Richard Strauss : portraits de femmes. De SalomĂ© Ă Capriccio, soit au cours de la premiĂšre moitiĂ© du XXĂšme siĂšcle, Richard Strauss, comme Massenet ou Puccini aura laissĂ© une exceptionnelle galerie de portraits fĂ©minins. Lente Ă©volution qui d’ouvrages en partitions, recueille les fruits d’ une Ă©criture musicale en mĂ©tamorphose, et prĂ©cise la place et le rĂŽle de la femme vis Ă vis du hĂ©ros. Alors que Wagner n’envisage pour ses hĂ©roĂŻnes qu’un aspect certes flamboyant mais unique (et qui le destine souvent Ă mourir), celui d’un ange salvateur Ćuvrant pour le salut du maudit (le hĂ©ros et le compositeur se fondent ici), Strauss, avec son librettiste Hofmannsthal fouillent l’ambivalence contradictoire de la psychĂ© fĂ©minine avec une subtilitĂ© rarement atteinte au théùtre. Selon les sources empruntĂ©es et le sujet central de l’opĂ©ra, l’hĂ©roĂŻne est ici solitaire Ă©goĂŻste comme emprisonnĂ©e dĂ©finitivement par ses propres obsessions, ou Ă l’inverse, mobile et gĂ©nĂ©reuse, souvent sujet d’une mĂ©tamorphose imprĂ©vue, capable de sauver le hĂ©ros dont elle a croisĂ© le destin. L’itinĂ©raire de la femme au cours d’un seul ouvrage traverse bien des Ă©preuves : elle pose clairement le principe de la transformation, du changement qui du dĂ©but Ă la fin de l’ouvrage, indique une progression souvent passionnante Ă suivre.
Certaines comme SalomĂ© ou DaphnĂ© demeurent Ă©trangĂšres Ă tout renouvellement de l’esprit : leur carriĂšre suit toujours le mĂȘme dessein, ĂȘtre seule, sans amour puis mourir ou ĂȘtre pĂ©trifiĂ©e. Leur route est fixe et ne cible qu’une inĂ©luctable fin tragique. Elles s’opposent ouvertement au corps social, ne dĂ©sirant Ă aucun moment lui appartenir… D’autres Ă©clairent les tumultes et tempĂȘtes d’une vie de couple parfois Ă la lumiĂšre de la propre expĂ©rience de Strauss : immersion rĂ©aliste dans l’aventure domestique oĂč la querelle et le soupçon, l’incommunicabilitĂ© profonde menace un destin qui Ă une Ă©poque s’est envisagĂ© Ă deux (quel avenir pour le mariage et le serment de confiance rĂ©ciproque qui lui est liĂ©?) : ainsi la femme du teinturier dans La femme sans ombre, surtout Christine, l’Ă©pouse du chef d’orchestre Robert Storch dans Intermezzo (le livret de Strauss lui-mĂȘme indique clairement un sens souvent autobiographique dans l’Ă©criture de l’ouvrage). Et puis il y a les gĂ©nĂ©reuses loyales qui par amour accomplissent l’impossible, dĂ©fient le sort et la loi divine, s’offrent – comme Isolde, sans compter (HĂ©lĂšne Ă©gyptienne) ou Ă l’inverse, renoncent en un geste de dĂ©tachement ultime qui s’apparente aussi Ă l’amour (La MarĂ©chale dans Le Chevalier Ă la rose). De telles figures si humaines et fraternelles accomplissent leur destin grĂące au pouvoir Ă©vocatoire de la musique, la seule en vĂ©ritĂ© qui semble capable d’exprimer l’indicible intelligence fĂ©minine, le chant et les notes plutĂŽt que tout discours verbal fĂ»t-il poĂ©tique. N’est ce pas ce qu’aurait pu dĂ©fendre Strauss lui-mĂȘme dont Capriccio, son dernier opĂ©ra (1942) indique clairement l’opinion comme le tempĂ©rament : si Ă la fin de l’opĂ©ra, la question reste en suspend, il semble bien que par la voix de la Comtesse Madeleine, le compositeur dĂ©fende bien les vertus de son art: quelle autre discipline mieux que la musique peut dĂ©voiler la vie intime des ĂȘtres ?
année Strauss 2014 : la femme selon Richard Strauss
Portraits de femmes…
A l’occasion de l’annĂ©e Richard Strauss 2014, – 150 Ăšme anniversaire de la naissance, classiquenews dresse le portrait de ses femmes sublimes dont la musique de Strauss Ă©claire dĂ©sirs et vellĂ©itĂ©s de la nature profonde.
