CD, critique. SO FRENCH : Alexandre Doisy, saxophone (1 cd Klarthe) — Velouté (proche de la clarinette basse) et pourtant mordant (comme tuyauté et flûté), le timbre du somptueux saxophone d’Alexandre Doisy distille sa séduction sonore avec une étonnante intériorité suggestive dans le premier tableau : Impressions d’Automne d’André Caplet (1905), riche en nuances d’un gris nostalgique, suspendu et rêveur comme surgi d’un songe encore envoûté. Même calme souverain, imperturbable, hors du temps réel et efficace dans le « Choral varié » de D’Indy (1903), auquel l’instrument en ondes rondes et sourdes, très bien tenues sur la longueur, apporte un galbe recueilli, avec cette couleur sombre et grave propre au compositeur français.
Le soliste fait de son instrument un véhicule inspiré superbement chambriste aux accents surtout introspectifs, taillé pour le rêve, la réitération, le souvenir (voire une certaine gravité).
Le plus long tableau de ce récital titre et séquence rare au concert : « Légende » de Georges Spork, également début du siècle (1905) affirme plus nettement le timbre cuivré du saxo ; c’est une ample fantaisie plutôt très caractérisée et de plus en plus rêveuse : la pièce comme la majorité porte la dédicace à l’américaine et mécène Elise Hall, laquelle a commandité nombre de ces pièces composées pour le saxophone.
Récital français du saxophoniste Alexandre Doisy
Gravitas fruitée du saxo soliste
La Méditation de Thaïs confirme les mêmes dispositions pour le chant intérieur ; elle contraste avec la Rhapsodie plus libre et enjouée, d’une grâce aérienne de Debussy qui l’écrivit à l’époque de Pelléas et dont l’esprit à la fois continu et ondulant évoque aussi la souple texture du triptyque La Mer. Les deux instrumentistes (belles ondulations quasi « picturales » du piano de Claudine Simon) en expriment toute l’activité irrépressible et la caresse chantante presque enivrée et lascive comme l’ossature plus nerveuse.
Autre « Légende » … celle de Florent Schmitt (1918) : l’opus est avec la pièce éponyme de Sporck et la Rhapsodie de Debussy (d’une durée égale), la séquence la plus développée (plus de 10 mn) : évanescent, à l’énoncé liquide proche d’un Debussy énigmatique, sans omettre l’essor d’une tension parfois inquiète et plus agitée qui se relâche enfin dans un abandon conclusif, la partition sécrète un parfum d’enivrement irrésistible et ténu, très français, donc emblématique de ce récital de musique hexagonale d’où son titre « so french ». Au choix des pièces françaises, le saxophoniste ajoute aussi une dilection spécifique pour le timbre, la nuance, et la transparence, l’écoute naturelle des nuances, … comme l’engagement plus théâtral et d’une franche vivacité narrative tel qu’il s’impose dans le court triptyque Scaramouche de Milhaud (1939 : Brazileira bien dansant et chaloupé). Voilà des contrastes idéalement négociés qui sont encore rehaussés par le choix de l’ultime pièce : Les Berceaux d’un Fauré lui aussi secret, un rien sombre voire grave (1875). Très beau récital pour un instrument trop rare au concert dont Alexandre Doisy dévoile sans artifice, le caractère caressant, intérieur.
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CD, critique. SO FRENCH : Alexandre Doisy, saxophone (1 cd Klarthe) – Enregistré en octobre 2015 à Paris (Studio Sextan). Label : Klarthe Records – Référence : 2810742115596 – EAN : 3149028107425. Le programme est rare, constitué de pièces très peu connues : il mérite donc le CLIC de CLASSIQUENEWS de l’été 2018.