Compte rendu, opéra, Lyon, jeudi 8 février 2018. Janáček : Journal d’un disparu. Valešová / v. Hove. Un garçon, Janik, tombe amoureux d’une jeune tzigane, Zefka. Après bien des doutes et des tiraillements avec son père, il décide de quitter son village, de renoncer à toutes ses racines pour suivre celle qui porte leur enfant, pour une vie d’errance et d’aventure. Lorsqu’il s’empare du poème, Janáček s’est épris de Kamila Stösslová, de 38 ans sa cadette, mariée de surcroît, et cet amour interdit nourrit son inspiration. Dans son esprit, Kamila et la « noire Tzigane » du Journal d’un disparu se confondent. Il fait siennes l’histoire du jeune paysan et sa lutte pour s’affranchir des barrières sociales, religieuses et raciales. Et, s’il fait triompher l’amour sur la morale bourgeoise, en terminant le cycle par un adieu et un départ vers une vie nouvelle, c’est au prix de bien des hésitations et d’un grand trouble.
Les 22 poèmes, d’une langue naïve voire crue, sont articulés en sept tableaux, rythmés par des silences éloquents. Le cycle de mélodies se trouve légitimement porté à la scène dans la mesure où Janáček en a réglé la dramaturgie et donne des indications précises sur l’éclairage qui doit l’accompagner, prouvant qu’il la considère, en fait, comme un opéra de chambre et qu’il la rattache, plus généralement, au théâtre musical.
« Il fallait donner à cette histoire, un contexte », explique le metteur en scène Ivo van Hove. « Un vieil homme contemple, impuissant, la grande passion de sa vie ; un jeune amoureux devient étranger en son propre pays – situation qui rappelle celle des réfugiés forcés de partir pour survivre. Mettre en scène cette œuvre m’est apparu très naturel tant cette langue réaliste, presque bâtarde, est celle d’un théâtre de la vie. Je suis bien sûr parti de la partition mais me suis aussi imprégné de l’intense correspondance échangée par Janáček avec Kamila, et j’ai ajouté un reflet contemporain, la musique d’Annelies Van Parys. C’est l’ensemble de ces composantes qui permet de donner une résonance actuelle à une histoire marquée par l’esprit européen du début du siècle passé ». L’histoire passe ainsi de la fin du XIXe rural aux années soixante-dix, le laboureur devient photographe, choix particulièrement pertinent puisqu’il permet à la mise en scène de recourir à l’imagerie argentique, fixe ou animée. Nous sommes dans un appartement dont une moitié (côté jardin) est un laboratoire photographique professionnel, parfaitement équipé (agrandisseur, bains, tireuse, rétroprojecteur permettant de choisir les clichés sur les planches de contacts etc.), et dont l’autre partie, à vivre, comporte un canapé, un piano sur lequel trône un magnétophone à bande, et un projecteur 8 mm, avec des tapis au sol. Le recours à l’image de la Tzigane (du portrait, au nu animé), complémentaire à sa présence réelle, va permettre la traduction la plus vivante des pensées de Janik.
Avant leur première rencontre, troublante, le metteur en scène nous familiarise au thème musical de façon astucieuse. Une voix enregistrée dicte à la jeune femme comment jouer une suite de notes avec un seul doigt sur le clavier, puis y ajoute le rythme pour enfin délivrer le texte. Malgré la concision de l’ouvrage (1 h 30 sans entracte) la variété des climats, des mélodies interdit d’en rendre-compte de façon détaillée. Le premier rôle est celui du narrateur, Janik, qui nous livre sa confession. Zefka, presque toujours présente ne chante que ponctuellement. Trois sopranes, le chœur qui commente et accompagne, ne seront visibles qu’aux saluts. La force du langage musical de Janáček et de la dramaturgie nous captivent. La partition est splendide et Lada Valešová est une merveilleuse pianiste à laquelle nous sommes redevables de tant de bonheur. Qu’il s’agisse d’évoquer la luxuriance de cette nature si chère au compositeur, la violence de la passion ou les doutes du jeune homme, la palette est très large, proche de la langue de La petite renarde rusée. Peter Gijsbertsen est un valeureux ténor, dont la maîtrise vocale et dramatique nous émeut. La voix est claire, projetée à souhait. Elle sait se faire caressante comme véhémente. Marie Hamard, que l’on découvre dans cette production, est un splendide mezzo, chaleureux, aux graves solides et à l’émission toujours naturelle. Les trois sopranes s’accordent à merveille pour donner les couleurs requises à leur accompagnement. Un acteur incarne le père avec toutes les qualités dramatiques souhaitables. La production de Muziektheater Transparant rayonnera dans toute l’Europe et n’appelle que des éloges.
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Compte rendu, opéra, Lyon, Opéra de Lyon – TNP de Villeurbanne, jeudi 8 février 2018. Leoš Janáček : Journal d’un disparu. Lada Valešová / Ivo van Hove. Crédit photographique © Jan Versweyveld
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