SalomĂ© : le dĂ©sir monstrueux. SalomĂ© incarne mieux que toute autre, l’idĂ©al fĂ©minin de Strauss qui souhaitait, de son propre aveu, ĂȘtre captivĂ© et saisi par la figure d’une hĂ©roĂŻne centrale. C’est assurĂ©ment le cas de SalomĂ© dont le tempĂ©rament oriental et vĂ©nĂ©neux prĂ©figure l’Ă©rotisme Ă©nigmatique de Lulu.
Par les yeux d’HĂ©rode, Strauss semble scruter la courbe frĂ©nĂ©tique et provocante du corps adolescent pendant la danse des sept voiles. Jouissive, perverse, SalomĂ© concentre son dĂ©sir sur la bouche de Jokanaan le ProphĂšte, quand elle demeure insensible au jeune capitaine syrien Narraboth qui terrassĂ© et donc manipulĂ©, se jette Ă ses pieds avant de se suicider, Ă©conduit… Par elle, s’Ă©coule l’ivresse sensorielle qui envoĂ»te et hypnotise ; puis son obsession suscite la dĂ©capitation du ProphĂšte, semant la terreur autour d’elle. Inconsciente Ă toute raison, la jeune femme encore pubĂšre sĂšme frustration et mort sur son chemin : il n’est d’autre issue que la mort pour rompre le charme fatal de la sirĂšne enjĂŽleuse. A la beautĂ© de sa silhouette, Strauss ajoute par le pouvoir d’une musique nĂ©vrotique et expressionniste mais flamboyante et terriblement sensuelle, le trouble que produit la jeunesse criminelle : l’innocence de SalomĂ© contredit ses fantasmes qui confinent Ă la folie barbare. C’est la beautĂ© du diable : une mante religieuse dans le corps d’une lolita.
Sous le masque de la candeur gracile se cache la figure d’un monstre. Ici le dĂ©sir n’est canalisĂ© par aucun ordre moral : il s’exacerbe et se consume jusqu’Ă la mort. La jeune fille de 16 ans qui doit chanter comme une Isolde, incarne l’opĂ©ra le plus torride jamais Ă©crit avant lui : manifeste Ă©ruptif d’un dĂ©sir unilatĂ©ral qui Ă a sa crĂ©ation Ă Dresde en dĂ©cembre 1905, reste le plus grand scandale lyrique d’Europe, et aussi le premier triomphe de son jeune auteur (tout juste quadra). Illustration : SalomĂ© par Titien (DR)
Elektra : venger le pĂšre. Elektra (Dresde, 1909) nâest pas une femme comme les autres : en elle, brĂ»le le feu de la vengeance, un brasier pour lequel elle renonce Ă sa vie propre, Ă©carte tout bonheur et tout amour. A lâinjonction structurante : vis ta vie, sois toi-mĂȘme ! Elektra rĂ©pond : je ne peux pas : jâaime trop mon pĂšre. Rien nâimporte plus que venger la mort du pĂšre (Agamemnon), donc tuer la mĂšre (Clytemnestre) : lâobjet de son obsession. Elketra nâa pas dĂ©passĂ© son complexe Ćdipien. Tout lâopĂ©ra qui dĂ©coule de la piĂšce de théùtre de Hofmannsthal (1903) se concentre sur le dĂ©lire psychique, la quĂȘte obsessionnelle dâElektra. Câest un huit-clos psychologique qui confine Ă lâĂ©touffement. Certes on ne cesse de souligner la finalitĂ© tragique et lâemprisonnement de la jeune femme qui erre comme une bĂȘte aux abords du palais de sa mĂšre criminelle. Mais tiraillĂ©e par les Ă©vĂ©nements qui lâaccablent, comment Elektra aurait-elle pu agir autrement que dans lâesprit de vengeance? Elle ne peut sâen sortir quâen vengeant son pĂšre. A contrario de sa sĆur ChrysothĂ©mis qui veut vivre sa vie, Elektra ne peut vivre sans se libĂ©rer de sa quĂȘte. LĂ encore comme dans SalomĂ©, Strauss trouve une figure fĂ©minine centrale, totalement hallucinante. Ne supportant pas lâimpunitĂ© de lâassassinat, lâhĂ©roĂŻne veut faire expier : la mort appelle, exige la mort. Mais elle ne peut le faire seule : cette impuissance fonde la violence dĂ©chirĂ©e du personnage. Et quand son frĂšre Oreste retrouvĂ©, rĂ©alise la punition tant espĂ©rĂ©e, Elektra sâeffondre ⊠morte. En outre leurs retrouvailles restent dans la vie de lâhĂ©roĂŻne lâinstant le plus humain de lâopĂ©ra, un rĂ©pit dans une arĂšne suffocante.
