vendredi 25 avril 2025

Xavier Lacavallerie: Manuel de Falla (Actes Sud)

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Manuel de Falla

Sécheresse et tranquillité, contrastes entre la lumière et l’ombre, sévérité et gravité : le portrait que brosse l’auteur de Manuel de Falla (1876-1946) est façonné en facettes abruptes, nostalgiques et aussi indirectes, à l’image d’une Espagne à la fois ascétique et lyrique : beaucoup de digressions sur la musique espagnole, sur la notion d’ibérisme et de musique « nationale », permettent une mise en contexte de l’écriture de Manuel de Falla dans son époque, et vis à vis de notre propre sensibilité contemporaine où règnerait une incompréhension de la musique espagnole, plus dénigrée et minorée que réellement connue.
La silhouette du solitaire, être chétif et maladif, modeste et secret, rongé de douleurs à la fin de sa vie, qui n’entendait servir que dieu et la musique se précise : un créateur né pour la scène, le ballet et la zarzuela. Un pur auteur pour le drame, comme en témoigne la construction de son premier opus décisif et pleinement abouti : La vida breve (Nice, 1913), « gitanerie » musicale en deux actes, pour laquelle Falla sait recycler avec grâce et invention, en une seconde version aujourd’hui reprise pour chaque représentation, d’innombrables emprunts aux danses « endiablées » d’Andalousie.
La grande affaire du compositeur demeure son désamour avec son propre pays : c’est surtout en France qu’il s’affirme et connaît l’estime de ses contemporains. Après Vines et Granados, Paris accueille le musicien dès 1906. Proche de Debussy (qu’il admirait tant et qui le lui retourna avec froideur), de Dukas et surtout de Ravel (ô combien à sa façon « espagnol »), Falla écoute chez la Princesse de Polignac les premiers cahiers d’Iberia par … Blanche Selva. Paris devient la seconde patrie d’un musicien qui s’essaie et réussit l’approche de la « finesse » française comme en témoignent les 3 mélodies d’après Théophile Gautier (1909). Même lueurs noires et magiques dans le ballet en un acte, El Amor Brujo (1915), écrit sous le charme de la pulpeuse et lascive Pastora Imperio, danseuse de flamenco… Une même passion pour les planches et la chorégraphie conduit Falla, assidu admirateur des ballets Russes de Diaghilev, à écrire un nouveau ballet, Le Tricorne (El Sombrero de tres picos), nouvelle « facétie » développée sur les rythmes andalous (fandago, farruca et séguédille…). Pour sa création en 1919, à Londres, rien de moins que la ballerine vedette Karsavina et Leonid Massine qui en signe aussi la chorégraphie, sous la baguette d’Ernest Ensermet ! Ce sont aussi Les Tréteaux de Maître Pierre (1923), délirante (et très courte) fiction lyrique et théâtrale d’après Don Quichotte de la Mancha, qui souligne son attachement aux racines andalouses et aussi à cette période de la carrière une évolution du style, plus ascétique, essentiellement théâtral (influence de Lorca), parfois archaïque, mais d’un passéisme qui renvoie aux plus nobles accents du Siglo de oro (Siècle d’or ou XVIIème siècle dit baroque).
Le compositeur fut aussi un homme d’une loyauté indéfectible et dans son dernier temps de création, dédié aux hommes qui lui furent chers : d’où les hommages à Debussy, Dukas (disparu en mai 1935), Arbos et Pedrell, son maître. C’est en écrivant le lamento funèbre de la Reine pour son Atlantide (laissé inachevé), que Falla s’éteint en 1946, prostré dans sa villa Los Espinillos d’Alta Gracia. Reste que ce dernier ouvrage, l’Atlantide, bien que « terminé » par son disciple Ernesto Halffter (1905-1989), reste une partition « ni faite, ni à faire, irreprésentable dans son état présent … ». Souvent l’œuvre des génies musiciens pose d’inextricables énigmes : un défi pour les générations futures invitées à s’immerger dans les coulisses de l’écriture pour mieux en déceler les singularités enchanteresses. Ce petit opuscule en 5 chapitres, dédié à Manuel de Falla, aux affinités francophiles, en apporte la preuve. C’est un passeport pour un autre voyage tout autant profitable tant sa lecture appelle immédiatement l’envie d’écouter chacune de ses œuvres.


Xavier Lacavallerie : Manuel de Falla
. Editions Actes Sud. 176 pages. Parution : le 6 mai 2009.

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