ROBERTO ALAGNA chante CALAF, Londres, juillet 2017, par Jacqueline Dauxois. Jacqueline Dauxois, Ă©crivain, a publiĂ© Quatre Saisons avec Roberto Alagna, en fĂ©vrier 2017, aux Ă©ditions du Rocher, CLASSIQUENEWS en avait rendu compte. L’auteure a prĂ©cĂ©demment Ă©ditĂ© un article sur la performance antĂ©rieure de Roberto Alagna dans le rĂŽle de Cyrano de Bergerac (d’Alfano) au Metropolitan Opera de New York : lire CHANTER, C’EST JOUER (1) : Le Cyrano de Bergerac de Roberto Alagna. Elle poursuit sa collaboration avec le tĂ©nor français qui chante actuellement Turandot au Royal Opera House de Londres. La rĂ©pĂ©tition gĂ©nĂ©rale fermĂ©e, Ă laquelle elle assistait, a eu lieu le 3 juillet dernier. La premiĂšre reprĂ©sentation publique, oĂč elle Ă©tait Ă©galement prĂ©sente, le 8, a Ă©tĂ© un triomphe. Les deux prochaines reprĂ©sentations auront lieu le 11et le 14. Le 16 juillet, Roberto Alagna sera Ă Paris pour la derniĂšre Carmen de la saison avec Elina GaranÄa. AprĂšs Cyrano, cet article est le deuxiĂšme publiĂ© sur classiquenews.com.
ROBERTO ALAGNA DANS TURANDOT
AU ROYAL OPERA HOUSE DE LONDRES
Roberto Alagna dâun Turandot Ă lâautre
Dâun Turandot Ă lâautre, dâOrange, en aoĂ»t 2012, au Royal Opera House de Londres, en juin 2017, Roberto Alagna donne une illustration idĂ©ale des exigences de Giacomo Puccini. Au niveau vocal, le tĂ©nor est sans arrĂȘt au sommet ; au niveau dramatique, il dĂ©montre dans la dĂ©jĂ classique production dâAndrei Serban quâil sâapproche encore de cette humanitĂ© que rĂ©clamait le compositeur.
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Turandot, lâopĂ©ra qui a tuĂ© Puccini
Le dernier duo
Avec lâambition de son gĂ©nie, Puccini nourrissait la certitude que son dernier duo les Ă©clipserait tous. Il tenait un sujet enthousiasmant, un conte venu du fond de la lĂ©gende, des confins dâun Orient mystĂ©rieux, raffinĂ© et cruel, passĂ© au filtre de lâimagination dâun Ă©crivain français, dâun dramaturge vĂ©nitien et dâun compositeur dâopĂ©ra italien. Ă lâinverse de tant de sujets qui finissent mal, Turandot, commencĂ© par les horreurs dâexĂ©cutions capitales, sâachĂšverait dans lâamour. Le rideau tomberait sur le final triomphant dâun couple enlacĂ© que sa musique allait rendre Ă jamais lĂ©gendaire.
à la source du génie
Pendant quatre ans, Puccini vit avec Turandot dans le dĂ©cor musical de la Chine ancienne. Dans sa maison de Torre del Lago, il entasse des objets chinois au milieu desquels on sent encore sa prĂ©sence vivante. Au British Museum, il examine des instruments venus du bout du monde, cherche des mĂ©lodies anciennes, des chansons populaires. Comme il lâa fait dans Butterfly, il intĂšgre ces airs qui campent un dĂ©cor exotique, pĂ©trit la musique Ă©trangĂšre avec la sienne, crĂ©ant ce mĂ©lange qui coule de la source de son gĂ©nie. Les difficultĂ©s sont Ă la mesure de son ambition, il avance plus lentement quâil ne lâaurait voulu dans cette crĂ©ation dont il veut faire une somme.
Il travaille avec ses librettistes, il veut des hĂ©ros, pas des stĂ©rĂ©otypes de contes cruels. Sur les paroles quâil inspire Ă Simone et Adami, il inscrit le lyrisme de sa musique, la puissance de ses inventions orchestrales et obtient le chef-dâĆuvre dâune concordance idĂ©ale du langage musical avec les caractĂšres. Il souligne le conflit qui tend le rĂ©cit en crĂ©ant un contrepoint comique Ă la tragĂ©die qui se joue. La puissance orchestrale et la masse des chĆurs rendent plus poignants les sentiments intimes de personnages que sa musique conduit jusquâau vertige avec de tels aigus quâil se demande parfois lui-mĂȘme qui va pouvoir chanter ces notes si longuement tenues, si follement aigĂŒes quâil compose avec fiĂšvre. Il pense Ă Gigli pour Calaf mais sera mort avant de savoir que câest un autre qui va crĂ©er le rĂŽle.
