NANTES, MONTEVERDI : POPPEA. 9 > 17 octobre 2017. Ce pourrait bien être la production événement de cette nouvelle saison 17 – 18 d’Angers Nantes Opéra et aussi l’ultime offrande d’importance portée par son directeur général, jusqu’en décembre 2017, Jean-Paul Davois. Depuis les débuts de sa direction exemplaire, Jean-Paul Davois n’a cessé de défendre un théâtre lyrique soucieux du texte, du sens, en étroite connexion avec la société. Opéra engagé, – qui sait offrir en résonance avec les tumultes inquiétants de notre société, de sérieuses pistes de réflexion; la notion lyrique qu’il défend concerne d’abord, l’action dramatique mise en musique : l’action y est préservée, dans sa cohérence, dans sa profonde unité poétique. Voilà reformulée une intention qui se concrétise particulièrement dans le travail des deux metteurs en scène, devenus partenaires familiers à Nantes et à Angers, Patrice Caurier et Moshe Leiser, pour lesquels comme pour Jean-Paul Davois, théâtre et musique sont aussi importants dans la réussite du spectacle, traités ainsi à parts égales. On a vu réalisés par leur soin ici même, entre autres productions qui nous ont marqué : Le Château de Barbe-Bleue, Falstaff, et récemment un Don Giovanni, âpre, brûlant, d’une violence électrique.
THEATRE ET MUSIQUE…
Rien n’atteint l’impact du verbe incarné, en une action saisissante, où le temps théâtral rejoint le temps musical. Avant Verdi qui en un opéra réaliste, violent, parfois sauvage et fantastique a réussi dans cet art de l’équilibre, Monteverdi au XVIIè réalise déjà l’équation. Pour lui le texte est servi par la musique et les deux, chant et action, s’accomplissent grâce à l’action théâtrale. Rien de plus manifeste dans le cas de son dernier ouvrage, Le Couronnement de Poppée, où la passion soumet raison et politique (Amor vincit omnia), sommet lyrique, créé à Venise pour le Carnaval de 1642, grâce à une coopération exceptionnelle avec le poète Francesco Busenello. Leur duo est resté depuis légendaire, annonçant par sa réussite, celui de Mozart et Da Ponte, puis de Strauss (Richard) et Hofmannsthal.
LE DESIR DE NERON… Dans le cas du Couronnement de Poppée, compositeur et poète librettiste mettent en scène et en musique l’histoire romaine, mais selon le prisme de la pensée vénitienne. La République contre l’ordre impérial, c’est à dire l’ordre tyranique. Les Vénitiens se montrent particulièrement critiques vis à vis des héros romains…En effet, Néron y paraît en monstre infantile, être dépravé et érotomane habité, dévoré par une irrépressible soif de jouissance, en particulier pour la jeune Poppée, dont il fait sa maîtresse et sa nouvelle impératrice… Beaucoup de metteurs en scène ont joué sur la jeunesse troublante, et la perversité adolescente de ce couple fascinant et écœurant : pour satisfaire son seul désir, Néron répudie son épouse officielle (Octavie), trahit tous les préceptes de son mentor le philosophe Sénèque (qu’il fait assassiner et dont Monteverdi trace un portrait plutôt négatif, lui aussi d’après la soldatesque du début de l’opéra, acteur à la moralité douteuse). Le politique, inféodé au règne de l’amour, tue la raison, l’ordre, la vertu… Rien ne peut commander à la passion de l’empereur, fût-elle immorale et choquante. On ne saurait fustiger l’histoire romaine avec plus de cruauté et de cynisme. Cette parodie politique, permet cependant à Monteverdi d’écrire l’un de ses opéras les plus sensuels, d’une volupté même saisissante (les duos entre Poppea et Nerone) ; et en psychologue passionné par les vertiges du sentiment, Monteverdi fait de l’impératrice répudiée, Ottavia, une figure hautement tragique dont l’air unique (Addio Roma / l’adieu à Rome), est l’un des sommets de son oeuvre lyrique.
HUIT CLOS THEATRAL ET MUSICAL… C’est un huit clos tragique et amoureux, cynique et politique qui frappe par son austérité sauvage, mais aussi très voluptueux. Un théâtre musical d’une intensité unique à ce jour et propre au début des années 1640. Monteverdi lègue ainsi son plus haut génie poétique, à l’époque où à Venise, l’opéra devient publique (1637). Aujourd’hui, comme Don Giovanni de Mozart ou Le Chevalier à la rose de Strauss, – ouvrages universels, Le Couronnement de Poppée ne cesse de nous interroger. Sur la question de la folie amoureuse, de l’emprise de la passion (avant Racine) ; sur l’indignité d’un prince corrompue, avili, soucieux du seul accomplissement de son désir…
Et même sa réalisation pose problème et soulève le débat. Car les deux manuscrits encore accessibles, remontent certes au XVIIè mais sont d’une main ou d’un atelier qui a fixé deux versions après la mort du Maître (manuscrits conservés à la bibliothèque Marciana de Venise et au conservatoire San Pietro a Maiella de Naples). Sans indication précise sur les instruments obligés, le doute persiste sur la sonorité et les couleurs de « l’orchestre » d’origine, tel qu’il était pratiqué dans les théâtres publiques d’opéras à Venise au XVII, qui est en réalité un continuo développé. Alors faut-il respecter la vision chambriste, intimiste – théâtrale d’un Gardiner ? Ou celle plus flamboyante et latine défendue par d’autres chefs plus récents ? Sur les traces d’un Monteverdi soucieux de détails de mise en place sur les planches – le premier metteur en scène de l’histoire ?, Patrice Caurier et Mosche Leiser nous livrent leur propre vision d’un drame et d’une partition inclassables. Dont la vérité et la justesse poétique interrogent notre modernité au théâtre comme à l’opéra.
Que sera la nouvelle production conçue à Nantes ? Plus théâtrale, plus musicale ? Ou les deux, … très probablement. Réponse à partir du 9 et jusqu’au 17 octobre 2017. 6 représentations au Théâtre Graslin de Nantes.
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NANTES, THÉÂTRE GRASLIN
6 représentations événements
lundi 9, mardi 10, jeudi 12, vendredi 13,
dimanche 15, mardi 17 octobre 2017
en semaine à 20h, le dimanche à 14h30
RESERVEZ VOTRE PLACE
Le Couronnement de Poppée / L’Incoronazione di Poppea
Dramma in musica, en un prologue et 3 actes
Livret de Giovanni Francesco Busenello d’après les Annales de Tacite.
Créé au Teatro Grimano de Venise en 1642.
[Opéra en italien avec surtitres en français]
DIRECTION MUSICALE : MOSHE LEISER ET GIANLUCA CAPUANO
MISE EN SCÈNE: MOSHE LEISER ET PATRICE CAURIER
Chiara Skerath, Poppée
Rinat Shaham, Octavie / la Fortune
Peter Kalman, Sénèque
Élodie Kimmel, Drusilla / la Vertu
Sarah Aristidou, Demoiselle
Elmar Gilbertsson, Néron
Dominique Visse, la Nourrice / le Premier Familier
Renato Dolcini, Othon
Mark van Arsdale, Lucain / Libertus / le Second Familier / le Premier Soldat
Agustin Perez Escalante, le Licteur
Augusto Garcia Vazquez, le Troisième Familier
Chœur d’Angers Nantes Opéra
Direction Xavier Ribes
Ensemble I Canto di Orfeo
Direction Gianluca Capuano