jeudi 26 juin 2025

Cd, compte rendu critique. PORPORA : Germanicus (Cencic, 3 cd Decca)

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porpora-nicolo-portraitCd, compte rendu critique. PORPORA : Germanicus (Cencic, 3 cd Decca, 2016) – Enregistré à l’été 2016 en Pologne, voici une nouvelle production discographique qui tire son épingle du jeu et souligne l’activité exemplaire de Decca comme un éditeur encore capable de financer de nouvelles productions lyriques, – de surcroît baroques, dans un marché … sinistré. Decca suit les jalons du défrichement opératique mené par le contre ténor Max Emmanuel Cencic qui se concentre sur l’opéra séria du XVIIIè : après Catone in Utica, Adriano in Siria, Siroe… de respectivement Leonardo Vinci, Pergolesi et Hasse, surtout Alessandro de Haendel, voici donc Germanicus (Germanico in Germania) de Niccolo Porpora (1686 – 1768). Le portrait du général romain victorieux, Germanicus, celui qui a soumis les barbares germains (magnifiquement peint par Poussin au XVIIè car la figure est un modèle de héros noble et magnanime) se précise ici en particulier dans ses confrontations révélatrices avec son ennemi Arminius / Arminio. La figure d’Arminio es toin d’être anecdotique dans l’histoire de l’opéra : le sujet a été traité précédemment dans l’opéra de Haendel éponyme et qu’ont aussi ressuscité Cencic et son équipe dans un précédent coffret Decca. De fait, le militaire Romain apprend une forme d’humanisation fraternelle au contact de son ennemi Arminio, véritable héros germanique, icône même de la résistance du peuple Germain contre l’impérialisme romain. Biber au siècle précédent a écrit un opéra fameux faisant l’apologie du héros Germain, sorte de Vercingetorix germanique.

Ici dans une formulation propre au genre séria, l’humanité du vainqueur Germanicus est mise en lumière, apprise et révélée grâce au modèle de vertus (loyauté, courage, grandeur morale) incarné par Arminio. Ce dernier devait mourir mais frappé par l’élévation morale du vaincu, le vainqueur se montre clément. C’est un canevas que Haendel a abondamment adopté, préfigurant l’esprit des Lumières, dans Bajzaet par exemple où l’on retrouve le même rapport vaincu sublimant son vainqueur / geôlier…

germanico in germania niccolo porpora 3 cd decca review cd critique cd par classiquenews 4831523-1L’idée de restituer l’essor du genre séria en ressuscitant quelques ouvrages majeurs de la période baroque (XVIII ème) où pointent dans les années 1730 et 1740, la rivalité à Londres de Haendel et donc Porpora, permet aux solistes réunis autour de Cencic / Germanicus d’éclairer cet idéal lyrique où la virtuosité est la règle ; mais fusionnée avec l’intériorité, elle peut faire surgir une caractérisation passionnante des rôles. Germanico a été créé à Rome en février 1732. L’ouvrage témoigne de cette écriture surornementée et majoritairement virtuose qui s’appuie au sein de l’école de Porpora (Consrvatorio di San Onofrio à Naples) sur une discipline savamment équilibrée entre technique vocale (passagi,ornés, vocalises, coloratoure…), théorie musicale (contrepoint, étude littéraire, …), mais aussi pratique instrumentale (clavecin).

Autant dire que souvent les solistes confondent artificialité et expressivité omettant souvent la nuance et la finesse au risque de ne servir qu’un style répétitif et passe partout. Beaucoup d’entre eux se bornent à aborder tous leurs airs de la même façon, en une agilité mécanique qui demeure étrangère à toute sensibilité, … d’emblée de rigueur au nom qu’à cette époque et en rapport avec la loi du genre, il n’existe pas d’individualisation nuancée possible. A cette formation s’est aiguisé l’art d’un Farinelli, son élève le plus emblématique et aussi, le protégé de Haendel : Caffarelli (6 années durant) : c’est lui qui interpréta le rôle lyrique et dramatique d’Arminio. Germanico date de la période où le maître absolu du chant virtuose alla napolitana est aussi maestro delle figlie aux Incurabili de Venise (1726 – 1733).
Avouons que dans ce registre nous ne comprenons pas la présence familière à présent de la soprano coloratoure Julia Lezhneva (Ersinda), véritable machine à dégainer un torrent de vocalises, d’une précision ahurissante, abattage électrisé à l’appui (intensifié par la prise de son proche du micro)… mais dénuée de toute intention expressive surtout introspective. Chanter le séria avec autant d’artificialité n’est guère servir le genre baroque. Voilà qui accrédite l’idée (fausse) d’un Porpora rien que démonstratif, en rien profond ni juste ou nuancé sur le plan des passions humaines. Passons. Idem pour – malheureusement, le Germanico plutôt gras et terne de Cencic, qui emboîte ainsi le pas du castrat de la création : l’alto Domenico Annibali : Cencic a perdu tout éclat dans une voix qui paraît à présent fatiguée, de surcroît affûblée d’un vibrato permanent qui semble voiler le timbre du début à la fin. Ce manque de relief et de nuances ne fait que mieux renforcer l’éclat du vaincu Arminio, véritable héros de l’opéra.

Plus intéressant car nuancé l’Arminio très incarné et humain de la soprano Mary-Ellen Nesi, tessiture ample et aigus rayonnants, avec un bel abattage dans le recitativos seccos (surtout dans les scènes très théâtrales, plus déclamées que chantés du III) ; sa tenue très convaincante offre au personnage, héros de la résistante germaine, la profondeur idéale face à volonté guerrière du vainqueur Germanico. D’ailleurs se sont surtout les chanteuses qui défendent l’idée d’individualités, capable de transformations pendant l’opéra : à ce titre saluons la passionnante Rosmonda de Dilyara Idrisova qui en épouse tiraillée du vaincu, exprime la complexité des sentiments qui l’animent, dans une situation très éprouvante. Même excellent travail pour la soprano mieux connue des français, Hasnaa Bennani qui fait un délicieux, rayonnant et lumineux Cecina, – rôle travesti (capitaine de Germanicus).
La tendresse de son timbre, tout en moelleux, rétablit cette épaisseur humaine et fraternelle qui doit être présente dans tout seria. Nesi, Dilyara et Bennani font la valeur de cette première discographique.

Elles donnent l’épaisseur à l’intègre amoureuse; chaque individualités y est très sensiblement défendue, chacune dans des tessitures et couleurs qui servent heureusement cette caractérisation bien présente dans l’écriture porporienne.
D’autant que le mordant, âpre, très nerveux des instrumentistes de la Capella Cracoviensis, souvent électrisés par la baguette vivace de Jan Tomasz Adamus, rehausse encore l’enjeu souvent éruptif des situations. On mesure combien le public londonien a pu être saisi par la fièvre dramatique et la virtuosité vocale des opéras de Porpora.

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CD, compte rendu, critique. PORPORA : GERMANICO IN GERMANIA (3 cd DECCA, juillet 2016).

Avec Hasnaa Bennani · Max Emanuel Cencic / Dilyara Idrisova · Mary-Ellen Nesi
Julia Lezhneva · Juan Sancho  / Capella Cracoviensis – Jan Tomasz Adamus

Parution le 12 Janvier  2018 – 3 cd 0289 483 1523 9 – enregistrement réalisé à l’été 2016.
+ d’infos sur le site de DECCA :
http://www.deccaclassics.com/au/cat/4831523

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