Dans les voix et lâorchestre, il traduit lâenlacement fatal de la mort et de lâamour triomphant. Il approche du duo final, jette des Ă©bauches sur des portĂ©es. Il y pense jour et nuit, il en parle Ă ses amis, lâĂ©voque dans ses lettres.
Il touche au but. Il arrive Ă la fin de lâĆuvre.
Une fille du Ciel
Dans la fĂ©rocitĂ© vocale de Turandot, il a creusĂ© ces failles qui vont disloquer un cĆur pris par la banquise. Avant mĂȘme de soumettre Calaf aux Ă©nigmes, elle prononce le nom de son ancĂȘtre avec une douceur qui laisse prĂ©sager de quel amour cette fĂ©roce est capable et quelle passion peut animer une princesse rendue hystĂ©rique par le souvenir dâune aĂŻeule violĂ©e et par sa conviction, quâappartenant Ă la race des dieux, elle nâa rien de mieux Ă faire avec celle des hommes que de couper la tĂȘte des princes arrogants qui osent prĂ©tendre Ă sa main. Elle a dĂ©jĂ une galerie de trophĂ©es Ă son tableau de chasse et prĂ©tend lâenrichir avec la tĂȘte de Calaf. Câest du moins ce que disent ses mots, mais la musique que Puccini lui met dans la bouche annonce autre chose dĂ©jĂ .
Un héros dépossédé
Calaf a de quoi se rĂ©jouir, câest lui qui fera couler les premiĂšres larmes de la vierge irrĂ©ductible, phantasme masculin que les peintres ont vigoureusement exprimĂ© les parois de la Villa des MystĂšres Ă PompĂ©i. Prince de sang royal, sâil rĂ©sout les Ă©nigmes, il devient fils du Ciel par alliance, sinon, le glaive.
Mais il possĂšde ce qui manquait aux autres prĂ©tendants, la foudroyante passion qui fait de lui, plus que de Turandot, le hĂ©ros de lâhistoire, lui pour qui on se tue, lui qui incendie un cĆur de glace. Il nâest dâailleurs pas venu pour demander la main de Turandot. Il se trouve Ă PĂ©kin par hasard, hĂ©ritier dĂ©possĂ©dĂ© errant par le monde. Par hasard, il y retrouve son pĂšre, chassĂ© de son trĂŽne et jetĂ© sur les chemins de lâexil et, par hasard encore, il assiste au supplice dâun prince persan que la sphinge a vaincu.
Lorsque Puccini sort Calaf de la foule anonyme qui grouille sous les murs du palais, la musique jaillit, troublante, comme le cĆur bouleversĂ© du hĂ©ros Ă lâinstant oĂč la malĂ©diction meurt sur ses lĂšvres et oĂč son Ăąme est embaumĂ©e dâamour, comme celle de Mario avant le supplice. Sa rage se fait enchantement. Les chĆurs sont stupĂ©faits. Lâorchestre sâĂ©tonne. Calaf se respire dans lâĂąme ces irrĂ©sistibles parfums de lâItalie, tellement plus dĂ©lectables que les chinois. EncouragĂ©e par les accords de lâorchestre, sa voix rĂ©pand ces fragrances qui anĂ©antissent lâodeur de la charogne qui rĂšgne Ă PĂ©kin.
ProjetĂ© dans lâamour fou, Calaf nâen devient pas humain tout de suite pour autant. Ă la folie meurtriĂšre de Turandot rĂ©pond dĂ©sormais son amoureuse folie pour elle. Le monde est anĂ©anti. Plus rien nâexiste que son dĂ©sir.
Le secret dâune esclave
En face de ces crĂ©atures mythologiques, enchaĂźnĂ©es par une passion dĂ©voratrice qui les exclut des sentiments humains, au dernier Ă©chelon de la hiĂ©rarchie, un ĂȘtre dâune totale insignifiance, dont les Grecs se demandaient sâils possĂ©daient une Ăąme : une esclave.
