samedi 26 avril 2025

Youri Borissov: Du côté de chez Richter (2000) Editions Actes Sud

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Huit ans après sa parution en Russie, voici un opus capital sur la musique qui est publié (enfin) dans sa traduction française. Bruno Monsaingeon a raison de dire que ce livre n’en est pas un. Pas de fil conducteur, ni de construction unitaire… ce pêle-mêle d’anecdotes, de conversations et de dialogues rapportés, de propos collectés sur la musique, la peinture, la vie en général, brosse un portrait flamboyant du pianiste Sviatoslav Richter (1915-1997); figure de l’imprévu, démiurge délirant, passeur et visionnaire, poète et diseur de l’absurde, à l’imaginaire et à la culture, passionnants… Actes Sud publie le cycle de textes rédigés à la façon d’un journal par le metteur en scène d’opéra et de théâtre mais aussi cinéaste, Youri Borissov (1956-2007, fils de l’acteur Oleg Borissov) sur l’homme et l’artiste qu’il a bien connu, Sviatoslav Richter.

Le titre n’est pas anodin: « Du côté de chez Richter » suggère une double voire triple lecture proustienne: d’ailleurs, Richter s’y exprime clairement sur la mort de Bergotte, sur la Vue de Delft, désirant par exemple donner un concert à Delft en résonance avec le tableau de Vermeer… et selon les variations climatiques des heures du jour… Le commentaire qu’il fait également du tableau, aux scintillements debussystes est fin et pertinent… L’ensemble de ces scènes sans rapport entre elles, sinon la personnalité fantasque, obséssionnelle, surtout imprévisible de l’artiste, compose en vérité un portrait poignant de l’individu: cultivant l’état du rêve traversé par une inquiétude fertile dont souvent la référence demeure Scriabine: Richter aimait souvent citer son prédécesseur pianiste: « le rêve prend forme« . Le lecteur désireux d’en connaître davantage acceptera de parcourir les réflexions par l’absurde et souvent très argumentées du pianiste russe: à propos des abeilles que comprenait parfaitement Maeterlinck, de Chostakovitch qui a complètement vaincu la mort dans sa Symphonie n°14; qui préférait lire de Beaumarchais, La mère coupable, plutôt que Le mariage de Figaro

Le témoignage est ponctué d’épisodes surréalistes à la Boulgakov, dont par exemple l’anecdote irrésistible de l’accompagnatrice, tourneuse de pages pendant la tournée à Kiev… à laquelle Richter prenait soin de lui demander de dire, avant qu’il ne joue la Sonate de Franck, le mot « sepia », pour ne pas perdre la couleur de la partition (!). Mais cet épisode n’est qu’un élément d’un ensemble vaste et riche, qui nous saisit le plus souvent par la fulgurence de la sensibilité. Richter s’exprime ainsi à propos des oeuvres: Cosi fan tutte de Mozart (le noir c’est la couleur de l’amour), sur Mravinsky dirigeant, sur l’opéra de Stravinsky, The Rake’s progress dont il souhaitait que soit jouée la cavatine de Tom pour son propre enterrement… Ses considérations sur Mozart, Schubert restent stupéfiantes par leur esprit de pénétration, original et analytique. Le témoignage de Borissov éclaire la pensée d’un interprète, dévoile son voyage intérieur, tout en nous immergeant dans la musique. Bain fascinant. Lecture foisonnante dont la facilité pourra s’avérer bénéfique et particulièrement propice pour l’été !

Youri Borissov: « Du côté de chez Richter, conversations ». Editions Actes Sud. Traduit du russe par Serge Kassian et Janine Lévy. 283 pages. Parution: juin 2008.

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