vendredi 19 avril 2024

Livres, compte rendu critique. Jill Feldman, soprano incandescente: bien au-delà du Baroque (L’Harmattan, collection Univers musical)

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feldman-jill-michel-bosc-l-harmattan-biographie-mai-juin-2015-compte-rendu-critique-classiquenews-livres-d-ete-2015Livres, compte rendu critique. Jill Feldman, soprano incandescente: bien au-delà du Baroque par Michel Bosc (L’Harmattan, collection Univers musical). La voix pure intense et dramatique, à la fois charnue et diamantine des Arts Florissants (qu’elle a rejoint à Paris dès 1981), c’est elle : l’américaine Jill Feldman, né en Californie en 1951, récapitule ici un parcours de chanteuse qui a croisé l’aventure des Baroqueux en France et en Europe, à l’époque où les voix corsées, les tempéraments caractérisés (judicieusement repérés et mis en valeur par William Christie) consolidaient ce mordant enivrant des enregistrements et des concerts qui entre 1980 et 2000 ont fait le prestige et tout l’attrait des réalisations dites « baroqueuses ». Par Baroqueux, il faut entendre le choix du risque, de la musicalité, les notions de dépassement et d’expressivité nouvelle, guidés par un style sûr… tout ce qui a contribué à renouveler de façon décisive l’approche des oeuvres, le répertoire défriché et le mode opératoire pour les ressusciter.

La soprano Jill Feldman a amplement contribué à cette révélation musicale qui est passée par une prise de conscience des timbres, une sensualité régénérée grâce à des cantatrices à personnalité (comme Lorraine Hunt qui chanta elle aussi et après Feldman en 1985, le rôle de Médée de Marc-Antoine Charpentier, également sous la direction de William Christie).

L’évocation rétrospective rédigée par Michel Bosc opère une biographie guidée par l’admiration et un certain esprit d’hommage ; elle incarne l’apport des américains pour l’explicitation si habitée du répertoire musical européen, en particulier baroque (français et italien). La trentenaire Feldman participe activement à la réussite des premiers défrichements fondés sur un important travail de préparation musicologique ; la soprano réalise aux côtés de William Christie (qui avouera le mauvais caractère de la chanteuse tout en reconnaissant son talent dramatique et son goût du raffinement vocal, sa précision hypnotique…) tous les grands accomplissements esthétiques qui ont fait la réputation des Arts Florissants ; d’autan tque « La Feldman » est la partenaire emblématique alors de sa consœur Agnès Mellon, de Dominique Visse… autres ambassadeurs des Arts Florissants.

Le texte fait souvent l’économie des dates (oubli dommageable dans la discographie commentée de la diva, au risque de brouiller les pistes et ici, de rendre difficile la restitution d’un parcours comptant pourtant ses prises de rôles fondatrices ; évidemment c’est Médée en 1985 qui reste son rôle axial) ; pourtant le lecteur séduit par la précision de la construction narrative, oublie ce manque chronologique et découvre tout un milieu musical dont la passion des oeuvres nouvelles, l’équité et une certaine éthique sont partagés. De grands moments, accomplissements uniques dans la vie d’un musicien sont exprimés avec pudeur et justesse : La Création de Haydn par Frans Brüggen (alors condamné par la maladie), Atys, Rosi, certains Monteverdi de Christie, en font partie. Des références aussi, malheureusement non vécus en live (Tebaldi, Price), mais d’autres consolatrices (Dietrich Fisher-Dieskau)… Feldman aujourd’hui pédagogue, a servi tous les répertoires et pas seulement le baroque : songs de Charles Ives récemment, ou les musiques de son compagnon Kees Boecke, flûtiste, violoncelliste et compositeur (rencontré au sein de Mala Punica), sans omettre le Moyen Age.

 

Cantatrice douée, c’est surtout la personnalité d’une artiste passionnée et déterminée qui séduit au fil des pages ; dans ses choix de répertoire, ses aimantations ou ses tensions avec les chefs (dont Christie, Jacobs…), Jill Feldman sait nous épargner la longue litanies des petits bobos à l’âme des narcissiques maladifs. Enfin de première partie (biographique, intitulée « portrait »), la cantatrice, témoin politique et sociétal s’inquiète avec un rare discernement et une justesse lumineuse (comme son timbre) : «  L’une des évolutions qui m’inquiètent le plus dans le monde actuel, est que les gouvernements diminuent toujours plus les crédits de l’éducation et de la culture. Ils veulent ainsi empêcher les gens de s’élever pour mieux les contrôler ».

Difficile de ne pas souscrire à une telle évidence née d’une conscience affûtée : qui s’inquiète aujourd’hui de l’abandon des politiques vis à vis de la culture : or nier les valeurs d’éducation, de transmission, de réalisation comme d’accomplissement individuel que permet la culture, en particulier l’expérience de la musique pour l’essor du vivre ensemble, c’est mieux préparer la barbarie à venir.

Décidément, Jill Feldmann a tout pour nous plaire. Nous renvoyons le lecteur à l’écoute de plusieurs cd encore disponibles, pour goûter l’art, le geste, le style Feldman : Médée de Charpentier, Arthébuze d’Actéon, Airs de cour de Michel Lambert (Ombre de mon amant), l’Oratorio per la Settimana santa de Luigi Rossi… tous, réalisations sous la férule aiguisée de l’esthète Christie. Des must.

 

 

 

 

 

 

Livres, compte rendu critique. Jill Feldman, soprano incandescente: bien au-delà du Baroque (L’Harmattan, collection Univers musical). Parution : mai 2015. ISBN : 978-2-343-06285-3. 180 pages.

 

 

 

 

 

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