Coup de gĂ©nie, celle qui nâest rien est la seule capable dâaimer jusquâĂ lâabsolu, sans rien attendre en retour. Car, mĂȘme sâil nâaspire pas au trĂŽne de Chine, la conquĂȘte de Turandot fera de Calaf un fils du Ciel par alliance et Turandot, quant Ă elle, en renonçant pour lui aux folies sanglantes de sa nĂ©vrose, gagnera, avec lâamour, le plaisir, domaine oĂč Calaf nâest pas plus empotĂ© que pour rĂ©soudre les Ă©nigmes puisquâun seul baiser persuade la rĂ©tive dâabandonner toute rĂ©sistance et de faire de Calaf son initiateur.
SacrifiĂ©e dâavance, par elle-mĂȘme sacrifiĂ©e, LiĂč, qui aime en secret, au contraire des deux autres, nâattend rien pour elle, et donne sa vie pour sauver celle de Calaf. La grandeur dâun pareil amour Ă©branle Turandot qui pourtant se refuse encore. Mais alors quâelle proclame vouloir toujours la mort de celui qui a conquis le droit de lâĂ©pouser, câest LiĂč quelle fait torturer, conservant lâinconnu en bon Ă©tat, sait-on jamais.
LiĂč qui se tue, ignore quâelle se sacrifie pour rien. Elle se suicide pour que le nom de Calaf reste secret. Mais Calaf, qui fait encore monter les enchĂšres dâamour aprĂšs la mort de LiĂč, rĂ©vĂšle Ă Turandot ce nom quâil nâa pas dit pour sauver LiĂč quand elle pouvait lâĂȘtre.
Le dernier prétendant
Puccini a arrachĂ© Calaf des griffes de Turandot. Il est mort Ă sa place. Une vie contre une autre. La rĂ©alitĂ© sâincruste dans la fiction. Le compositeur est le dernier prĂ©tendant assassinĂ©. Turandot a son tribut de sang. Quelle Ă©nigme lui a t-elle posĂ©e quâil nâa pu rĂ©soudre ? Il souffrait du cancer des grands fumeurs qui allait le tuer de toute maniĂšre, sa gorge Ă©tait inopĂ©rable, mais il avait des rĂ©missions et, dans une maladie qui nâatteint pas les facultĂ©s cognitives, le dĂ©sir dâun mourant peut faire reculer le terme, le temps de terminer un duo, par exemple.
Il est mort Ă lâhĂŽpital, son manuscrit inachevĂ© sur les draps. Lui qui ne voulait plus que meurent ses personnages, il est mort en pensant Ă Turandot, dâune mort dâOpĂ©ra.
OĂč on retrouve Franco Alfano, compositeur de Cyrano de Bergerac
Toscanini a commandĂ© la fin Ă un jeune disciple, Franco Alfano, compositeur de Cyrano de Bergerac. Comme tous les finisseurs de lâĆuvre dâun autre, comme Viollet-le-Duc ajoutant une flĂšche Ă Notre-Dame de Paris, il a Ă©tĂ© dĂ©nigrĂ© pour nâavoir pas trouvĂ© un souffle comme celui de Tanto amore segreto, Straniero, ascolta ! Non piangere LiĂč ou Nessun dorma. Mais il nâest pas un compositeur de grands airs. Dans Cyrano de Bergerac, il en accorde un Ă Roxane. A t-il Ă ce point dĂ©mĂ©rité dans Turandot ? La question reste ouverte. Ă la premiĂšre reprĂ©sentation, Toscanini a posĂ© la baguette Ă la mesure oĂč la mort a interrompu Puccini, aprĂšs la mort de LiĂč. La postĂ©ritĂ© en a dĂ©cidĂ© autrement, on reprĂ©sente lâĆuvre jusquâau bout. Sans mentionner dâailleurs la contribution dâAlfano.
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Roberto Alagna interprĂšte de Calaf
TĂ©nor et acteur, Roberto Alagna, Ă Orange, rĂ©pondait Ă toutes les exigences du compositeur, de sorte quâil semblait impossible dâaller plus loin. Au Royal Opera House de Londres, son Calaf parvient Ă une humanitĂ© encore jamais atteinte, mĂȘme par lui. EntourĂ© de Lise Lindstrom, sa Turandot dâOrange en 2012, et dâAleksandra Kurzak, Ă la ville madame Roberto Alagna, qui chante sa premiĂšre LiĂč, cet extraordinaire Pygmalion, se surpasse.
