jeudi 28 mars 2024

Max d’Ollone: musiques pour le prix de Rome (Cantates, chœurs, musique symphonique)2 cd Palazzetto Bru Zane (Hervé Niquet, 2012)

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Max d’Ollone : Prix de Rome (Niquet, 2012). La formule est à présent bien rodée, initiée par le Centre de musique romantique française Palazzetto Bru Zane, la collection  » Prix de Rome «  (à la place de l’ancienne titulature prévalant pour les 3 premiers volumes :  » Musiques pour le prix de Rome « ) comprend pour chacun de ses volumes un livre regroupant plusieurs contributions musicologiques particulièrement pertinentes (dont celle ici du petit-fils de Max d’Ollone, Patrice d’Ollone, témoin précieux et personnalité musicale d’une rare justesse), auxquelles répondent 2 cd: véritable dévoilement de tempéraments juvéniles, ceux des compositeurs à leurs débuts, confrontés au Prix de Rome et pour la majorité, lauréats de la prestigieuse distinction.
Max d’Ollone (1875-1959) est représentatif, un vrai cas d’école: candidat à 4 reprises pour le prix de Rome, dès 1894 (avec Daphné... puis Clarisse Harlowe, Mélusine enfin le triomphe avec Frédégonde… pour Daphné, il n’avait que 19 ans !).

La contradiction contemporaine vient de ce que tous, taxés d’académisme et de musiciens officiels, n’intéresseraient plus notre sensibilité actuelle: exercices scolaires, épreuves démonstratives, œuvres de commande irrémédiablement pompeuses à cause de leur genèse ou… premiers essais concluant affirmant des génies oubliés à torts ?
Evidemment selon les volumes réalisés, la réponse penche vers telle ou telle vision. Mais objectivement, les deux derniers opus, dédiés aux Cantates puis aux envois de Rome de Gustave Charpentier (précédemment critiqué dans nos colonnes), et ici, de Max d’Ollone… satisfont voire dépassent nos attentes. Ces deux volumes, 3 et 4, emportent toute réserve: ils éclairent de façon imprévue la justesse d’une collection discographique qui courageusement, fait du défrichement, une source d’enchantements … à répétition.


Le Puccini français n’avait que … 19 ans

Dans ce quatrième opus, comme ce fut le cas de Gustave Charpentier (collection Musiques du prix de Rome, volume 3),
la qualité dramatique des œuvres restituées, le souffle poétique, la sensibilité instrumentale des scènes lyriques ou bien encore, le symphonisme impétueux (cycle des Villes maudites ou orchestration tardive du Sposalizio de 1939) affirment un réel talent wagnérien et davantage encore: un clair génie de l’écriture orchestrale doué pour les atmosphères, les climats (l’aube éclatante qui ouvre le premier mouvement des Villes maudites); architecte dramaturge autant qu’atmosphériste (l’impressionnisme va bientôt poindre…), D’Ollone impose dans dès le milieu des années 1890, un feu ardent et chromatique d’une évidente maturité malgré son jeune âge.
Son séjour romain s’avère des plus fructueux dans la maturation de son étonnante sensibilité artistique.

On sent autant l’influence de son maître (comme c’est le cas de Charpentier): Massenet (si nettement, trop?- perceptible dans l’ouverture de la Cantate Clarisse Harlowe qui cite sa connaissance de la Méditation de Thaïs...). Voluptueuse expressivité  » hollywoodienne », digne emphase sonore dans le prolongement des tableaux de Gérôme, la sensualité magnétique (puccinienne) de D’Ollone, ses humeurs à la fois, brillantes, voluptueuses, transparentes se répandent en rasades de parfums capiteux (à l’efficacité redoutable): il y a autant de classicisme français romantique que de vérisme et de wagnérisme idéalement assimilé chez cet élève surdoué de Massenet, lequel avait immédiatement discerner sous sa jeunesse, la carrure d’un immense dramaturge: les Villes maudites, ample poème symphonique avec choeur, sous sa lumière conquérante (méditerranéenne ? Son premier mouvement s’élève et enfle comme une aurore étincelante) pourrait évidemment être taxé de kitscherie surannée, mais et c’est tout l’apport d’Hervé Niquet, jamais trop sirupeux, d’Ollone y concentre une claire vision théâtrale qui frappe par son élégance et l’intelligence des choix d’orchestration. C’est d’ailleurs le volet le plus captivant du programme: dernier envoi de Rome (1899), Les Villes Maudites, partition contemporaine des véristes, se nourrissent d’un poison évidemment wagnérien mais se sauvent elles-mêmes par la transparence et le souci de la couleur comme du timbre. L’auteur y mêle des souvenirs de Franck et de Gounod… très subtilement  » recyclés « . Seule  » symphonie  » de D’Ollone créée par Gabriel Pierné à Paris en novembre 1903, l’ouvrage révèle la force d’un tempérament qui donne aux  » envois de Rome « , leurs lettres de noblesse: envoi atypique, d’une valeur considérable, le compositeur y applique ses recherches les plus intimes, préférant le « saillant  » au  » fuyant  » (sic ses propres explications reproduites dans le livret du double cd), la sincérité au décoratif, assimilant avec un génie synthétique et très original l’écriture de ses prédécesseurs. Parti gagnant. C’est aussi l’apport le plus significatif de l’album, superbe immersion symphonique portée par un chef plein de nerf comme d’éloquence.

