COMPTE-RENDU, Festival. LILLE PIANO(S) FESTIVAL 2018. Lille Piano(s) Festival a déroulé sa 15ème édition les 8, 9 et 10 juin, investissant ses lieux habituels dans la capitale des Flandres – le Nouveau Siècle, le charmant auditorium du conservatoire, la gare Saint-Sauveur – mais aussi, nouveauté cette année, la salle des moines de l’abbaye de Vaucelles à proximité de Cambrai, sur les rives de l’Escaut. Voyageur, classique et audacieux à la fois, il a rassemblé une palette d’artistes venus de tous les horizons géographiques et musicaux, comme AndreÏ Korobeinikov, Cédric Pescia, Nicolaï Lugansky, Aleksandar Serdar, Abdel Rahman El Bacha, Iddo Bar Shaï, David Kadouch, pour ne citer qu’eux.
La musique est partout en même temps à Lille Piano(s) Festival, et la concentration de concerts oblige au choix évidemment parfois frustrant. Les pianos sont partout aussi, sur scène, mais également sur les lieux de passage dans le Nouveau Siècle, en « libre service », et les festivaliers jeunes et moins jeunes ne se privent pas d’y toucher, esquissant à l’envi une improvisation, une « Tempête » de Beethoven, ou un « Rêve d’amour »…
Lille Piano(s) Festival 2018
Lille à l’heure du Piano
Parmi les multiples temps forts, on évoquera quelques concerts marquants, ou étonnants, comme celui du pianiste José Menor, qui interpréta pendant une heure vingt, débordant l’heure dévolue, l’œuvre intégrale du compositeur Hèctor Parra. Pour le coup il fallait oser une telle immersion, l’ »infliger » à un public, peu nombreux mais attentif. Un matériau sonore travaillé dans la masse, dans la texture, des jaillissements virtuoses, un monde oscillant du tellurique au cosmique, tel est l’univers musical d’Hèctor Parra, qui donna, entre nous, bien du fil à retordre à la tourneuse de pages!
Plus tard dans la fin d’après-midi, l’interprétation du concerto n°19 en fa majeur K. 459 de Mozart par Iddo Bar Shaï, toute en sensibilité, en tendresse, en poésie, souffrit de la direction d’Arie van Beek, beaucoup moins subtile, et surtout peu à l’écoute du soliste, l’Orchestre de Picardie étouffant souvent le piano. Abdel Rahman El Bacha toujours souverain dans Chopin donna le meilleur de lui-même dans son premier concerto et pâtit beaucoup moins d’une partition orchestrale plus en retrait.
Nicolaï Lugansky donna deux concerts. Le premier en solo avec une sélection de préludes de Rachmaninov précédée de la suite Bergamasque de Debussy, et de la Barcarolle opus 60 de Chopin. Il est chez lui avec le compositeur russe, qu’il interprète avec sobriété et profondeur, dans la clarté de l’écriture polyphonique, dont il dessine les contours avec tact et élégance. Ses Debussy sont baignés de lumière, y compris le Clair de Lune, irradiant comme en plein jour: on y cherchera en vain le mystère, mais ses couleurs sont fort belles. Tout comme celles de la Barcarolle, jouée droite et à vive allure, solaire, mais sans sa dimension nocturne. Le second concert avait lieu le lendemain, en duo avec le pianiste Vadim Rudenko. Un véritable coup de cœur! Au programme, la suite n°2 d’Arensky épatante de joie, de fantaisie et pétillante de caractère, la Valse de Ravel vertigineuse de rapidité, tendue d’un bout à l’autre, exaltée, extatique, et enfin la suite n°2 de Rachmaninov dans une énergie comme on l’a rarement entendue, bouillonnante, à la force soulevante! Les doigts en fusion, ils donneront en bis le Libertango de Piazzolla, tout aussi bouillant.
Ambiance nocturne et paix du soir avec le récital ô combien contrastant de Guillaume Coppola intitulé « Musiques du silence ». La nuit est tombée, les rangs des festivaliers se sont un peu éclaircis, il est 22 heures. Le piano tourne le dos cette fois au parterre. Lumière bleutée, scène sous des étoiles imaginaires…le public s’installe sur les gradins de la scène, certains sur des poufs ou des coussins prennent leurs aises, les jambes étendues.
Très joli programme sous les doigts fins et sensibles de Guillaume Coppola, laissant la place au silence – et à la méditation – avec des œuvres choisies de Mompou (Música Callada) Ravel, Satie, Debussy, Scriabine et Takemitsu. Une superbe parenthèse poétique dans ce festival, temps très apprécié de partage et d’intimité où chacun se retrouve aussi un peu avec lui-même, les yeux clos ou, sereins, posés sur la silhouette blanche du pianiste.
C’est dimanche. Et le dimanche matin, c’est Bach, forcément. On ne s’en étonnera guère de la part de la direction artistique. L’activité dominicale c’est aussi le sport, et les deux alliés, cela donne un marathon Bach, avec l’intégrale du Clavier bien tempéré, joué par l’excellent coureur de fond Cédric Pescia, qui donna le premier livre la veille. On entendit le second ce dimanche, dans l’auditorium du conservatoire. Le pianiste franco-suisse enchaîna avec une conviction sans faille et une autorité non dénuée d’un sens chaleureux du discours et du chant les préludes et fugues, telle une œuvre-fleuve. L’écoute fut recueillie et fervente, dans cette immersion cette fois baroque. Chapeau bas à l’artiste, dont on attend avec impatience la parution du CD.
Aleksandar Serdar, pianiste venu de Serbie, fut une découverte. Sa Chaconne de Haendel fut d’une beauté à couper le souffle: noblesse de ton, souplesse des lignes, ornements magnifiquement réalisés, conduite du chant…tout y était. Suivaient quatre sonates de Scarlatti, interprétées avec délicatesse, pudeur même, et virtuosité par ce pianiste à la stature granitique. Sa sonate « Appassionata » de Beethoven d’une fougue incroyable restera dans les mémoires, mais pas tant sa quatrième Ballade de Chopin, abordée par trop frontalement avec des attaques écrasantes dans les passages forte.
Vint le concert de clôture, réunissant de nouveau deux solistes et l’Orchestre de Picardie, cette fois sous la direction de Jean-Claude Casadesus. Une soirée éclatante, avec David Kadouch au jeu brillant et raffiné, parfaitement à sa place dans le deuxième concerto de Saint-Saëns, et le jeune et très prometteur Alexander Ullman – encore une découverte – vainqueur du Concours Franz Liszt, très convainquant dans le deuxième concerto de Liszt. On apprécia d’entendre l’orchestre dans un parfait équilibre avec le piano, que l’on doit à l’écoute finement aiguisée et certainement aussi à cette forme d’approche chambriste dont Jean-Claude Casadesus a le secret et la maîtrise.
En trois jours, Lille Piano(s) Festival aura comblé 15000 mélomanes, auxquels il est d’ores et déjà donné rendrez-vous pour sa 16ème édition. Illustrations : © Ugo Ponte pour ONL / LILLE PIANO(S) Festival 2018