Les deux générales de Turandot, le 3 juillet 2017, à Covent Garden
Ă Covent Garden, oĂč alternent deux distributions, il y a eu, le 3 juillet 2017, Ă onze heures du matin, une rĂ©pĂ©tition gĂ©nĂ©rale avec Alagna/Lindstron/Kurzak et une seconde, avec lâautre distribution, Ă cinq heures du soir.
Le matin, certains Ă©taient en costumes, dâautres pas ; lâaprĂšs-midi, tous Ă©taient costumĂ©s.
Calaf mongol, Calaf chinois
Alagna Ă Orange, Ă©tait un Mongol lâair de descendre dâun cheval montĂ© Ă cru, ce que justifie le nom de son pĂšre, Timur, Tamerlan. Son costume, taillĂ© pour lui par Katia Duflot, un manteau au gris changeant dont les pans jouaient avec ses mouvements, sâentrouvrait sur sa poitrine ; quand il lâenlevait, un gilet sans manches, un collier, une ceinture nouĂ©e comme une fleur Ă©carlate Ă sa taille. Le pantalon sâenfonçait dans des bottes souples, une perruque avec une queue de cheval haut perchĂ©e, de la couleur de ses cheveux.
Au Royal Opera House, il porte les vĂȘtements conçus pour une production antĂ©rieure, créés aux Jeux Olympiques de Los Angeles, ceux dâun grand seigneur chinois, bleu et rouge, soigneusement fermĂ©s, des bottes ornĂ©es de motifs recherchĂ©s, les cheveux nouĂ©s haut, avec deux mĂšches longues sur le cĂŽtĂ© du visage, dâun noir de jais.
Dans une super production aux moyens considĂ©rables, oĂč tout est Ă©clatant, distrayant, oĂč pas une seconde nâa Ă©tĂ© abandonnĂ©e Ă lâennui, Alagna rend son Calaf encore plus amoureux et plus intime.
Ce quâAlagna apporte Ă la relation Calaf/LiĂč
DâOrange Ă Londres, ses sentiments envers LiĂč ont changĂ©. Ils sont maintenant au-delĂ de la compassion et de la reconnaissance que lui inspirent le dĂ©vouement sans borne de la petite esclave qui escorte son pĂšre sur les chemins de lâexil – ce quâil devrait faire lui-mĂȘme, puisquâil vient de le retrouver, mais au contraire il encourage LiĂč Ă continuer sa bonne Ćuvre sans lui, trop occupĂ© Ă souffrir dâamour pour une meurtriĂšre princesse. Le dĂ©vouement de LiĂč et la rĂ©vĂ©lation de lâamour quâelle Ă©prouve pour lui Ă©meuvent le Calaf de Londres plus profondĂ©ment que celui dâOrange. Il entre avec elle dans une nouvelle relation, manifeste lorsquâil lui entoure les Ă©paules de son bras dans un geste fraternel, inattendu chez un grand seigneur envers une esclave, et on sent combien cette tendresse pourrait devenir davantage nâĂ©tait la passion quâil Ă©prouve pour Turandot. Ă Orange, il assistait au supplice de LiĂč avec douleur.
A Londres, il devient lui-mĂȘme un suppliciĂ© et Alagna rĂ©vĂšle un Calaf qui, sâil nâĂ©tait pas plus sĂ»rement encore entravĂ© par sa folie dâamour que par les sbires de Turandot, se sacrifierait peut-ĂȘtre pour sauver LiĂč. Il cesse dâĂȘtre le spectateur navrĂ© de la torture, devient participant Ă la souffrance de LiĂč, comme sâil Ă©tait torturĂ© avec elle.
Lâexpression dâune tendresse aussi vibrante pour la petite esclave entraĂźne une modification de la mise en scĂšne.
Le Calaf dâAlagna sâapproche de Liu, enveloppe sa tĂȘte de ses mains, touche son visage, avant de sâeffondrer cassĂ© par la douleur.
Lâautre chanteur, comme le faisait Alagna Ă Orange, nâest pas affectĂ© jusquâau fond de lâĂąme et manifeste la tristesse naturelle Ă un grand seigneur Ă la mort dâune esclave attachante sans chercher cet ultime contact quâon quĂ©mande Ă la perte dâun ĂȘtre aimĂ©.