A lire les écrits du compositeur, il s’agit d’une œuvre libertaire, fraternelle, humaniste, portée par le sentiment de résistance contre toute autorité religieuse ou civile;  » rebelle « , D’Ollone y développe son dessein symphonique au diapason de Mahler et de Strauss, ses contemporains. De ce vaste projet (qui devait s’intituler Terre promise), ne subsiste aujourd’hui que Les Villes maudites auxquelles l’opéra Jean doit être directement rattaché (une prochaine exhumation?). On voit bien qu’au contraire d’un lauréat conforme et respectueux, le jeune créateur développe à Rome, de vastes projets, à la mesure de son exigence et de sa très forte personnalité musicale.


D’Ollone, génie lyrique et symphonique

Même totale découverte, et aussi (nous pesons nos mots) : source d’émerveillement pour les 3 cantates recréées par le disque dans leur version avec orchestre: Clarisse Harlowe (1895), Mélusine (1896), Frédégonde (1897), soit un cycle de partitions lyriques, véritables opéras miniatures d’un fini, sensuel et extatique souvent, irrésistibles: le duo de Clarisse et de son amant fatal (Lovelace) est un sommet absolu d’ivresse émotionnelle au diapason des deux cœurs amoureux (Je ne veux vivre...). Mais la musique angélique et d’une vibrante ardeur sait aussi (à l’orchestre) cultiver un ton cynique, une ironie souterraine accompagnant le déroulement de l’action: tout l’art de d’Ollone est là, dans la présence du barbare sous le masque de la pureté. La forme d’une perfection classique (citant Meyerbeer, Gounod, Saint-Saëns…) agite des troubles plus vénéneux, proches évidemment de Wagner et de Puccini (chromatisme, harmonies audacieuses et sirupeuses). C’est toute la naïveté dérisoire de Clarisse, la fierté aveugle de Galeswinthe (opposée à la féminité féline et carnassière de Frédégonde) qui révèle en d’Ollone, le génie psychologique qui fait défaut chez ses contemporains.

Du reste, en maître de la narration, le jeune d’Ollone offre avec cette Frédégonde magnifiquement façonnée, un modèle d’écriture dramatique où brille l’affrontement de deux féminités finement caractérisées: la vipère contre la colombe. Une telle réussite renoue avec Didon de Charpentier (1887), près de dix années auparavant, autre cantate qui valut elle aussi, le premier prix à un autre élève de Massenet. Dans le rôle-titre, Jennifer Borghi, familière des projets lyriques défendus par le Palazzetto dévoile une splendide couleur vocale, nourrie de haine carnassière, féline, surtout guerrière (ce qui la rapproche définitivement du roi); Hervé Niquet fait paraître dans l’orchestre la rage à peine voilée, le sang bouillonnant d’une Frédégonde aux élans digne de Brunnhilde (d’Ollone adolescent connaissait parfaitement la partition de La Walkyrie). En Galeswinthe, Chantal Santon éblouit de même par ses lignes infinies, d’un souffle et d’une clarté straussienne. La favorite avide et barbare contre la reine trop hautaine… entre elles, Julien Dran (Chilpéric), trop droit n’a pas l’ambiguité ni la subtilité de ses partenaires. Dommage.
Le charme opère tout autant dans les deux autres cantates: Hervé Niquet y saisit l’ambiance de chacune, déroulée et approfondie en une orchestration magistrale. Il fait jaillir l’épaisseur envoûtante du songe dans Mélusine, celle qui enivre et perd Raymondin ; il exprime comme on l’a déjà dit, la force du désir magnétique dans Clarisse Harlowe.

