussi en 1835, car il démontre les débuts franckistes à l’assaut du tout orchestral : la même puissance mélodique et l’ampleur de l’orchestration conçues par l’adolescent de 12 ans (attestant d’ailleurs de son apprentissage éclairé auprès de Reicha) : la carrure beethovénienne, la pensée claire d’une architecture impressionnante, l’emportent sur la tentation de Chopin et d’Hummel…