InterprĂšte de LiĂč, Aleksandra Kurzak, qui ne cesse de sâaffirmer dans les rĂŽles quâelle aborde dĂ©sormais, justifie pleinement un changement quâelle a probablement inspirĂ©. En conservant les aigus limpides qui ont fait dâelle, avec cette ligne si haute et fragile qui semble sur le point de se briser et ne se brise pas, lâincomparable interprĂšte du plus cĂ©lĂšbre de ses compatriotes, FrĂ©dĂ©ric Chopin, sa voix a acquis plus dâ ampleur. Elle brĂ»le les planches et tire LiĂč de lâeffacement scĂ©nique dans lequel on la confine souvent. Sa LiĂč Ă elle nâest ni fade ni miĂšvre, elle nâen fait pas une victime-nĂ©e, mais une femme vivante, faite pour la vie. On comprend que Calaf soit sĂ©duit et que sa mort lâair changĂ© puisquâil ose prendre pour LiĂč morte des risques quâil nâa pas pris pour elle vivante
Lorsquâil plante Ă Turandot sa banderille « principessa di morte », la vierge sanglante comprend que Calaf est prĂȘt Ă mourir pour le souvenir de LiĂč, comme LiĂč et morte pour sauver Calaf.
Ayant manifestĂ© cette tendresse ardente Ă LiĂč, Roberto Alagna ne peut en rester lĂ . Changer quelque chose Ă une Ćuvre, oblige Ă revoir le reste. Il rééquilibre son personnage. Il a donnĂ© davantage Ă LiĂč, il donne davantage Ă Turandot.
Un rĂŽle portĂ© jusquâĂ lâincomparable
Le Nessun Dorma, qui dĂ©bute le troisiĂšme acte, est devenu lâair le plus populaire de Turandot lorsque la BBC lâa choisi dans lâinterprĂ©tation de Pavarotti pour la coupe du monde de football de 1990, en Italie. Il demande un souffle capable de tenir les notes interminables de «sulla tua bocca lo dirĂČ » et de monter dans lâĂ©tourdissant « VincerĂČ » avec un La et un Si aigu que la voix doit atteindre sans sâĂ©puiser pour traduire vocalement la puissance de lâespoir invincible qui grandit en Calaf.
Personne nâa oubliĂ© le VincerĂČ dâAlagna Ă Orange, le hurlement de bonheur qui a soulevĂ© les gradins, prĂšs de dix mille personnes qui se levaient en mĂȘme temps, criant leur enthousiasme, lui, le visage vers le ciel, les yeux dans lesquels scintillaient les Ă©toiles dĂ©multipliĂ©es par les larmes quâil retenait (voir lâenregistrement sur YouTube). Câest un peu aprĂšs, le VincerĂČ au moment du baiser, que la mise en scĂšne du Royal Opera House a Ă©tĂ© un peu modifiĂ©e pour (ou par ?) Alagna.
Ce quâAlagna apporte Ă la conception Calaf/Turandot
Un baiser donc provoque le retournement dâune frigide, rĂ©vulsĂ©e Ă la seule idĂ©e quâun homme ait la scandaleuse idĂ©e dâapprocher dâelle, en une femme qui veut connaĂźtre lâamour. Tout le monde en est satisfait. Alagna aussi sâen contentait Ă Orange. Câest ce qui est Ă©crit dans le livret.
Mais si on va dans la musique, câest autre chose.
Or Alagna est musique. Son chant sâenvole, sa voix sâĂ©lĂšve pressante, puissante, heureuse, rĂ©clamant davantage, tandis que celle de Turandot vacille entre la terreur dâabandonner sa nĂ©vrose et le dĂ©sir, pour elle inconcevable, de dĂ©lices inconnues et dâĂ©treintes charnelles, dont Calaf a la clef.
Un baiser, mĂȘme comme Ă Orange ou comme dans lâautre distribution du ROH, fougueux et passionnĂ©, câest un peu un coup de baguette magique. Pour transformer Ă ce point Turandot. Calaf Ă Londres nâa plus envie de sâen contenter, dâautant que ce qui Ă©tait crĂ©dible au temps de Puccini ne lâest plus aujourdâhui.
