C’est un programme pour le moins éclectique que dirige le chef français Pascal Rophé – à la tête de l‘Orchestre National des Pays de la Loire qu’il dirige depuis 2014 – avec des œuvres de Mozart, Wagner et Poulenc. D’abord donné à la Cité de Nantes, c’est au Centre des Congrès d’Angers, à l’acoustique très satisfaisante, que nous assistons à ce concert donné en partenariat avec Angers Nantes Opéra. Après la mise en bouche que constitue le Divertimento pour cordes K. 136 de W. A. Mozart, joué avec un allant et une allégresse bienvenus, chef et orchestre s’attaquent à l’ouvrage symphonique de Wagner intitulé « Siegfried Idyll ». Ensemble, ils abordent cette page extraordinaire avec un souci tout chambriste, fuyant prudemment tout effet de masse, avec des phrasés chaleureux et sensuels, ainsi qu’un rubato très expressif. Rophé tire des sonorités pleines et généreuses de cordes particulièrement moelleuses, qui forment un beau tapis dont émergent des bois saillants et des cors très inspirés.
Mais le « plat de résistance » de la soirée est bien cette « Voix humaine » interprétée par la soprano française Karen Vourc’h. Le superbe monologue de Jean Cocteau, créé à la scène par Berthe Bovy, puis mis en musique par Francis Poulenc et créé par Denise Duval en 1959, impose à son interprète quarante-cinq minutes de lamento solo, à mi-chemin entre la diction et le chant. C’est donc à un exercice sans filet (puisque sans partenaire) que se mesure la cantatrice qui interprète le rôle de la Femme, pour lequel des dons de comédienne sont tout autant nécessaires que des qualités de chanteuse. Karen Vourc’h se montre ici à la hauteur de nos attentes, réalisant un très beau moment de théâtre. Au cours de la soirée, la chanteuse semble adapter une partition, somme toute malléable, à sa propre sensibilité. La voix déploie toute une gamme subtile de nuances (les plaintes épousent le cri de douleur sans jamais être hurlées, les confidences mezza voce s’avèrent d’une exquise suavité) et offre un chant parfaitement maîtrisé. Si quelques mots se perdent dans les moments de douleur, l’émotion est, quant à elle, constamment présente, comme surgissant du plus profond d’elle-même. La cantatrice campe très habilement son personnage : une femme séduisante, jetée au bord du gouffre par son amant, mais capable de masquer sa souffrance, de faire face avec élégance. Ni hystérie (il faut voir, dans ce registre, Anna Magnani se rouler par terre sous la caméra de Roberto Rossellini), ni mièvrerie (le texte de Cocteau accuse quand même de sacrées rides). Cette femme « rompue » telle que Vourc’h nous la restitue appartient à toutes les époques, à toutes les douleurs, et symbolise toutes les séparations.
La soprano étant seule en scène, il est normal que la réussite de la soirée tienne avant tout de sa présence et de son chant. Mais il convient de mentionner également la mise en espace de Catherine Dune, qui fait évoluer son héroïne comme si elle marchait dans un rêve, avec une vraie économie de gestes. De son côté, Pascal Rophé sait trouver les couleurs nécessaires pour suggérer la détresse insoutenable de la bouleversante partition de Poulenc. Une bien belle soirée !
Compte-rendu, concert. Angers, Centre des Congrès, le 19 mai 2016. Wolgang Amadeus Mozart : Divertimento pour cordes K. 136 ; Richard Wagner : Siegrfried Idyll ; Francis Poulenc : La Voix humaine. Karen Vourc’h (soprano). Catherine Dune (mise en espace). Orchestre National des Pays de la Loire. Pascal Rophé (direction).