vendredi 19 avril 2024

COMPTE-RENDU, critique, récital. PHILHARMONIE DE PARIS, le 23 av 2019. Nicholas Angelich, piano. Beethoven, Brahms, Ravel.

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ANGELICH nicholas-angelich-cjean-franois-leclercq---eratojpgCOMPTE-RENDU, critique récital. PHILHARMONIE DE PARIS, le 23 av 2019. Nicholas Angelich, piano. Beethoven, Brahms, Ravel. Un lendemain de Pâques n’est pas forcément le meilleur jour pour déplacer le public parisien à un concert, quand bien même pour y écouter Nicholas Angelich. Le 23 avril, on aurait aimé une salle Pierre Boulez fourmillante pour un artiste de cette stature. Mais voyons la coupe à moitié pleine! Celle d’un auditoire qui redoubla de chaleureux applaudissements après une Valse de Ravel comme on l’a rarement entendue, et comme on ne l’entendra probablement jamais ainsi. Auparavant, Beethoven et Brahms en annonçaient déjà la couleur. Nicholas Angelich arrive sur scène la mine grave. Quelques chose semble assombrir ses pensées. Cela n’est peut-être qu’une impression, mais elle ne nous quitte pas jusqu’au terme du concert. Son regard paraît tourné en lui, et ce qu’il donne de la musique ce soir-là a les reflets de cet état intérieur palpable. Si ses Brahms et la Valse vont nous bouleverser, nous ébranler tout autant que nous fasciner, la Sonate n°12 opus 26 de Beethoven, dite « Marche Funèbre » par laquelle il commence, laisse dubitatif. D’abord parce que le piano est faux: cela saute aux oreilles dès les premières notes, dans ce médium du clavier.

Nicholas Angelich dans les profondeurs de Brahms et Ravel

Est-ce cela qui trouble notre musicien? Toujours est-il que son jeu hésite, à l’énoncé du thème, entre affectation et retenue, entre aveu et pudeur, dans une solennité craquelée ça et là, prête à céder à l’épanchement émotionnel, sans vouloir finalement basculer dedans. Ce qui est assez frappant c’est qu’il tourne cette sonate vers celles plus tardives, voire vers les derniers quatuors à cordes! Elle appartient pourtant au cycle des premières, bien que Beethoven y torde la forme héritée de Haydn, ou de Mozart, avec ce patchwork de variations contrastées parfois très éloignées du thème, et les unes des autres. Nicholas Angelich en teinte les contours avec tendresse, que ce soit dans la raréfaction des notes de la quatrième (écrite comme du Webern avant l’heure!), ou dans les triolets de la cinquième, où l’on croirait presque entendre Schumann! La marche funèbre (troisième mouvement: « Maestoso andante, marcia funebre salle morte d’un eroe ») au ton grave et solennel s’insère entre un scherzo et le finale où l’abondance de pédale donne à l’écoute l’impression d’un halo sonore qui, s’il se justifie dans le dernier mouvement de la « Waldstein » par exemple, sans nuire à la clarté du discours, voile un rien la joie prompte et volubile de l’allegro, en rabat quelque peu les couleurs, comme si notre pianiste s’interdisait toute légèreté d’âme.

Les quatre Ballades de Brahms, Nicholas Angelich les porte en lui et sur scène depuis longtemps. Ce soir, il nous plonge dans leurs paysages intérieurs, leur exotisme nordique, nous les conte comme des légendes, comme revenu d’un grand voyage. Est-ce lui qui les forge ainsi, ou elles qui l’ont transformé, imprégné? Nul ne saurait dire tant son intimité avec cette musique est totale. Il en habite leurs espaces et leur temps, avec un tel naturel, avec une telle profondeur et une telle vérité, que ces ballades semblent un prolongement de lui-même. La première est sombre et inquiétante, il étire le temps dans la seconde hors sol tant les basses y sont sans poids, mais présentes, lui donne une poignante longueur de son dans le grave, souligne l’atmosphère fantastique et éminemment poétique de la troisième, intranquille, aux pianissimi surnaturels, déploie la quatrième dans une phrase sans fin, douce comme une aile d’ange, quasi fauréenne, et y laisse planer le mystère de ses longs silences. L’entracte vient les séparer des deux Rhapsodies opus 79 qui ouvrent la seconde partie. La première au contraste marqué entre le début, passionné, et le milieu où le pianiste suspend le temps, laisse place à la seconde qui prend une allure de marche funèbre, bridée et déprimée. Curieusement, on n’y entend pas cet élan héroïque et cette volonté qui caractérise son début. Annonce-t-elle le glas de la Valse de Ravel, qui suit? Quelle Valse! Le piano se mue en grand orchestre, et Angelich joue des masses de ses registres. Plus fantasmagorique que jamais, des visions fugitives s’en échappent. Le pianiste-sorcier fait apparaître et s’évanouir les bribes de souvenirs viennois dans des gouffres mortifères, de noirs abîmes qui donnent le frisson. Son jeu est en perpétuel mouvement, dans le vertige de ses nappes sonores – les notes sont à peine perceptibles – qui volent et s’entrelacent, jusqu’à s’entrechoquer, jusqu’à la dislocation finale. On est porté par leurs vagues qui nous feraient chavirer à chaque seconde, à nous faire oublier le confort du fauteuil d’orchestre. Oublié aussi l’accord fatigué du piano, le piano lui-même. Sortis du tourbillon, du rêve éveillé, on réalise alors que l’on vient de vivre un moment exceptionnel, une expérience musicale inouïe, avec le sentiment que jusque-là la Valse au piano n’avait pas tout dit!

Illustration : N Angelich / © JF Leclercq ERATO

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