Au sens propre comme au figurĂ©, il arrache le masque de Turandot, rĂ©vĂ©lant un visage bouleversĂ©. Lise Lindstrom, sa superbe Turandot dâOrange, a fait Ă Londres le mĂȘme chemin que lui, elle a portĂ© son personnage vers plus dâhumanitĂ©, au point que, sous le masque, on croit dĂ©chiffrer son tourment sur ses traits. Câest alors Ă©vident quâaucun dâeux nâa lâintention de se contenter dâun baiser.
Calaf enlace sa princesse, la fait ployer sous lui, lâentraĂźne Ă terre dans ses bras pour lui faire dĂ©couvrir tout ce que recouvre ce sentiment perturbant exigĂ©, refusĂ©, acceptĂ©. Si, pendant la gĂ©nĂ©rale, Alagna sâembrouille dans ses trĂšs longs cheveux, on y croit davantage, câest arrivĂ© Ă tous les amants. Mais, bien entendu, Ă la premiĂšre reprĂ©sentation publique, il a rĂ©glĂ© le problĂšme des longues mĂšches.
LâĂ©crin
Le spectacle intĂšgre la Chine comme Puccini lâa intĂ©grĂ©e dans sa musique. Les ballets semblent venus de lâopĂ©ra de Beijing, les masques paraissent dĂ©crochĂ©s du palais dâĂtĂ©, les dĂ©cors nâont rien Ă envier Ă ceux du Dernier Empereur. Les couleurs, jetĂ©es sur la scĂšne avec brio ou passĂ©es aux tamis de lâargent et de lâor sont exaltĂ©es par les Ă©clairages. Tout contribue Ă la rĂ©ussite dâune grande mise en scĂšne sous la baguette de Dan Ettinger qui enthousiasme chĆurs et orchestre sans Ă©craser les voix.
Dans la salle de ses premiers triomphes, oĂč Roberto Alagna a connu les pluies de fleurs, gagnĂ© le prix Lawrence Olivier, oĂč les places sâarrachaient aux enchĂšres pour lâentendre en concert, celui qui est toujours, « lâhomme Ă la voix dâor » reçoit toujours des ovations. Le public de la premiĂšre, le rideau Ă peine ouvert pour les saluts, Ă©tait debout et applaudissait Ă tout rompre, trĂ©pignant au milieu des fauteuils.
Avec une telle prĂ©sence sur scĂšne, la puissance et la projection dâune voix au timbre de velours cuivrĂ©, aucun tĂ©nor aujourdâhui ne peut lui ĂȘtre comparĂ©. Aucun Calaf nâĂ©gale son Calaf, qui surpasse toutes les interprĂ©tations possibles.
Puisque Roberto Alagna arrive Ă surpasser mĂȘme la sienne.
© Jacqueline Dauxois pour CLASSIQUENEWS
LIRE l’article prĂ©cĂ©dent de Jacqueline Dauxois sur CLASSIQUENEWS : CHANTEZ, C’EST JOUER / Roberto Alagna chante Cyrano de Bergerac au Metropolitan Opera de New York
CHANTER, CâEST JOUER (nouvelle sĂ©rie).  Roberto Alagna par Jacqueline DAUXOIS (1). PRĂSENTATION. LâOpĂ©ra câest du théùtre. Chanter et jouer, câest le dĂ©fi double que les plus grands relĂšvent et accomplissent. Ferveur constante, admiration perpĂ©tuelle⊠A la tĂ©nacitĂ© lĂ©gendaire de lâartiste lyrique dans lâĂ©laboration de ses rĂŽles, rĂ©pond lâĂ©coute assidue de celle qui en comprend les enjeux comme les sacrifices : Jacqueline Dauxois…. EN LIRE +Â
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APPROFONDIR : sur le site de jacquelinedauxois.fr :
Pour en savoir plus sur Turandot : http://www.jacquelinedauxois.fr/2017/07/09/roberto-alagna-dâŠres-juillet-2017/
sur Cyrano de Bergerac au Metroplolitan Opera de New York : http://www.jacquelinedauxois.fr/2017/05/10/roberto-alagna-dâŠ-bergerac-au-met/
et sur LâElisir dâAmore :
http://www.jacquelinedauxois.fr/2017/06/24/le-nemorino-de-roberto-alagna/
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Illustrations : Turandot à Londres ROH / Roberto Alagna dans le rÎle du prince Calaf © Alagna / Turandot : Tristram Kenton 2017
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