jeudi 18 avril 2024

COMPTE-RENDU, concert. VERBIER FESTIVAL, le 22 juillet 2019. ARCADI VOLODOS, piano. Schubert, Rachmaninoff, Scriabine. 

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COMPTE-RENDU, concert. COMPTE-RENDU, concert. VERBIER FESTIVAL, le 22 juillet 2019. ARCADI VOLODOS, piano. Schubert, Rachmaninoff, Scriabine.  Le 22 juillet à Verbier: ciel limpide et bleu où flottent quelques beaux nuages. Temps idéal pour prendre la télécabine et monter là-haut, à 2300 mètres, et marcher sur le chemin de la Chaux qui domine les Combins. Là-haut le silence et l’air léger ne font qu’un. Un babillage d’oiseau, le frôlement d’un frelon, l’infime souffle de la brise: un silence nourri de vie et de paix. Du haut des Ruinettes, on aperçoit l’église. Dans l’église, il y aura tout à l’heure la musique, comme chaque soir. Mais ce soir, il y aura aussi le silence : Arcadi Volodos en sera l’artisan et le poète.

 

 

ARCADI VOLODOS SUR LES CIMES DU SILENCE

 

arcadi-volodos-362x242Bientôt vingt heures: le public se presse dans l’église. Les lumières s’éteignent; au-dessus de la scène, seulement une « douche » en veilleuse. L’ombre d’Arcadi Volodos se dirige vers le piano. Est-ce bien lui? Impossible de lire son visage…Va-t-il pouvoir jouer ainsi, dans le noir? Les interrogations s’évanouissent rapidement. L’accord  de mi majeur et les arpèges de la première sonate D 157 de Schubert surgissent de la pénombre. (Volodos est l’un des rares pianistes à jouer cette sonate en concert, qu’il a enregistrée il y a quelques années). Il n’y a rien à voir, semble-t-il nous dire, surtout pas lui, mais tout est à écouter: la lumière jaillit des notes, de la musique de Schubert, de la radieuse humeur de cette sonate si légère et limpide comme l’air de la montagne! On les attendait secrètement: voici ses légendaires pianissimi; ils arrivent sur un tapis de velours, et le piano chante doucement, nous fredonne à l’oreille. L’andante est fait de trois fois rien dont certains pianistes ne tireraient rien, pas Volodos. Lui, il nous arrache des larmes avec rien, avec trois accords, et surtout avec le silence: il le met au cœur-même des notes, il en fait l’essence de la musique. Pour autant il bâtit, il conduit les phrases, il nous dit: « venez par ici avec moi, pardon, avec Schubert!». Quel que soit le tempo, Volodos, musicien-magicien, a ce don exceptionnel de savoir jouer de l’illusion: comment agit-il sur la touche pour produire cette longueur de son miraculeuse? Il semble dans le déni du piano et de sa mécanique, ignore les marteaux, le métal des cordes. Lorsque le commun des pianistes pense: « c’est impossible, le piano ne le permet pas », lui le fait. Et il serait vain de vouloir percer son secret. Car c’est ainsi qu’il nous touche, au plus intime de nous-même, avec cet andante de Schubert. Il habille d’une fougue beethovenienne le menuetto allegro vivace qui termine la sonate, mais dans la promptitude du rebond de ses doigts sur le clavier, qui donne un air de danse allemande au trio central. L’émotion ira crescendo avec les six Moments musicaux D 780 de Schubert. Du premier « Moderato » où il semble accrocher les notes à un fil de soie, doucement interrogatif, au dernier « Allegretto », dramatique et impérieux, en passant par le bouleversant et inoubliable « Andantino », l’ « Allegretto moderato » moins hongrois qu’il n’est de coutume, et l’ « Allegro vivace » au rythme obsessionnel d’une chevauchée préfigurant Erlkönig, Volodos nous place avec Schubert, en face de notre propre intériorité, de notre propre humanité, et pour cela aussi s’efface de notre vue, s’efface tout court, en humble passeur de la musique.

La deuxième partie est russe, avec Rachmaninoff d’abord. Le son d’airain du premier accord du Prélude opus 3 n°2 ébranle l’église et nous saisit. Volodos sait aussi bien timbrer les forte, les graves, sans les alourdir ni les rendre durs. Les accords sont pleins et longs, sublimés par une pédale mise à bon escient, le chant de la main gauche est magnifique de profondeur et de noblesse. Le Prélude opus 23 n°10 commence à pas doucement feutrés dans la beauté des timbres, puis s’épanouit dans  la clarté des accords arpégés, et finit sur deux accords comme sur deux mots de tendresse. Le Prélude opus 32 n°10 par son rythme et la profonde mélancolie de ses harmonies vient, au début, en écho au second moment musical de Schubert, comme une fausse réminiscence. Mais l’éclairage change, s’assombrit, et Volodos fait sonner les graves comme des glas, soutient encore dans une longueur de son impressionnante le crescendo de la ligne forte puis fortissimo. C’est par un imperceptible amorti avant l’ « attaque », qu’il obtient cette expansion du son, ronde et large, à laquelle il laisse tout son espace, d’où s’échappent les pianissimi évanescents de la main droite, dont on n’entend plus les notes, mais le mouvement d’un voile. Puis Volodos semble improviser la Romance opus 21 n°7 (arrangement de son cru), qui charme par son romantisme délicat, et enchaîne l’hispanisante Sérénade opus 3 n°5 subtilement accentuée. Le tour d’horizon Rachmaninoff s’achève avec l’Étude-tableau opus 33 n° 3, dont il révèle le miracle: quels silences, quels beaux timbres, quel sentiment de paix à son écoute, d’une paix que rien ne pourrait atteindre!

Elle nous conduit tout droit à Scriabine : à nouveau six pièces, avec l’impalpable Mazurka opus 25 n°3 faite de rien, Caresse dansée opus 57 n°2 dans son halo de pédale, énigmatique comme un rêve, Énigme opus 52 n°2, spirituel et insaisissable, la fantasmagorie de Flammes sombres opus 73 n°2, l’onirique Guirlandes opus 73 n°1 où la musique semble se dissoudre dans la poudre de ppp incroyablement doux. Le récital culmine avec Vers la flamme opus 72: le musicien nous fait entrer dans le brasier de ses trilles, trémolos et accords incandescents, emplit l’église de son éblouissante et vertigineuse densité. Nous vivons avec lui sa vibration ultime, puissante, concentrée, à son paroxysme, sur des cimes plus hautes que les pics contemplés auparavant. Quelle expérience! Enfin la lumière rétablie éclaire le visage du pianiste: Schubert, Rachmaninoff, Scriabine étaient là ce soir. Volodos aussi, bel et bien. La douceur de son sourire et les étoiles de ses yeux nous l’affirment!

 
 
Crédit photo: © Marco Borggreve

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