mardi 19 mars 2024

CD, compte-rendu critique. ELSA GRETHER : Kaleidoscope (1 cd Fuga libera 2017).

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grether elsa kaleidoscope Bach fuga libera review critique cd par classiquenewsCD, compte-rendu critique. ELSA GRETHER : Kaleidoscope (1 cd Fuga libera 2017). « Kaleidoscope »… avec le cylindre des illusions visuelles éphémères, renouvelées, la musique partage cette magie, ce caractère insaisissable. Là s’arrête la comparaison, car la seconde, fruit d’une volonté, expression d’une pensée, d’une sensibilité  qui nous parle, nous ouvre un tout autre univers. Après Poème mystique, puis French Resonance, Elsa Grether nous offre Kaleidoscope., dont les fils conducteurs semblent bien la spiritualité et la maîtrise musicale, avec un tropisme pour le ré. En un peu plus d’une heure de violon seul, nous parcourons plus de trois siècles de musique et de nombreux pays,  toutes les ressources de l’instrument étant mobilisées au service exclusif de la pensée et de l’expression  musicales.

Great Elsa Grether !

Pour commencer, le Graal des violonistes, suivi du cortège de ses adorateurs, déclarés ou non. On ne présente plus « la » Chaconne  de la deuxième partita de Bach, dont Elsa Grether nous offre une lecture forte et inspirée. Point n’est besoin de rappeler les problèmes  que soulève chaque approche : « l’interprétation de ces pages  […] est plus que bien d’autres conditionnée par des questions de rythme, de dynamique, de tempos, d’ornementations, doigtés, intonations, liaisons, coups d’archet, de « résolution »  de polyphonies, de forme enfin.  […] Incroyable enchaînement d’artifices, figures, passages, techniques, qui font de ce chef-d’œuvre un monument, une sorte de charte du violon transcendantal » (Basso, II. pp. 640 & 645). Plénitude, puissance et légèreté, avec une large palette de couleurs, le jeu d’Elsa Grether se hisse au plus haut niveau : le propos relève de l’évidence, avec une sensibilité vraie qui nous atteint au plus profond.

Etrangeté de « MétalTerre Eau » de Tôn-Thât Tiêt, qui nous livre une ample partition, surprenante par son écriture, par les inflexions de son émission, ses frémissements, ses unissons-pédale obsédants (ré) contrastant avec les arrachements, la plus étonnante des polyphonies, et une fantaisie singulière. De la fluidité onirique, évanescente à la vivacité aérienne, à l’éclat et à la robustesse du métal, c’est un univers envoûtant, magique, auquel nous sommes conviés.

Eugène Ysaÿe fut l’humble et ardent défenseur des suites et partitas de Bach, en des temps où cela réclamait du courage. Obsédé par l’œuvre du Cantor, Ysaÿe écrit : « j’ai laissé voguer une libre improvisation. Chaque sonate constitue un petit poème où je laisse le violon à sa fantaisie. J’ai voulu associer l’intérêt musical à celui de la grande, de la vraie virtuosité, trop négligée depuis que les instrumentistes n’osent plus écrire et abandonnent ce soin à ceux qui ignorent les ressources, les secrets du métier. » En ré, comme la Chaconne de Bach, la note-pivot de la pièce de Tôn-Thât Tiêt, puis, bientôt la sonate d’Honegger, ses mouvements enchaînés, les éclairages changeants apparaissent singulièrement modernes, servis avec une conviction et une sincérité qui forcent l’admiration. « Je fouille en moi-même pour jeter à l’âme des foules les impressions les plus sincères d’une âme propre » confessait Ysaÿe. Comment ne pas établir le parallèle avec le jeu inspiré d’Elsa Grether ?

David Oïstrakh permit à Khachaturian de découvrir les limites du violon, et d’en enrichir la littérature. Dans la Sonata-Monologue comme dans tout son œuvre, la forme et le langage traditionnels se trouvent mariés à des éléments mélodiques des traditions transcaucasienne et arménienne. Joie débridée, gravité, lyrisme inspirent cette belle page, rare au concert comme au disque.

Quant à Honegger, nourri de Bach, son ultime œuvre de musique de chambre en constitue une forme d’hommage. Même si les mouvements portent les indications traditionnelles, c’est une suite qu’il nous propose : allemande, sarabande, gavotte et gigue. A la gavotte, très française par sa rythmique et son élégance, malgré sa virtuosité d’écriture, succède un presto à couper le souffle, tant son jeu nous donne le vertige.

Sans doute le plus exotique, car on ne l’attendait pas transcrit pour violon seul : Albeniz. Force est de reconnaître le tour de force que constitue le travail de Xavier Turull à partir d’Asturias. Incandescente, âpre, tourbillonnante, la version que nous propose Elsa Grether emporte une adhésion sans réserve.

Ce disque original et riche, où au plus familier succède le plus rare, est un bijou précieux, dont on ne se lasse pas. Le jeu libre, épanoui, d’une exceptionnelle maîtrise, toujours sensible, relève du grand art.  De programme en programme, d’enregistrement en enregistrement, Elsa Grether s’affirme comme une des plus douées et des plus inspirées de nos jeunes violonistes.

La notice d’accompagnement du CD – bilingue (anglais-français) – comporte toutes les informations nécessaires. On regrette simplement que le luthier du magnifique instrument que joue Elsa Grether n’y soit pas mentionné.

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CLIC_macaron_2014CD, critique, compte-rendu, Kaleidoscope : BACH, TÔN-THÂT TIÊN, YSA¨YE, KHACHATURIAN, HONEGGER, ALBENIZ, Elsa Grether, violon – 1 cd Fuga libera, enregistré en janvier 2017 – durée : 1h05mn.

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ELSA GRETHER, violon. Kaleidoscope

Johann Sebastian Bach : Chaconne de la 2ème partita pour violon seul, BWV 1004

Tôn-Thât Tiet : Métal Terre Eau

Eugène Ysaÿe : Sonate pour violon seul n°3 « Ballade », op 27 n°3

Adam Khachaturian : Sonata-Monologue, pour violon seul

Arthur Honegger : Sonate pour violon seul en ré mineur, H.143

Isaac Albanie : Asturias, des Cantos de España, op 232, (arrangement pour violon seul de Xavier Turull)

1 CD Fuga libera, FUG 742, durée : 1h05mn, enregistré en  janvier 2017, à l’Abbaye de Fontevraud

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