Sur deux journées, samedi 4 et dimanche 5 septembre 2010, France 3 diffuse en direct du Palazzo Te à Mantoue, l’oeuvre au noir de Verdi: Rigoletto ou la vengeance dérisoire d’un bouffon maudit…
Tout n’est pas globalement à regretter dans cette captation ambitieuse, finalement assez décevante, d’autant plus fade qu’elle bénéficiait de moyens exceptionnels… ceux que permet la télévision et un projet multidiffusé dans près de 40 pays simultanément. Surtout, le réalisateur Marco Bellochio, invité à réaliser par l’image la tension du drame tragique de Verdi ne semble pas inspiré par les enjeux d’une entreprise qui aux heures de grande écoute cathodique, doit aussi être didactique (samedi, le premier acte était diffusé en prime time, à 20h35). Pendant le direct, nous nous mettions souvent à la place des téléspectateurs qui n’ayant jamais été ou peu à l’opéra, découvrent ainsi le genre lyrique… l’image offerte n’était pas vraiment convaincante. Et souvent, guère explicite ou claire, la mise en scène aurait mérité des encarts ou incrusts à l’écran resituant les enjeux de chaque scène, les motivations de chacun des protagonistes… on peut toujours rêver d’un vrai service public car la télé pour tous ne doit pas être avare de contenus divertissants et informatifs. Reste à connaître les résultats d’audience, mais il est probable que bon nombre de téléspectateurs attirés par l’effet d’annonce et les promesses du dispositif n’aient décroché pour les actes II et III (d’autant que ce dernier est diffusé dimanche en 3è partie de soirée vers 23h30)…
Ecartons d’abord ce qui nous a paru « indigne » d’une captation sur une chaîne publique: problème de balance des blancs et de colorimétrie affectant tout le début du premier acte, rendant orange la lumière et les couleurs; sous-titres guère lisibles (qui ne sont venus également que bien tard en cours d’action…), parti pris de la lumière rendant la plupart des visages des chanteurs dans l’ombre (de ce point de vue les réalisation en direct du Met dans les salles de cinéma sont bien mieux réussies: chaque expression des chanteurs protagonistes y est autrement plus visible). Visuellement, la production est bien décevante, réduite à une succession de plans statiques, de cadres archiconvenus; et bien souvent, le mouvement des caméras ne suit pas simplement le rythme de la musique. Tout cela manque de relief et de vraie tension.
Si vocalement les choeurs paraissent empêtrés par un manque de préparation (déplacements raides, regards désordonnés des choristes figurants); bien peu naturels devant la caméra (et les gros plans que la télévision permet), si le ténor Vittorio Grigolo (déjà vu pour des directs télégéniques dont une Traviata dans la gare de Zurich et en direct sur Arte) en fait des tonnes, absent en nuances comme en finesse (tout et rien qu’ardent languissant… gémissant, larmoyant), heureusement, le duo du père et de la fille, Rigoletto et Gilda, crève littéralement l’écran: c’est peu dire qu’à quasi 70 ans, le ténor Placido Domingo qui chante ici la partie pour baryton du rôle-titre, est un acteur né: en plus de projeter naturellement le texte (Grigolo devrait davantage écouter son aîné, véritable légende vivante par son intelligence et sa longévité), le baryténor (sur les traces de … Manuel Garcia, père de Malibran et Viardot qui chantait Don Giovanni comme personne), en impose par sa prestance hallucinée, son acuité visuelle, son sens de la tension et de la vérité. Dans le duo qui s’impose à la fin du I, avant que le Duc qui l’a suivi, ne rejoigne la belle Gilda, Domingo-Rigoletto incarne idéalement le personnage central: bouffon ambivalent, haineux à la cour, inquiet et paranoïaque chez lui, bourreau fragile, courtisan si humain et déchirant en vérité. A ses côtés, la jeune soprano russe Julia Novikova, se montre aussi subtile musicienne que son aîné. Leurs duos ont des accents déchirants de tendresse et de sincérité: ils nous rappellent combien dans Rigoletto se joue surtout la relation père-fille. C’est d’ailleurs une problématique essentielle de la création verdienne: déjà finement développée dans Luisa Miller; esquissée dans Aïda; pleinement approfondie dans Simon Boccanegra.
Comme pour les chanteurs, ce type de célébration télévisuelle à grande audience doit aussi être un tremplin pour les jeunes talents d’aujourd’hui.

Rigoletto de Verdi en direct de Mantoue sur France 3. Les 4 et 5 septembre 2010. Placido Domingo (Rigoletto), Julia Novikova (Gilda), Vittorio Grigolo (Le Duc de Mantoue)… Orchestre de la Rai. Zubin Mehta, direction. Mise en scène, réalisation pour la télé: Marco Bellochio.