Afin de célébrer les 50 ans de l’Alliance Française d’Hawaï, le ténor Damien Top est revenu tout spécialement à Honolulu avec un énorme bouquet de fleurs : un programme de musique française qui proposait un parcours original à travers « le jardin du charme et de l’enchantement. » Ce titre fait référence à une mélodie d’Ernest Chausson. Le concert a eu lieu le 30 avril dans le studio Atherton de la radio KHPR (Hawaii Public Radio) à Honolulu, devant un public concentré qui a découvert des poètes remarquables, des compositeurs de qualité. Certains de ces poètes et compositeurs sont célèbres, d’autres méconnus, même en France. La plupart de ces mélodies se voyaient interprétées pour la première fois aux Etats-Unis. Damien Top était accompagné par le pianiste Eric Schank lequel officie régulièrement au Hawaii Opera Theatre.
La promenade débutait dans la campagne profonde passant des jardins médiévaux aux modernes enclos, le jardin en fleurs se transformant lentement en objet de réflexions, un heureux jardin idéal. Dès les premières notes du « Nocturne » d’Albéric Magnard, l’auditeur plonge dans un univers de contemplation poético-musicale de haute tenue. La voix du chanteur déroule les premiers vers pianissimo en un legato parfait avant de s’animer devant le spectacle des arbres se mirant dans le fleuve baigné par la clarté lunaire. L’adéquation de l’interprétation avec les intentions du compositeur, soulignée par un pianiste attentif aux inflexions vocales, donne d’emblée le ton du récital. « Le Jardin de notre sœur Claire » de Jacques Chailley décrit un jardin monastique en un langage épicé de bitonalité. « En regardant ces belles fleurs » de Raoul Laparra illustre avec une simplicité presque déroutante le texte de Charles d’Orléans. Eric Schank imprime une belle fluidité à l’accompagnement virtuose de la mélodie de Blanche Selva. Suivirent deux petits joyaux sur des poèmes de Jacques Prévert mis en musique par Vincent Wimart. Chantés avec sobriété et intensité, ils conquirent immédiatement le public. Au cours de cette première partie, nous avons entendu une mélodie interprétée par son propre compositeur. Dans « Cher Jardin », Damien Top mêle parole et chant en une heureuse combinaison se déployant sur un rythme de valse lente.
La mélodie française est un genre subtil où le mot importe autant que la musique. En ce sens, la clarté de la diction du ténor constitue un atout de poids. Elle permet de mieux faire apprécier l’écrin musical qui sertit le texte. Après un court entr’acte, nous entendons « Les Roses » de Maurice Thiriet, mélodie nostalgique à l’atmosphère modale typique de l’univers du compositeur de la musique du film « Les Visiteurs du Soir ». Puis Albert Roussel trouve en Damien Top un défenseur de choix : le « Jardin mouillé » est détaillé avec un art consommé et une admirable précision de nuances. Les élans opératiques du « Rondel d’automne » de Fernand de La Tombelle alternent avec des passages susurrés du meilleur effet, on songe à Massenet, grand maître de l’opéra français. Autre découverte d’importance, le nantais Louis Brisset dévoile une remarquable subtilité dans le traitement harmonique : « Aux jardins idéals » mériterait de figurer régulièrement au programme des récitals de mélodies, son élévation la rapproche du meilleur Berlioz (« Le spectre de la rose »). Ne pouvant se résigner à rompre le charme de cette féerie, les spectateurs ont rappelé les artistes et ont pu ainsi apprécier deux mélodies en bis, la célèbre « Chanson d’automne » de Reynaldo Hahn (sur un poème de Paul Verlaine) et « Ku’u Pua I Paoakalani » (La fleur de Paoakalani), œuvre de Lili’uokalani, dernière souveraine d’Hawaï. Celle-ci bien sûr chantée en hawaiien, car Damien Top est un habitué des îles qui aime à honorer la tradition musicale locale.
Chaque auditeur présent au concert a sûrement dû repérer une mélodie de prédilection dans ce chatoyant bouquet. Pour notre part, c’était le splendide « Nocturne » de Magnard et « Le Jardin » du jeune Vincent Wimart, actuellement professeur de musique à Arras, qui a su parfaitement mettre en musique l’esprit de Prévert. Nous espérons que, parmi ses activités de chanteur, compositeur, musicologue et directeur du Centre International Albert Roussel, M. Top saura ajouter un nouveau CD à la série qu’il dirige depuis longtemps. De par son originalité, franchement inattendue, et sa très belle qualité, ce jardin du charme et de l’enchantement ne demande qu’à être immortalisé !
Compte rendu rédigé par Kathryn Klingebiel (University of Hawaii at Mānoa).
