vendredi 29 mars 2024

Compte rendu, concert. Abbaye de Noirlac (Cher), le 8 juillet 2017. Jean Gilles. Jean-Marc Andrieu / Les Passions, Les Eléments

A lire aussi

Compte rendu, concert. Abbaye de Noirlac (Cher), le 8 juillet 2017. Jean Gilles, Litanies et Messe des morts. Jean-Marc Andrieu / Les Passions, et le chœur de chambre Les Eléments. On connaît la passion que nourrit de longue date Jean-Marc Andrieu pour la musique française du Grand Siècle. Infatigable chercheur, réalisateur,  animateur de son ensemble « Les Passions », les occasions de l’écouter sont pourtant rares sous les latitudes septentrionales. Probité et humilité n’intéressent guère les médias standardisés, plutôt friands d’anecdotes. Comme ceux qu’il sert si bien, il est provincial et n’en rougit pas. Mais qui n’allait à Versailles et ne recevait l’onction du Souverain ou de quelque Grand, n’avait droit, au mieux, qu’à une forme de condescendance bienveillante, trop souvent entachée de dédain. La France, plus centralisée que jamais… aurait-elle si peu changé ?

 
 
 

NOIRLAC les passions GILLES thumbnail_Lamentations-8-07-2017-Noirlac

 

 

L’Abbaye de Noirlac (dans le Cher), joyau de l’art cistercien, offre un cadre parfaitement approprié au programme réalisé par Les Passions, le chœur de chambre Les Eléments et les solistes les plus familiers de l’œuvre de Gilles. Alors que l’on pouvait redouter une réverbération excessive, un dispositif acoustique d’excellence a favorisé une écoute précise, claire et équilibrée à souhait.
Les Lamentations ne sont autres que les trois premières leçons de ténèbres, destinées à la
Semaine sainte. Nées en Italie, au moment où la monodie accompagnée va supplanter la polyphonie, elles  ont gagné la France. Mais, à la différence de la plupart de ses prédécesseurs et contemporains, Jean Gilles utilise tous les moyens expressifs pour illustrer la richesse du texte. Bien qu’Aixois lorsqu’il les écrit,  Jean Gilles illustre le grand motet versaillais avec une maîtrise rare pour un compositeur de 24 ans. « …Avec précision, une vérité, une chaleur incroyables … Tout y était, et la délicatesse du chant, et la forme de l’expression, et la douleur ».  C’est à propos des Lamentations de Jomelli que Diderot prête cette description au Neveu de Rameau.

Tout aussi bien pourrait-on l’appliquer à celles de Gilles écoutées, animées par Jean-Marc Andrieu. D’une direction précise, rigoureuse et pleinement engagée, il communique un souffle, une énergie et une émotion à chacun. L’ensemble Les Passions, illustre son nom avec ferveur, sans renier l’aspect décoratif de l’œuvre, réactif, dynamique, sachant faire chanter les instruments à l’égal des solistes et du chœur. La variété des dispositifs vocaux et instrumentaux (récits, duos, trios, soli et tutti, choeurs homophones et contrapuntiques, sinfonies et basse continue) renouvelle l’intérêt en permanence. La difficulté consistant à enchaîner des séquences brèves, passe totalement inaperçue tant la fluidité et le naturel président aux collages.
Davantage connue depuis que Jean-François Paillard –et Louis Frémaux – la révélèrent dès 1960, la Messe des morts fut un grands succès de la France du XVIIIe. Destinée à ses obsèques par Campra, son condisciple à Aix, elle fut ensuite reprise pour les funérailles de Rameau, pour celles de Stanislas, roi de Pologne comme de Louis XV et fréquemment donnée au Concert Spirituel. C’est dans sa version originale – débarrassée des ajouts de Corrette – que le Requiem est donné, avec quatre solistes et un chœur de chambre, également à quatre parties, une formation orchestrale de cordes, avec deux flûtes et hautbois, le continuo étant assuré à l’orgue, avec le théorbe, la basse de violon, le serpent et le basson. La déploration d’ouverture – à la française – avec son ostinato impose un climat solennel, grave, qui prépare au recueillement. Le texte liturgique gouverne plus qu’ailleurs l’expression musicale.  Le souci permanent du texte, de sa prosodie comme de sa rythmique donne à chaque page une force rare. Les chœurs sont généralement ouverts par un récit, auquel s’ajoutent les voix des autres solistes. Les prières les plus longues sont distribuées comme les versets d’un psaume.
Dans un même élan, les quatre solistes, en parfaite harmonie (ils sont partenaires de longue date), donnent à leur chant tout le caractère requis, avec une maîtrise stylistique qui force l’admiration. Chacun s’y délecte manifestement. Au soprano chaleureux d’Anne Magouët, souple, aux splendides aigus, s’ajoutent l’excellent haute-contre à la française de Vincent Lièvre-Picard, clair, nuancé et puissant, Bruno Boterf excellant tant dans ses récits que dans les ensembles, et enfin Alain Buet, basse-taille. L’émission est belle, bien projetée dans l’aigu à défaut d’appui dans les graves. Les récits et les ensembles sont un pur bonheur.
Pour être équitable il faudrait aussi citer les solistes des Elements, que rien ne distingue de ces derniers. La fusion, l’homogénéité avec le chœur, dont les qualités ne sont pas moindres, nous réjouissent tout autant. On garde en mémoire « Omnes alici », puis « Omnes  postae », tout comme « et lux perpetua », les fugues aussi, par exemple, d’une dynamique exemplaire, colorée, avec d’éloquents silences, toujours justes.  Sans doute la vocalité méridionale – et l’exigence de Joêl Suhubiette – n’y sont-elles pas étrangères. Les sinfonies sont d’intérêt constant, l’ orchestre de très belle tenue. Tout juste pourrait-on souhaiter que la basse continue, très dynamique, gagne en couleur et en liberté. Encore que le serpent assure seul la basse, dans telle introduction à un récit de basse-taille, lui conférant une rondeur et une profondeur particulières. Mais ne boudons pas notre plaisir : la plénitude rarement égalée, la grandeur dépourvue de pesanteur, des phrasés, des articulations et des nuances qui donnent vie au propos, que demander de plus ?
Rappelons enfin les enregistrements de ces deux œuvres maîtresses de Jean Gilles, réalisés par les mêmes interprètes (avec une messe en ré majeur, le Te Deum et des motets du même compositeur) sont réunis en un remarquable coffret de 3 CD (Ligia,  Lidi 02020256).

 
 
 

______________________________

 
Compte rendu, concert. Abbaye de Noirlac (Cher), le 8 juillet 2017. Jean Gilles, Litanies et Messe des morts. Jean-Marc Andrieu / Les Passions, et le chœur de chambre Les Eléments. Anne Magouët, Vincent Lièvre-Picard, Bruno Boterf, Alain Buet, solistes.

- Sponsorisé -
- Sponsorisé -
Derniers articles

CRITIQUE, opéra. PARIS, Théâtre des Champs-Elysées, le 26 mars 2024. LULLY : Atys (version de concert). Les Ambassadeurs-La Grande Ecurie / Alexis Kossenko (direction).

Fruit de nombreuses années de recherches musicologiques, la nouvelle version d’Atys (1676) de Jean-Baptiste Lully proposée par le Centre...
- Espace publicitaire -spot_img

Découvrez d'autres articles similaires

- Espace publicitaire -spot_img