jeudi 18 avril 2024

Compte-rendu critique, opéra. Madrid, Teatro Real, les 10 et 11 mars 2018. VERDI: Aida… Nicola Luisoetti / Hugo de Ana

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giuseppe-verdi_jpg_240x240_crop_upscale_q95Compte-rendu critique, opéra. Madrid. Teatro Real, les 10 et 11 mars 2018. Giuseppe Verdi : Aida. Liudmyla Monastyrska / Anna Pirozzi, Gregory Kunde / Alfred Kim, Violeta Urmana / Ekaterina Semenchuk, George Gadnidze / Gabriele Viviani, Roberto Tagliavini / Rafal Siwek. Nicola Luisoetti, direction musicale. Hugo de Ana, mise en scène. Par notre envoyé spécial à Madrid, Narciso Fiordaliso. Décidément, le public lyrique espagnol peut se vanter d’être l’un des plus chanceux au monde. Quel autre pays permet aujourd’hui de profiter simultanément de trois distributions de niveau mondial dans Aida de Verdi? Le Teatro Real de Madrid a relevé ce défi un peu fou, et le pari s’avère pleinement gagné. Nous avons assisté à deux magnifiques soirées dont le souvenir nous hantera longtemps. Pour célébrer son 200e anniversaire, la maison madrilène a choisi de rendre hommage à l’une de ses productions phares durant ces vingt dernières années: celle imaginée en 1998 par Hugo de Ana. Misant surtout sur des décors monumentaux et des projections de bas-reliefs, la scénographie rutilante et limpide se révèle très agréable à regarder, mais la direction d’acteurs fait souvent défaut, les chanteurs semblant livrés à eux-mêmes.
La première représentation se révèle clairement dominée par Radames et Ramfis. Le premier trouve en Gregory Kunde un interprète de choix, sans doute l’un des meilleurs actuellement. Jamais à court de vaillance et de musicalité, le ténor américain fait preuve d’un engagement sans faille, électrisant comme lui seul sait l’être, et délivre notamment un « Celeste Aida » magnifique, couronné par un splendide si bémol aigu diminué. Du grand art.

 
 
 

Heureux mélomanes madrilènes

 
 

Le second, campé avec une grande noblesse par Roberto Tagliavini, se révèle impérial de bout en bout, émission vocale somptueuse et diction superlative.
Percutante Amneris, Violeta Urmana paraît parfois un peu à la peine dans les aigus mais s’avère toujours efficace, très solide dans une certaine tradition, déployant à l’envi un grave terrible et totalement jouissif.
Un peu à l’étroit dans le personnage d’Aida, Liudmyla Monastyrska fait valoir une puissance vocale dévastatrice autant que des piani superbes, mais demeure dramatiquement assez placide, peu engagée et sacrifiant souvent le texte au profit du seul son. Derrière son esclave éthiopienne, on devine trop souvent l’Abigaille et la Lady Macbeth qui ont fait sa renommée, d’où une émotion qui peine à poindre. Mais la chanteuse demeure à saluer.
Amonasro vengeur, George Gagnidze fait éclater le métal sonore de sa voix, perpétuant le souvenir des grands interprètes du rôle.
Lors de la représentation du lendemain, la donne se révèle inversée, Aida et Amneris emportant littéralement tout sur leur passage. La première est servie par une Anna Pirozzi des grands soirs, bouleversante de bout en bout, immense artiste. La soprano italienne trouve avec ce personnage peut-être l’un de ses plus beaux rôles, dans lequel elle peut jouer pleinement de ses dons de musicienne, avec un sens du texte rare et une justesse inouïe dans l’incarnation. Princesse et esclave tout à la fois, elle sait merveilleusement rendre les deux aspects de la jeune femme et les déchirements qui l’animent. Le sommet de la soirée est atteint avec un air du Nil extraordinaire de sincérité, véritable leçon de legato, de portamenti, de piani, en un mot : de chant verdien. Merci, Madame.
La seconde ondoie sous les courbes vocales somptueuses d’Ekaterina Semenchuk. En effet, la mezzo russe déploie tout le velours de son instrument, admirable de rondeur et d’élégance, pour dépeindre de la fille de Pharaon un portrait plus attachant que de coutume. Davantage amoureuse que vipérine, la jeune femme apparait profondément victime de ses sentiments pour Radames, à tel point qu’on finit par la plaindre sincèrement. Aigus splendides, graves somptueux et nuances d’une finesse rare, on ne sait qu’admirer le plus chez cette grande interprète.
Un peu monolithique, le Radames solide d’Alfred Kim remplit son rôle avec les honneurs, dardant un aigu tellurique et osant même de très belles nuances à la fin de l’œuvre. Excellent Ramfis, Rafal Siwek incarne son personnage avec toute l’autorité nécessaire. Très convaincant, Gabriele Viviani tire le meilleur de l’écriture d’Amonasro, trouvant ici son terrain d’élection.
Très bien distribué également, le jeune Roi plein de fierté de la basse américaine Soloman Howard, qui fait chatoyer un timbre de bronze.
Dans le court rôle du Messager, quelques phrases suffisent au jeune ténor Fabián Lara pour attirer l’attention sur la beauté de son timbre et la franchise de sa projection. Depuis les coulisses, la Prêtresse de Sandra Pastrana laisse une impression des plus favorables.
Superbe de nuances et d’engagement, le chœur maison n’appelle que des éloges. Enfin, on salue un orchestre somptueux, conduit de main de maître par Nicola Luisotti qui aime cette musique et le fait savoir, en parvenant à ne jamais relâcher la tension du drame, tout en soutenant magnifiquement les chanteurs.
Deux soirées d’exception, dont on sort pleinement heureux d’avoir pu s’enivrer de tant de belles voix en moins de 24 heures.

 

 
 

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Madrid. Teatro Real, 10 et 11 mars 2018. Giuseppe Verdi : Aida. Livret d’Antonio Ghislanzoni. Avec Aida : Liudmyla Monastyrska / Anna Pirozzi ; Radames : Gregory Kunde / Alfred Kim ; Amneris : Violeta Urmana / Ekaterina Semenchuk ; Amonasro : George Gagnidze / Gabriele Viviani ; Ramfis : Roberto Tagliavini / Rafal Siwek ; Il Re : Soloman Howard ; Il Messagiero : Fabián Lara ; Una Sacerdotessa : Sandra Pastrana. Chœur du Teatro Real ; Chef de chœur : Andrés Máspero. Orchestre du Teatro Real. Direction musicale : Daniel Oren. Mise en scène, décors et costumes : Hugo de Ana ; Lumières : Vincio Cheli ; Chorégraphies : Leda Lojodice. Par notre envoyé spécial : NARCISO FIODALISO

 
 

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