Honolulu. Studio Atherton de la Radio KHPR (Hawaii Public Radio), le 30 avril 2011. « Dans le jardin du charme et de l’enchantement » : Mélodies françaises. Damien Top, ténor. Eric Schank, piano. Albéric Magnard : Nocturne (Albéric Magnard). Jacques Chailley : Le jardin de notre sœur Claire (Léon Chancerel). Raoul Laparra : En regardant ces belles fleurs (Charles d’Orléans). Blanche Selva : Venez sous la Tonnelle (Francis Jammes). Vincent Wimart : Le jardin et Le ruisseau (Jacques Prévert) ; Damien Top: Cher Jardin… (Charlotte Thiriet-Risler); Jacques de la Presle : Ce jardin clair (Emile Verhaeren). Maurice Thiriet : Les Roses (Marceline Desbordes-Valmore) chanson du film « Avec Claude Monet ». Jacques-Alphonse De Zeegant : Matins dans une pluie d’or sidéral (Jean Dertuis d’Abrassault). Albert Roussel : Le Jardin mouillé (Henri de Régnier). Fernand de La Tombelle : Rondel d’automne (Georges Boutelleau). Louis Brisset : Aux jardins idéals (Villiers de l’Isle-Adam). Hector Berlioz : Le spectre de la Rose (Théophile Gauthier).
In celebration of the 50th anniversary of the Alliance Française of
Hawaï tenor Damien Top returned to Honolulu with a great bouquet of
flowers: a program of French music which offered an original itinerary
through “the garden of charm and enchantment”. This title refers to an
art song (mélodie) by Ernest Chausson. The concert took place on April
30th in the Atherton studio of KHPR radio (Hawaii Public Radio) in
Honolulu, before a select audience which was fortunate to discover a
number of remarkable poets and very fine composers. Some of these poets
and composers are well-known, others not at all, even in France. Most of
these songs were heard for the very first time in the US. Mr. Top was
accompanied by pianist Eric Schank, who plays regularly for the Hawaï
Opera Theatre.
The promenade began deep in the countryside, passing from medieval
gardens to modern ones, the garden in flower slowly changing into a
space for reflection, a lovely ideal. From the very first notes of
Albéric Magnard’s “Nocture”, the listener was lifted into a rarified
poetic and musical universe of contemplation. The singer’s voice began
pianissimo, in a perfect legato, before building up to the spectacle of
trees mirrored in the moonlit river. His interpretation, enhanced by a
pianist attentive to vocal inflections, closely matched the composer’s
intentions and immediately set the tone for the entire recital. « Le
Jardin de notre sœur Claire » (Our Sister Claire’s Garden) by Jacques
Chailley describes a monastic garden in a language notable for its
bi-tonality. Raoul Laparra’s « En regardant ces belles fleurs » (While
Looking at These Lovely Flowers) illustrates Charles d’Orléans’ text
with disarming simplicity. Eric Schank lent a lovely fluidity to the
virtuosic accompaniment of Blanche Selva’s mélodie. There followed two
small gems of poems by Jacques Prévert set to music by Vincent Wimart.
The public was immediately won over to these two songs, both serious and
intense. During this first part of the program, we heard one mélodie
interpreted by its own composer: Damien Top in “Cher Jardin” (Dear
Garden) mixed word and song in a successful combination that unfurled in
slow waltz time.
French mélodie is a subtle genre in which the word matters as much as
the music. In this sense, the tenor’s clarity of diction constitutes an
important asset, as it enhances the musical setting of the text. After a
short intermission, we heard Maurice Thiriet’s “Les Roses”, a nostalgic
song in a modal atmosphere typical of the composer who wrote the music
for the film “The Night Visitors”. Albert Roussel found an eloquent
champion in Damien Top, who presented the composer’s “Jardin mouillé”
(Drenched Garden) with consummate artistry and admirably precise
nuances. The operatic passages of Fernand de La Tombelle’s « Rondel
d’automne » alternate to excellent effect with whispered passages,
making one think of Massenet, that master of French opera. Another
important discovery was Louis Brisset, who managed to convey remarkable
subtlety in his harmonic handling of “Aux jardins idéals” (In Ideal
Gardens). This song deserves to figure regularly in art song recitals,
its fine quality worthy of the best of Berlioz (“Le Spectre de la
rose”). The audience, unwilling to break the spell cast by these
gardens, called the artists back for two encores, the well-known
“Chanson d’automne” by Reynaldo Hahn (poem by Paul Verlaine), and “Ku’u
Pua I Paoakalani” (The Flower of Paoakalani), a work by Queen
Lili’uokalani, the last sovereign of Hawai`i. This last, naturally, was
sung in Hawai`ian, since Mr. Top is a long-time enthusiast of the
Hawai’ian Isles who delights in honoring the local musical tradition.
Each member of the audience must surely have come away with a favorite
from among this glowing bouquet of gardens. For our part, there were
two: Magnard’s splendid “Nocture” and “Le Jardin” by the young Vincent
Wimart, currently professor of music in Arras, who perfectly captured in
music the spirit of Prévert. We hope that Mr. Top, among his multiple
activities as singer, composer, musicologist, and director of the Centre
International Albert Roussel, will be able to add a new CD to the
series he has long directed. For the garden of charm and enchantment
that he presented, by its unexpected originality and its fine quality,
surely deserves to be immortalized. Kathryn Klingebiel (University of
Hawaii at Mānoa)