vendredi 19 avril 2024

R. Strauss: Die Frau Ohne Schatten2 dvd Opus Arte (Thielemann, Salzbourg, 2011)

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Salzbourg, juillet 2011: le plus ancien festival de musique classique au monde reprend un ouvrage historique, viscéralement ancré dans sa longue tradition lyrique: La Femme sans ombre (Die Frau Ohne Schatten) est bien l’opéra le plus ambitieux de Richard Strauss co fondateur en 1922 avec son librettiste Hugo von Hofmannsthal et Max Reinhardt du festival autrichien. En un acte civilisateur et pacifiste proclamé non sans gravité et espérance contre la barbarie de la grande guerre, le festival de Salzbourg est fondé peu après 1918 (fin de la guerre et chute de l’Empire). L’opéra de Strauss et le livret de Hugo von Hofmannsthal prennent en compte les thèmes engendrés par le choc vécu par les deux auteurs.


Retour réussi

d’un opéra mythique

C’est un ouvrage composé pendant la guerre et qui en contient sans les atténuer, les déflagrations terrifiantes; les secousses tragiques; les éclairs pour une conscience soudainement décuplée quant au devenir de l’humanité: Strauss qui devait encore vivre le choc d’un second conflit mondial, ressent ici l’écroulement d’un monde, la fin de la civilisation. Comme à son habitude il échafaude tout un cycle lyrique et orchestral d’une portée à la fois dramatique et spirituel: le sujet étant moins inspiré par le thème de la maternité (comme on l’écrit ici et là) que de la compassion fraternelle. Tous les êtres étant liés entre eux, aucun sur le plan moral ne saurait agir sans réflexion sans quoi il provoquerait d’inévitables dommages pour tous. C’est bien l’enseignement d’une action apparemment confuse voire datée, qui en définitive puise son inaltérable modernité dans le chant de l’orchestre et la justesse de l’écriture lyrique.

C’est pourquoi souvent symbolique, l’opéra est un vrai défi pour les metteurs en scène et les producteurs, curieux de le voir représenter. Pour le cru Salzbourg 2011, l’ouvrage mythique dirigé ici même par Böhm et Karajan, avec le Wiener Philharmoniker, reprend du service: défi multiple car il faut disposer de voix aguerris, d’un orchestre… donc d’un chef à la mesure des enjeux artistiques, poétiques, esthétiques, philosophiques… Le metteur en scène Christof Loy évite bien des pièges visuels et scénographiquement douteux, en imaginant un studio d’enregistrement pour cadre de l’action. L’époque convoque les années 1950, année faste pour la musique enregistrée. Les acteurs prennent l’identité de chanteurs qui au début des années
1950 enregistrent l’opéra. Ce pourrait être la troupe réunie
historiquement à Salzbourg par Karl Böhm (qui a enregistré à plusieurs
reprises et en live à Salzbourg, des versions légendaires de l’ouvrage).
Chaque séance recompose et délimite les espaces imaginaires du livret: monde des esprits errants en quête d’enveloppe et d’identité; sol des hommes laborieux, douloureux, et avides; surtout, confrontation passionnante de deux femmes qui par l’entremise de la Nourrice, (épatante 
Michaela Schuster), se découvrent, se rencontrent; l’une, l’Impératrice bouleversée prend conscience que « voler » l’ombre de la femme du teinturier n’est pas un acte anodin dans la vie intime de la mortelle…

Derrière les personnages imaginés par Hofmannsthal, Loy caractérise des types humains: lumineuse cantatrice couvée adulée par sa famille richissime pour l’Impératrice; chanteuse plus mûre et déjà sur le déclin pour la Nourrice mais si vivante et théâtralement convaincante; vrai couple à la ville devant les micros pour le teinturier Barak et sa femme dont d’ailleurs Strauss ne cache rien des tensions domestiques: le premier voudrait avoir des enfants de sa femme laquelle, en souffrance, a pris la maternité en horreur… L’Empereur prend aussi une double réalité: celle que lui donne aléatoire, l’action du drame (sorte d’entité flottante habitée par son seul désir… et de ce fait totalement détaché des tractations entre les autres personnages); celle plus directe et réelle qui surgit dans la réalité des auteurs, Strauss et Hofmannsthal étant très admiratifs de l’Empereur François Josef.

Inspiré par Strindberg et Anouilh, Loy démultiple les points de compréhension, nourrissant encore le jeu de ses acteurs chanteurs, mais aussi l’action elle-même, imaginant en fond de scène une série ininterrompue d’anecdotes: les indications aux chanteurs de l’assistant de l’ingénieur du son, lequel est perché dans une cabine son donnant sur la salle d’enregistrement.

Sans polluer la lisibilité de l’action, la mise en scène privilégie surtout le chant des protagonistes; d’une façon générale, la distribution reste satisfaisante: les traits les plus persuasifs provenant ainsi des personnages féminins: la Nourrice, l’Impératrice et la femme du teinturier composant un trio vocal particulièrement abouti: Michaela Schuster est une Nourrice habitée, instigatrice, provocatrice, prête à perdre définitivement la femme du tenturier pour mieux dérober son ombre; Evelyn Herlitzius exprime les tourments et la souffrance d’une âme tendue, éprise d’émancipation de te liberté, éprouvée par l’enfer domestique… et la straussienne Anne Schwanewilms, ailleurs impeccable Maréchale, subjugue dans le rôle central de l’Impératrice, celle qui provoque le drame et bascule en un air déchirant mi chanté mi déclamé au III (quand confronté à la source de vie, elle doit prendre une décision: sauver l’empereur ou préserver le couple des mortels). Le Barack de Wolfgang Koch, reste honnête comme l’Empereur (Stephen Gould aux aigus quand même limités). Idem pour les trois barytons qui sont les frères du teinturier.
Cependant que Rachel Frenkel fait un superbe esprit du faucon…

Dans la fosse, Christian Thielemann pilote un travail scrupuleux sur la partition, préoccupé par sa lisibilité et son souffle dramatique. Le fini instrumental (tenu par l’extrême hédonisme sonore des musiciens du Wiener) est remarquable, idéalement associé aux voix jamais couvertes. A l’été 2011, Salzbourg a donc réussi le grand retour d’une oeuvre mythique. Réalisation d’autant plus méritante que sans décors à l’exotisme flamboyant, sans tableau fantastique et surnaturel que cite pourtant le livret, le jeu scénique préserve toujours la musique et le chant, éléments primordiaux de cet opéra si difficile à produire à la scène.

Richard Strauss: La Femme sans ombre, Die Frau Ohne Schatten.
Stephen Gould, Der Kaiser

Anne Schwanewilms, Die Kaiserin

Michaela Schuster, Die Amme

Wolfgang Koch, Barak, der Färber

Evelyn Herlitzius, Sein Weib

Markus Brück, Der Einäugige

Steven Humes, Der Einarmige

Andreas Conrad, Der Bucklige

Thomas Johannes Mayer, Der Geisterbote

Rachel Frenkel, Die Stimme des Falken

Peter Sonn, Erscheinung eines Jünglings

Christina Landshamer, Ein Hüter der Schwelle des Tempels…
Staatsopernchor
Salzburger Festspiele Kinderchor
Wiener Philharmoniker
Christian Thielemann, direction
Christoph Loy, mise en scène

Nouvelle production présentée à Salzbourg, le 29 juillet 2012 (et jusqu’au 21 août). 2 dvd Opus Arte

Lire notre dossier La Femme sans ombre (Die Frau ohne Schatten) de Richard Strauss

Illustrations: 
Anne Schwanewilms dans le rôle de l’Impératrice (DR)
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