CD, compte rendu, critique. Vivaldi : Gloria, Magnificat. Le Concert Spirituel. Hervé Niquet, direction (1 cd Alpha juin 2015). Contrairement au visuel de couverture où paraissent rubans et fixations d’une superbe étoffe contrainte (serait-ce le système de fermeture d’un corset ?), l’approche cultivée par le chef du Concert Spirituel, favorise a contrario la libération du geste choral et le souffle instrumental en un bain d’énergie stimulante qui rassérène, apporte épanouissement grâce à une implication totale, rondement dirigée.
Intérêt voire défense engagée pour le répertoire sacrée à voix égales (spécifiquement féminines ici en deux chœurs, particulièrement vivants dans le jeu dialogué, alterné du dernier motet du programme : Lauda Jerusalem RV 609, vrai laboratoire choral si typiquement vénitien d’un prodigieux Vivaldi, inspiré par une humaine ferveur), souci de restituer cette sonorité particulière (« spectre sonore très étrange et très bouleversant », précise le chef) d’une ferveur dramatique, vécue intensément par un collectif uni par la même tension… voilà ce Vivaldi éclairé par Hervé Niquet, non plus agent protecteur des romantiques français, mais en chef baroque qui reconstruit la passion des femmes religieuses et chanteuses telles que le Vénitien aurait pu les connaître et les diriger quand il était maître de musique à l’Ospedale della Pietà de Venise. En prenant appui sur la pratique de l’époque avérée par maints témoignages historiques, les solos originels sont chantés « en chapelle », non par une soliste mais par l’ensemble du pupitre vocal requis : choeur des sopranos ou des altos selon les séquences, ce qui exige souplesse, articulation, précision. Autant de défis … relevés avec style et vitalité. L’énergie chorale s’en trouve ainsi décuplée d’autant que le chœur du Concert Spirituel déploie une solide ardeur, un sens du texte qui fait basculer la musique vers… l’opéra. Sensibilité et inclinaison interprétative justes d’autant plus que Vivaldi fut aussi – surtout-, il s’en est suffisamment vanté (révélation récente de la musicologie), un compositeur volubile d’opéras, défendant bec et ongle, sa place dans l’arène lyrique européenne, à Venise et ailleurs, avec la passion et l’acharnement que l’on sait, malgré la concurrence de plus en plus vivace des Napolitains.
Hervé Niquet et son Concert Spirituel défendent avec ampleur et finesse un Vivaldi sacré, furieusement opératique
Sûreté du geste choral, » en chapelle »
Le Glora RV 589 frappe par sa carrure maîtrisée, sa vivacité finement caractérisée. En plus de la précision métronomique, les chanteuses ajoutent la sincérité d’une couleur collective remarquablement humaine, d’une vérité continue. Malgré des accents parfois presque déclamatoires (mais ne défent-il pas une conception opératique du Vivaldi sacré?), le geste du chef fait merveille dans l’enchaînement des séquences chorales, sachant varier, nuancer, ciseler surtout le caractère de chaque partie de la liturgie : chorégraphie amoureuse et d’une éloquence ronde et chaude du Domine Deus ; énergie conquérante et presque chevauchée ivre mais toujours lumineuse du Domine fili unigente qui suit.
Sur les traces de Vivaldi lui-même, recteur exigeant et génial poète, Hervé Niquet affirme un geste autoritaire, qui obtient tout ou presque de son collectif, la nuance et le soin de chaque effet, fort d’une dynamique concrète particulièrement riche et captivante (travail sur l’intonation et le contrôle des nuances forte/piano dans le Qui sedes ad dexteram : le caractère presque martial de la coupe de la séquence est pourtant capable d’une douceur intérieure ; il révèle la maîtrise du chef de chœur devant lequel tout doit filer droit, au millimètre près. La précision du chant collectif y est saisissante : dramatique certes et vivante voire palpitante, mais toujours habitée, sans effets artificiels. Même clarté de la structure, et précision contrapuntique du Cum sancto Spiritu conclusif.
Même juste calibrage d’un dramatisme net, précis, mordant et pourtant souple, flexible dans le Magnificat RV 610A : ne retenons que l’enchaînement jubilatoire des plages 18 et 19 : théâtralité sans pathos et d’une énergie furieuse du Deposuit potentes (à l’évocation de la puissance divine) puis exaltation oxygénée d’Esurientes, nourri d’une rondeur satisfaite (légitime certitude confiante pour cette séquence qui évoque la générosité des nourritures célestes), ici et là, rayonne l’articulation d’un texte déclamé, souverain, intelligible.
Le geste choral maîtrisé compose une arche féminine sincère et recueillie, et l’on se prend comme Rousseau à rêver de visages angéliques et envoûtants à l’écoute d’un chant aussi raffiné, si subtilement calibré. Comme il l’avait fait au service d’une Messe méconnue mais saisissante de Louis Le Prince, superbe chantre lui aussi ardent et fervent au Grand Siècle (VOIR notre reportage vidéo Messe Missa Macula non est in te de Louis Le Prince par Le Concert Spirituel, 2012)… tout cela vit, s’anime d’une théâtralité communicative, partagée, incarnée dans le chant des voix comme dans celui des instruments idéalement bondissants, et comme continûment exaltés (relief instrumental du Sicut locutus du Magnificat).
Toute l’arche vivaldienne y gagne un feu choral vif argent, traversé d’éclairs lumineux ; la vie y triomphe, dans la piété comme dans les accents plus passionnés ; le dramatisme alternant entre voix et instruments nourrit un même élan ascensionnel, bondissant sur un tapis instrumental exclusivement composé de cordes, où le timbre rond, chaleureux des théorbes affleure, subtilement dosé dans une prise de son vivante et parfaitement réverbérée (résonance de Notre-Dame du Liban à Paris). Exaltante et réconfortante piété vivaldienne.
CD, compte rendu, critique. Vivaldi : Gloria, Magnificat. Le Concert Spirituel. Hervé Niquet, direction (1 cd Alpha juin 2015