 Outre la formidable musique que compose Strauss, le livret dâHofmannsthal sâintĂ©resse au verbe poĂ©tique dâElektra : en elle coule la source dâune connaissance supĂ©rieure, celle du mot juste qui dĂ©nonce et exhorte. Pour le poĂšte librettiste, Elektra est une figure de lâartiste qui voit tout, mais son existence nâest quâun exutoire ; le verbe rĂ©pĂšte toujours et encore la tragĂ©die de lâacte traumatisant. Le verbe dâElektra, cri et incantation, emprisonne : il est vouĂ© Ă la rĂ©pĂ©tition car il ne rĂ©sout rien. Elektra est dâabord une victime dâautant plus quâelle ne surmonte pas le crime de son pĂšre. Sa solitude est terrible car mĂȘme la vengeance quâelle exige, ne la libĂ©rera pas. Elle est condamnĂ©e de toute façon dĂšs le dĂ©but de lâopĂ©ra. Pas de lien social pour Elektra ni SalomĂ©. Mais le sort tragique surhumain de deux figures absolues, lâune portĂ©e par son seul dĂ©sir ; la seconde tout autant enchaĂźnĂ©e Ă la vengeance qui la consume. Illustration : jeune romaine, fresques de Pompei (DR).
La quĂȘte dâHĂ©lĂšne Ă©gyptienne ⊠Dernier opĂ©ra conçu par Hofmannsthal et Strauss, HĂ©lĂšne Ă©gyptienne créé en 1928 confirme lâAntiquitĂ© comme une source rĂ©guliĂšre et inĂ©puisable : aprĂšs Elektra, Arianne, voici donc HĂ©lĂšne mais dans un Ă©pisode moins connu, celui indirectement lĂ©guĂ© par Euripide. HomĂšre retrouve HĂ©lĂšne et MĂ©nĂ©las, heureux comme rĂ©conciliĂ©s, malgrĂ© la sĂ©quence dâHĂ©lĂšne enlevĂ© par Paris jusquâĂ Troie⊠Or selon Euripide, soucieux dâexpliquer les retrouvailles des Ă©poux, imagine quâen rĂ©alitĂ©, PĂąris aurait enlevĂ© le fantĂŽme dâHĂ©lĂšne ; la vraie HĂ©lĂšne se serait enfuie en Egypte Ă la cour du ProtĂ©e oĂč lâĂ©poux dubitatif et dâabord trompĂ©, la retrouve ; elle lui aurait toujours Ă©tĂ© loyale.
HĂ©lĂšne Ă©gyptienne raconte lâhistoire dâune femme en quĂȘte de son Ă©poux, cherchant Ă rĂ©tablir la confiance dans leur couple en dĂ©pit dâune rĂ©putation tronquĂ©e mais nĂ©faste⊠en dĂ©pit de lâinfidĂ©litĂ© dont elle sâest rendue coupable. Contre la fatalitĂ© et le poison du soupçon, HĂ©lĂšne veut croire au serment du mariage : ĂȘtre fidĂšle Ă son Ă©poux, câest enfin accomplir son destin. Il nâest jamais trop tard. Voici encore une fois, la figure dâune femme admirable qui souffrante dĂ©sire ĂȘtre sauvĂ©e. En lire +
Ă suivre …
Prochain épisode : La Maréchale du Chevalier à la rose (1911)
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