samedi 20 avril 2024

CD, compte rendu critique. Clérambault : Motets à 3 voix d’hommes. Ensemble Sébastien de Brossard (1 cd Paraty, 2015)

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clerambault-motets-pour-3-hommes-fabien-armengaud-cd-paraty-review-announce-compte-rendu-critique-presentation-CLASSIQUENEWS-PARATY516141_couv---copieCD, compte rendu critique. Clérambault : Motets à 3 voix d’hommes. Ensemble Sébastien de Brossard (1 cd Paraty, 2015). LES FULGURANCES D’UN JEUNE ENSEMBLE SUPERLATIF. Fondé en 2014, le très récent ensemble sur instruments d’époque, Sébastien de Brossard frappe d’un coup magistral dans ce disque en tout point superlatif. Pour une première « carte de visite », les musiciens portés par l’engagement et le goût de l’organiste et claveciniste Fabien Armengaud, (bien connu du milieu musical pour assurer aussi le continuo et être l’assistant d’Olivier Schneebeli au sein de la Maîtrise du Centre de musique baroque de Versailles), osent l’impossible dans ce programme riche en défis. Éclairer et défendre une écriture méconnue, celle sacrée d’un maître du Motet français du XVIIIè ; surtout, soucieux d’intelligibilité et de dramatisme fulgurant, dévoiler la verve très originale d’un génie du texte mis en musique : Louis-Nicolas Clérambault, mort en 1749.

A l’égal d’un Rameau, le compositeur français ainsi dévoilé, gagne des galons dans cette lecture habitée et stylée qui met l’accent sur sa formidable capacité à articuler les textes sacrés. Sans le format de l’orchestre et sans le souffle d’un chœur, les 3 solistes accompagnés par un continuo d’une activité permanente, expriment l’intense expressivité d’une écriture qui vaut l’opéra. De surcroît, l’effectif requis, Motets majoritairement pour 3 voix d’hommes, souligne encore la totale originalité du programme qui démontre sans hésitation aucune, l’audace et la justesse des choix artistiques de Fabien Armengaud et de son Ensemble. L’éditeur Paraty, conforté ainsi dans son activité de défrichement des répertoires, enrichit un catalogue déjà fameux en joyaux inédits ou mésestimés. On se souvient d’un Rameau époustouflant par un ensemble tout autant impliqué et pertinent, et d’un même apport déconcertant par son intelligence musicale (CD. Rameau, Handel : Concertos pour orgue, Pièces pour clavecin… Ensemble Zaïs, Benoît Babel / Paul Goussot, orgue — Paraty, 2013 — parution réalisée pour l’année Rameau 2014 et certainement le disque le plus époustouflant des célébrations Rameau en France).

 

DELECTATION et DECOUVERTE. Ici un même plaisir saisit l’auditeur par le style et le goût défendus d’un bout à l’autre. Le choix des pièces stimule la curiosité tant pas une ne dépare, par sa qualité poétique, sa construction, le raffinement harmonique, et le jeu concertant des instruments mêlés aux voix. Le point le plus abouti et le plus impressionnant tant du point de vue de l’originalité du morceau que de l’excellence de sa réalisation, demeure le motet sur un texte très rare : « Viderunt te aquae Deus » (cinq versets empruntés au long psaume 76, Voce mea, récité selon les usages au 3è nocturne du Jeudi Saint. Initiateur en un récit d’une redoutable intensité, Alain Buet sait exulter ; la basse taille sait projeter toute la science linguistique du compositeur, à la fois poète et conteur de premier ordre. Même vertiges et intervalles hallucinants (éclairs du texte) de l’ « Illuxerunt coruscationes » que la taille Novelli assume avec une fougue verbale, articulée et dramatique, exemplaire. Ce que l’auteur exige des chanteurs est redoutable et rappelle par bien des aspects le perfectionnisme expressif d’un Rameau (d’autant que le continuo de la basse de violon de Mathurin Matharel et du clavecin de Fabien Armengaud, cisèle et embrase chaque mesure. Pointillisme et expressionnisme. Leur élégance de style n’est jamais creux ni artificiel : telle implication et telle musicalité les distinguent de bien des interprètes, ailleurs plus expéditifs, voire superficiels.

La peinture dramatique que révèle le dramaturge Clérambault atteint ici un sommet d’expressivité et d’éloquence dans l’évocation entre autres du Passage de la Mer Rouge. Comme un opéra ciselé, dessiné comme une épure pour les 3 voix habitées, le Motet inédit jusque là, exprime avec une science exceptionnelle de l’économie et de la densité poétique, l’effroi des israéliens élus, la force des eaux tourbillonnantes, le tonnerre, les éclairs et le tremblement de terre qui indiquent l’accomplissement spectaculaire du miracle… C’est un opéra en miniature, véritable prouesse musicale qui demeure comme le souligne Fabien Armengaud (- photo ci-dessous), l’unique exemple d’une tempête et d’un cataclysme dans un motet sacré en France au XVIIIè. La découverte est sensationnelle. Le feu et l’élégance du geste comme cette articulation subtilement incarnée du texte, distinguent ici l’approche du collectif.

