LIVRE événement. PHILIPPE CASSARD : CLAUDE DEBUSSY (Editions Actes Sud). Voici un texte rare : le fruit d’un long compagnonage avec la musique concernée : c’est avant tout, vrai regard et belle pertinence dans l’approche, le livre d’un pianiste nous parlant d’un jardin musical qu’il a patiemment et amoureusement visité, compris, ressenti, vécu. Le lecteur retrouve la finesse et le sens de l’analyse du pianiste Philippe Cassard. Celui qui fut pendant longtemps le producteur de ‘Notes du traducteur’ sur France Musique, l’une des émissions les plus passionnantes et les plus suivies, diffuse par petites touches (impressionnistes), maîtrisant la formule et l’économie littéraire pourtant riche en enseignements, un portrait de Claude Debussy : personnalité majeure de notre musique moderne, véritable pionnier d’un esthétisme éblouissant… et surtout salvateur à l’époque où la France s’asphyxiait littéralement en voulant prolonger sans le renouveler l’océan wagnérien.
Le pianiste Philippe Cassard livre son portrait de Claude Debussy
Lumière, ivresse, érotisme de Debussy
Maître de la couleur (Debussy fut un grand amateur de peinture), génie de l’espace et du temps, prophète de nouvelles harmonies, esprit perfectionniste aussi, capable (après Marais, ou F. Couperin) d’écrire des indications particulièrement précises (Philippe Cassard leur consacre tout un chapitre : « au fil des 24 Préludes »), entre maniaquerie et poésie pure, Debussy se précise dans ce livre hautement recommandable : il est un compositeur inclassable, indépendant, profondément moderne.
Justement, la composition de cet essai, joyau à lire et à relire, s’expose en… 24 chapitres, complémentaires, – c’est que son auteur joue des références et résonances, en véritable artiste sensible. Pourtant, la lecture se cristallise au fur et à mesure des pages (140 au total), et rétablit à la fois le style, le portrait, la recherche d’un génie du XXè. On reconstitue le périple du musicien : jeune académicien farouche, sauvage et totalement incompris (le jury confronté à ses envois romains, regrette « son manque de netteté » ; car il est déjà dans le flou : furieux le virtuose quitte Rome en 1886) ; le mélodiste audacieux ; l’architecte qui au piano échafaude des cathédrales de sons ouatés et liquides…; l’orientaliste aussi (qui se passionne à l’Expo Universelle de 1889 pour les carillons et demi-tons javanais…) ; d’ailleurs, c’est sur son piano creuset et forge préalable, que l’inventeur des sons modernes polit, cisèle, le chant orchestral de son opéra Pelléas… Philippe Cassard rétablit le rôle primordiale du clavier dans la genèse de l’opéra le plus essentiel du XXè naissant : piano laboratoire, piano poète (après Liszt et Chopin).
Le malheur de Debussy fut sa volonté d’indépendance, farouchement verrouillée, qu’il paya toute sa vie, en souffrant d’un manque récurrent d’argent. Que n’a t il écrit davantage d’opéras… c’était là, la source de revenus garantis. Mais il reste un chef d’oeuvre… encore traversé par un mystère persistant.
Philippe Cassard livre ainsi un texte remarquable de sensibilité et de clarté malicieusement pédagogique ; il faut absolument lire entre autres pépites, son chapitre sur les sources d’inspiration de l’Isle joyeuse (régénérant l’esprit des Barcarolles de … Chopin) ; comme son portrait de l’homme Debussy, à torts réputé « difficile », en réalité exigeant, intransigeant, mais que son étonnante culture poétique et littéraire, comme picturale, aura définitivement distingué de ses contemporains. Debussy s’inscrit tout entier dans l’air et la lumière ; son écriture dit cet ivresse éblouissante qui semble gommer tout ancrage, tout format prévisible, tout enveloppe terrestre, connue, traditionnelle. Or on sait combien ce Prix de Rome 1883 a détesté non sans raison, le ridicule académique de l’Institution. Debussy est le dernier des esprits libres dont les pages pianistiques, les mélodies (elles aussi très bien commentées), l’oeuvre symphonique, … indiquent la totale nouveauté. Une bouffée d’oxygène dans un pays au néoromantisme ‘lourdingue’ qui s’enlisait inexorablement… On ne saurait mieux dire.
Les pages courtes mais d’autant plus savoureuses, dédiées à Verlaine, Mallarmé (« le Patron »), celles explicitant le jeu pianistique de Debussy (selon le témoignage de Satie), l’analyse des pages symphoniques comme La Mer (pur sommet orchestral)… sont des sources d’intense plaisir. De quoi nous réjouir enfin au sujet de Debussy. Pour le centenaire de sa mort, le livre écrit par Philippe Cassard, édité par Actes Sud, est incontournable. Evidemment CLIC de classiquenews de février 2018. Rafraîchissant et captivant.
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LIVRE événement. PHILIPPE CASSARD : CLAUDE DEBUSSY (Editions Actes Sud) — CLIC de CLASSIQUENEWS