Le programme en outre fait valoir d’étonnantes implications vocales au service de ce théâtre souvent fiévreux (pour ne pas dire frénétique): Mathias Vidal captive dans le rôle de Lovelace (mais étrangement avec des coupes dans le texte du livret :  » Dans l’antique et sainte chapelle... »), comme Frédéric Antoun étonne en Raymondin par son chant limpide et naturel. Ils sont tous deux des modèles d’articulation et d’intelligibilité. Le Chœur avec orchestre  » Sous-bois  » (1897) nous vaut aussi une alliance de timbres des plus savoureuses, quand Mathias Vidal chante avec Marie Kalinine… la combinaison des voix est remarquable. Revenons à Clarisse: Jennifer Borghi y quitte le fiel barbare de Frédégonde pour le pur angélisme, passif et ardent de Clarisse : un tour acrobatique que la mezzo réussit avec un aplomb exemplaire. Dans Clarisse toujours, Andrew Foster-Williams se distingue tout autant par l’élégance dramatique de son incarnation du colonel Morden, sorte de Germont, moral et redresseur de torts d’une énergie paternelle et protectrice. Quelle classe !

Outre l’intérêt purement musical et artistique, le programme éclaire aussi l’histoire du Prix de Rome et ses nombreux épisodes. On sait que souvent les décisions relèvent de la politique la moins glorieuse, ainsi en 1896, d’Ollone après avoir obtenu un second prix avec Clarisse Harlowe en 1895, laissant espérer l’année suivante un légitime premier prix, se voit ni plus ni moins écarté… scandale, désillusion, amertume. Il en sera de même (mais avec des conséquences davantage périlleuses pour l’avenir du Prix) pour Ravel quelques années après (1901-1905). C’est qu’au moment où d’Ollone se présente, Massenet a refusé le poste de directeur du Conservatoire; le milieu officiel entend punir cette audace: d’Ollone, clair élève de Massenet, en paie le prix. Il est écarté à la faveur des autres candidats, élèves d’un certain Théodore Dubois qui, lui, a accepté la direction du Conservatoire.

Saluons ce nouvel opus comme l’un des meilleurs de la jeune collection  » Prix de Rome « .
Une réserve cependant. L’éditeur serait avisé d’ajouter des repères plus explicatifs pour comprendre la place du jeune d’Ollone dans le contexte qui lui est propre: pas une seule date de naissance ni de mort pour le situer (sauf au dos de la couverture mais à peine visible), ni une courte biographie, ou quelques dates clés : on aurait souhaiter visualiser le destin et la postérité de d’Ollone à l’Opéra en un tableau récapitulatif. S’agissant d’un compositeur encore tout à fait méconnu du grand public, ou si peu des mélomanes, le bénéfice en aurait été pourtant immense. Né à Besançon en 1875, Max d’Ollone gagne cependant un éclairage unique, espérons-le pionnier, annonciateur de prochaines autres exhumations: à la lueur de ses cantates si bien écrites, l’auditeur est curieux d’écouter et de découvrir ses opéras de la maturité: après Jean (composé dans la foulée du séjour romain et partiellement créé en 1905), Le Retour (1919), L’Arlequin (1924), La Samaritaine (1937)… Notre curiosité est piquée, et l’esprit, convaincu: tout cela appelle d’autres réalisations sur le compositeur. Le pari de l’exhumation est donc totalement relevé.

Max d’Ollone: Cantates, choeurs, musique symphonique. Flemish Radio Choir, Brussels Philharmonic. Hervé Niquet, direction. 2 cd Palazzetto Bru Zane. Collection « Prix de Rome », volume 4. Enregistré à Bruxelles, 2012.



CD événement
Max d’Ollone: Musiques pour le prix de Rome
cantates, pages symphoniques, musiques pour choeur
grand reportage vidéo

Palazzetto Bru Zane (29 janvier 2013)



Grand reportage vidéo. Max
d’Ollone. Le Palazzetto Bru Zane Centre de musique romantique française
poursuit son exploration des compositeurs académiques: Max d’Ollone
remporte le Premier Prix de Rome en 1897 avec sa cantate Frédégonde,
après deux précédentes tentatives (Clarisse Harlowe, Mélusine). Au
sommaire de ce premier volet: extraits des cantates Clarisse Harlowe et
Frédégonde (version pour piano, version pour orchestre), présentation du
style de d’Ollone, préparation des partitions: Alexandre Dratwicki,
directeur scientifique du Palazzetto Bru Zane; témoignage des
interprètes: Jennifer Borghi, mezzo soprano; Hervé Niquet, chef
d’orchestre ; avec la contribution exceptionnelle de Patrice d’Ollone,
petit-fils de Max d’Ollone… Complétées par les envois de Rome, les
trois cantates de Max d’Ollone (Clarisse Harlowe, Mélusine, Frédégonde)
composent le IVè volume de la collection « Musiques pour le Prix de
Rome »: « Max d’Ollone et le Prix de Rome ». Parution annoncée : le 29
janvier 2013.

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