vendredi 29 mars 2024

Angers. Le Quai, le 6 octobre 2011. Bartók: Le Château de Barbe-Bleue. Gidon Saks, Jeanne-Michèle Charbonnet. Orch national des Pays de La Loire. Daniel Kawka, direction. Patrice Caurier et Moshe Leiser, mise en scène

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L’opéra by ANO

Voilà plusieurs saisons que Angers Nantes Opéra surprend, saisit, convainc. Conçue par son directeur Jean-Paul Davois, chaque programmation fait la preuve qu’une politique éclairée, soucieuse d’intelligibilité et de relectures critiques, satisfait aux missions majeures d’une maison d’opéra aujourd’hui: l’accessibilité aux oeuvres présentées; la pertinence et l’intelligence des mises en scène qui en veillant à l’équilibre théâtre, musique et chant, réalisent ici, entre Angers et Nantes, de véritables prodiges visuels et musicaux.

C’est grâce à Jean-Paul Davois par exemple que le Tristan und Isolde de Wagner, spectacle anthologique et légendaire à juste titre, conçu par Olivier Py (mai-juin 2009) est venu en France, après sa création en Suisse à Genève (sous la direction du regretté Armin Jordan). Quelle chance pour les spectateurs d’Angers et de Nantes de pouvoir découvrir alors, une production dont l’union du théâtre et de la musique demeure exemplaire…
Voyez aussi les deux hommes de théâtre, et partenaires pour la scène, Patrice Caurier et Moshe Leiser: ils ont fait d’Angers Nantes Opéra une résidence privilégiée pour leurs travaux scénographiques. Jenufa et L’Affaire Makropoulos, Tosca et plus récemment encore Falstaff (mars et avril 2011): leur approche de chaque partition favorise la clarté et la cohérence théâtrale. Déjà présentée en 2007, la production du Château de Barbe Bleue appartient à leur meilleure inspiration. Et c’est sans réserve que l’on salue ici encore l’un des accomplissements scéniques les plus saisissants que nous ayons vus.


Thriller opératique

Dans un décor unique, très inspiré des toiles magnifiquement construites d’Edward Hoper, les deux hommes de théâtres insistent sur le huit clos; une chambre d’hôtel d’une neutralité effrayante dont la découpe et les contours des murs aux perspectives déformées (comme dans un cauchemar) dessinent bientôt les arêtes d’un piège asphyxiant.

Si la partition et la musique évoquent une succession de portes franchies (7 au total dont Judith demande à son époux, une à une, les clés respectives), l’espace scénique demeure quant à lui, inéluctablement clos. Ce travail sur l’espace s’avère saisissant, d’autant qu’il favorise surtout le chant de l’orchestre; un orchestre d’un bout à l’autre jaillissant et somptueux, vénéneux et mystérieux qui enveloppe les deux protagonistes, en dévoile la psyché inquiétante et sauvage (Barbe-Bleue); l’ivresse amoureuse éperdue, trop insouciante (Judith).

C’est peu dire que les deux chanteurs sont de vrais acteurs: sommes-nous au cinéma ou à l’opéra? La violence et la tendresse; le murmure et la passion déferlent sans limites dans une suite de situations / confrontations qui tournent au procès involontaire; acculé au bord du précipice, contraint de suivre Judith dans sa quête de vérité/sincérité, Barbe-Bleue n’a d’autre issue que de commettre l’irrémédiable et ici, le châtelain se fait bourreau et serial killer. Le mérite de la mise en scène est de souligner la force psychologique de la musique, la solitude et l’impuissance du chant de chaque acteur. A-t-on représenté sur la scène, la relation d’un couple avec autant de justesse et de bouleversante sincérité?

Les deux chanteurs sont magnifiques: Jeanne-Michèle Chardonnet a la candeur tendre et ingénue des amoureuses sincères; Gidon Saks, la force inquiète d’un animal débusqué et traqué; et dans la fosse, Daniel Kawka fait à nouveau la preuve de son immense talent au service des oeuvres troubles si délicates; son Tristan était anthologique; ce Bartok étincelle par ses audaces; bouleverse par sa transe émotionnelle radicale et irréversible. Le chef fait un travail miraculeux avec les musiciens : sa direction tisse une architecture organique où affleurent et s’interpénètrent accents, motifs, cellules rythmiques… tout ce terreau magique et enchanteur qui nourrit l’envoûtante partition.
D’un spectacle « enchanteur » (selon les termes de l’introduction parlée), le maestro nuance les couleurs flamboyantes, cisèle les contours ténébreux: il montre combien la tension découle peu à peu d’une action où tout est vision, révélation, horreur.

Associer comme le souhaitait Bartok, au Château de Barbe-Bleue, la chorégraphie opaque, étouffante elle aussi mais si captivante du Mandarin Merveilleux, ajoute à la pertinence de la soirée: du ballet (dans la chorégraphie dépouillée de Lucinda Childs) à l’opéra, il s’agit bien du même sujet; l’histoire d’un couple, l’impossibilité d’une rencontre; la tragédie de l’amour, entre désir et dévoration. Magistral.

Angers. Le Quai, le 6 octobre 2011. Béla Bartók (1881-1945): Le Château de Barbe-Bleue. Opéra en un acte. Livret de Béla Balázs. Créé à l’Opéra Royal de Hongrie, le 24 mai 1918.
Gidon Saks, Barbe-Bleue. Jeanne-Michèle Charbonnet, Judith. Orchestre national des Pays de La Loire. Daniel Kawka, direction. Patrice Caurier et Moshe Leiser, mise en scène. Couplé avec Le Mandarin merveilleux. Pantomime en un acte. Pièce pour douze danseurs. Lucinda Childs, direction. A voir à Nantes, Théâtre Graslin. Les 14 et 16 octobre prochains


Nantes, Cité des Congrès, vendredi 14 et Dimanche 16 octobre 2011

en semaine à 20h, le dimanche à 14h30

Billetterie
Nantes, Théâtre Graslin : 02 40 69 77 18

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