 

 

 

Motets à 3 voix d’hommes de Clérambault

Le geste subtil, articulé, superlatif de l’Ensemble Sébastien de Brossard

 

Fabien Armengaud ressuscite un Clérambault méconnuLe programme s’ouvre sur le motet circonstanciel composé avec texte spécifique, pour la Canonisation de Saint Pie : les instrumentistes font parler la musique, – d’une allégresse inscrite dans la lumière tandis que la voix sculpturale, chant d’une sobre mais très vivante précision place le texte au devant de la scène : les 3 chanteurs font aussi le caractère de ce programme où l’incarnation fervente fusionne avec une articulation exemplaire du verbe. La haute-contre Cyril Auvity, la taille Jean-François Novelli comme la basse-taille Alain Buet partagent la souplesse, l’expressivité, le sens de la nuance et de la couleur (« Trina Pius » pour la taille… et le hautbois) faisant de chaque séquence, un véritable épisode finement caractérisé qui frappe par son éloquence et son relief poétique : le sommet en étant le tableau de la Bataille de Lépante, victoire suprême sur l’ennemi turc (épisode 4 : « Impia turcarum gens », d’une durée de 3 mn) : la ciselure dramatique des trois voix, le cheminement de l’écriture harmonique, l’originalité des carrures expressives, et toujours cette suprême élégance de l’intonation générale (instruments et voix) nourrissent l’impact de cette peinture faite musique. La réalisation, entre glorification en apothéose (louange finale du « Quam felix ») et intervention hallucinée (surgissement de la Bataille de Lépante déjà citée) est saisissante et la découverte totale. Voilà qui nuance la notion même de partition de circonstance et révèle le génie dramatique de Clérambault.

Le Motet du Saint-Sacrement, « Panis Angelicus » , déploie un tout autre climat enveloppant et tendre d’une délectable douceur grâce à la flûte à bec invitée de Maud Caille; à la fois retenu, pudique, enivrant par sa grâce intérieure : les 3 voix articulées, frémissantes, d’une sensibilité ténue et idéalement projetée, en accord avec l’instrument soliste, s’accordent dans ce sommet de plénitude sonore.

clerambault-600La seconde partie du programme se révèle davantage comme une dévotion exceptionnelle à la Vierge : Salve Regina C 114, antienne C 132, et Magnificat C 136. Le propre de l’Ensemble Sébastien de Brossard est l’équilibre parfait entre ciselure des voix, et paroles des instruments invités à en assurer le continuo d’une rare finesse concertante. L’écriture de Clérambault atteint la même qualité de recueillement qu’un Charpentier, sans le choeur et l’orchestre : intelligence contrapuntique et raffinement spirituel du dernier « O piissima » où seule la projection du texte semble piloter toute la ligne générale. Assurance, aplomb de chacune des trois vocalités viriles, et parfois véhémence oratoire, mais énoncée en une tendresse déclamée idéale (sincérité millimétrée de Cyril Auvity dans le « Suscepit Israel » du Magnificat, d’une même veine que son dernier disque lui aussi superlatif, intitulé « Stances du Cid », récemment édité et CLIC de CLASSIQUENEWS de février 2016) ; suprême élégance des instrumentistes… tout concourt à un théâtre fervent où compte chaque ligne et chaque accent, vocal comme instrumental (réalisation superlative d’O Clemens, o pia, dernière séquence du Salve Regina)… l’équilibre parfait entre ligne des chanteurs magnifiquement articulés, acteurs fervents, et la subtilité des instrumentistes (sentiment partagé / filigrané d’Et misericordia du magnificat C 136), rappellent combien Fabien Armenagud semble suivre les préceptes de son maître Olivier Schneebeli, artisan de l’excellence actuelle des Pages et Chantres du CMBV : chair et âme de chaque séquence. La musique est un acte spirituel et pour la défendre, chaque interprète n’hésite pas à s’exposer quitte à se mettre en difficulté. Le résultat est inouï de vérité et de sensibilité. Ce réglage chambriste, soucieux d’une articulation souple et étonnamment naturelle, malgré les défis de l’écriture de Clérambault, affirme l’absolu génie du compositeur dont cantates et musique de chambre sont plus connues. Le programme dévoile aussi la maturité et la claire maturité artistique d’un formidable collectif désormais à suivre : l’Ensemble Sébastien de Brossard.

 

 

CLIC_macaron_2014CD, compte rendu critique. Louis-Nicolas Clérambault (1676-1749): Motets à 3 voix et Symphonies. Cyril Auvity, haute-contre. Jean-François Novelli, taille. Alain Buet, basse-taille. Ensemble Sébastien de Brossard. Fabien Armenagud, orgue, clavecin et direction musicale. 1 cd PARATY — enregistrement réalisé en janvier à La Courroie, Entraigues-sur-la-Sorgue. CLIC de CLASSIQUENEWS d’octobre et novembre 2016.

 

 

 

APPROFONDIR

 

LIRE aussi notre entretien avec Fabien Armengaud, organiste, claveciniste et directeur musical de l’Ensemble Sébastien de Brossard

VOIR notre reportage vidéo exclusif : les Motets sacrés à 3 voix d’hommes de Clérambault par l’Ensemble Sébastien de Brossard, Fabien Armengaud

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