samedi 20 avril 2024

Britten : Mort à Venise

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benjamin_britten_vieuxBritten traite après Visconti, le sujet rédigé par Thomas Mann. Le désir de l’adulte pour l’enfant, son regard contemplatif provoque ici une résolution inverse. Le sujet désiré n’est pas sacrifié. Rongé par le remords et la culpabilité, c’est l’adulte désirant qui succombe à la terrible vérité de ses fantasmes pédophiles. En esthète impuissant, Aschenbach reste fasciné, « médusé » au sens propre, par la beauté apollinienne du garçon Tadzio. L’adorateur semble écartelé entre l’aspiration à la beauté et la crudité charnelle qui compose aussi sa coupable attraction. En décidant de se taire toujours, Aschenbach semble avoir choisi l’autodestruction et l’anéantissement. Chaque silence dicté par le remords, quand paraît le jeune adolescent, est semblable à un coup de poignard. Et chaque regard désirant se retourne contre lui : il se transforme en lente agonie.
Britten a remarquablement illustré l’évolution de la contemplation vécue par Aschenbach, en ses débuts spirituelle et esthétique, ensuite confusément trouble et sexuelle (le cauchemar de la Bacchanale dans lequel Aschenbach rêve qu’il rejoint Tadzio) : l’apollinien, le bacchique… au final, dans une vision pessimiste, l’idéalisme et le spirituel sont corrompus par le poison du désir…

Golo Mann : de Doktor Faustus à « Death in Venice »

david_britten_tadzioAvant de mourir en 1955, Thomas Mann aurait reconnu que, si son Doctor Faustus devait être porté à l’opéra, il n’y aurait qu’un musicien capable de le faire : Benjamin Britten. Or depuis janvier 1971, le compositeur qui se sait condamné, -il souffre d’une insuffisance de l’aorte : endocardite-, souhaite écrire un dernier opéra, « pour Peter ».
Britten a bien connu l’un des fils Mann, Golo, à Brooklyn, pendant son « exil américain ». Les deux hommes se retrouvent et Golo Mann, lui souffle l’idée d’adapter » Mort à Venise » que Visconti réécrit pour le cinéma.

Britten partage avec Thomas Mann, la fascination pour la ville suspendue sur les eaux : objet des fantasmes les plus poétiques, la Cité offre aux créateurs la matière au rêve, tant recherchée par les artistes. C’est moins la Cità que les plages du Lido, cette longue bande de terre entre deux mers, qui suscite chez Mann, la révélation de la beauté, dans la figure du jeune Tadzio qui lui semble être dans sa primitive et juvénile beauté, l’incarnation renouvelée des dieux. Une telle expérience esthétique devait évidemment marquer profondément Britten qui y trouve, au bord de sa vie, l’expression exacte de sa propre expérience, artistique et intime.

Dès octobre 1971, le compositeur et son compagnon, Peter Pears sont à Venise. Mais le processus créatif, hier si fluide, demande au Britten malade et amoindri, davantage de temps et de concentration.
On sait que Mann rédigea sa nouvelle au moment où Gustav Mahler trouva la mort, en 1911. Les deux événements, écriture du roman décisif pour Britten et décès d’un compositeur admiré, augmentent l’attraction du musicien pour le texte de  l’écrivain. L’année 1971 est marquée aussi par l’engagement, le dernier, de Britten dans la conduite musicale de son festival d’Aldeburgh : il interrompt la composition de « Death in Venice », pour s’immerger dans les Scènes de Faust de Robert Schumann, dont la réalisation au concert reste mémorable, comme en témoignera Dietrich Fischer Dieskau qui chante dans la production.

manet_veniseEn 1972, le travail redouble pour l’opéra. Britten s’est assuré la complicité de sa librettiste Myfanwy Piper. L’action est portée par le rôle central d’Aschenbach, chanté par Pears : ses monologues, accompagnés sobrement par le piano, structurent toute la narration. Autour de lui, sept personnages paraissent, tous incarnés par le même interprète. Chacun compose diverses facettes d’une même force souterraine dont l’activité conduit en un rituel initiatique, Aschenbach vers la mort. Chacun est un thuriféraire qui l’aide à passer les portes de l’au-delà, traverser le styx, passé de l’autre côté du miroir. Observateur et contemplateur, Aschenbach regarde l’éphèbe Tadzio et sa famille qui ne chantent pas : pour stigmatiser le monde dans lequel ils évoluent, un monde dans lequel en réalité, ne pénètre jamais Aschenbach, Myfanwy Piper imagine la danse. Tous animent ainsi une chorégraphie dont le monde est parallèle à celui du héros, Aschenbach.

Synopsis

Opéra en deux actes
(Acte I) Scène I : Aschenbach solitaire traverse le cimetière de Munich. Sa femme est morte et sa fille vient de se marier. Un voyageur lui rappelle la fascination pour Venise. Il décide de s’y rendre.
Scène II : arrivée dans Venise, transfert crépusculaire vers le Lido.
Scène IV : accueil du directeur de l’Hôtel des Bains au Lido. Au moment du dîner, Aschenbach voit pour la première fois le jeune Tadzio : des sonorités orientales et mystérieuses qui rappellent le Gamelan, expriment la beauté foudroyante du garçon et l’impossibilité pour son adorateur d’exprimer aucun mot. C’est la musique qui évoque le choc de la vision.
Scène V : sur la plage du Lido. Aschenbach continue d’être traversé par son désir pour le jeune éphèbe. Il programme de partir mais une erreur d’enregistrement de ses bagages retarde son départ. Peu à peu, le climat étouffant de Venise se précise.
(Acte II) Scène VIII : après s’être rendu chez le barbier, Aschenbach a la confirmation que Venise est le foyer d’une épidémie de choléra. Laquelle est tenue secrète par les autorités de la ville.
De fait, le vieil homme succombe à la maladie comme il est terrassé par l’ivresse des sens que lui a causé, la beauté révélée de l’adolescent polonais, et la confusion et la folie qui se sont emparées de lui.
Scène XIV : Aschenbach sur la plage du Lido contemple à nouveau son idole. Il assiste au départ de la famille inquiète face à la diffusion du choléra. Aschenbach se morfond sur sa chaise, seul. Il meurt sur les accords de l’hymne à Apollon. Les résonances incantatoires et célestes du vibraphone semblent l’emporter.

Peter Pears indique l’importance que revêt « Death in Venice » pour Britten, lui-aussi aux portes de la mort lorsqu’il compose son opéra : l’ouvrage résume la quête artistique et personnelle du compositeur, en ce sens, la partition peut-être considérée comme son testament.

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