La Reine Morte
belle création de Kader Belarbi
Confier à Kader Belarbi le choix d’un ballet à produire avec les forces vives capitolines a été une bonne idée. Ceci donne un avant-goût de ses choix artistiques, car il prendra ses fonctions à la tête du Ballet du Capitole pour la saison 2012/2013. Ce spectacle de deux heures, équilibré et dramatiquement émouvant a eu un beau succès public. L’histoire est assez atroce car on y voit un Roi organiser le meurtre de la femme de son fils afin de l’obliger à épouser l’Infante qui redorera le lustre du royaume. La violence des relations père-fils ont rarement été représentées avec une telle force, et va aboutir à un parricide doublé de régicide après le meurtre d’un prêtre. S‘il est des actions théâtrales interdites par la censure, puis devenues tabous, ce sont bien ces crimes-là ! Leur cumul en un acte lucide et assumé représente un grand moment dramatique sans autre exemple à notre connaissance à la scène.
La galerie des personnages est finement campée avec deux couples : un roi âgé et chétif d’apparence et une Infante qui semble avoir son âge et non celui du fils. La raideur calculée de Paola Pagano en Infante, est amplifiée par une robe si rigide semblant faite d’or, qu’elle laisse apparaître une marche mécanique. Tout l’art de la danseuse est donc avec ses bras immenses et expressifs de donner vie à son personnage altier. L’effet est assez spectaculaire. Puis dans sa danse, révélant la femme lorsqu’elle quitte sa robe, les jambes nues dévoilent une amazone guerrière et sans pitié. L’agilité des mains associée à celle de tout le corps permet une danse fulgurante d’une grande expressivité. L’autre couple est jeune et sensuel, comme en un miroir inversé. Le prince, Don Pedro, est athlétique et la haute stature de Kazbek Akhmedyarov lui permet des sauts audacieux. La tendresse avec sa bien aimée est remplie de poésie et le couple fonctionne à merveille. Un très beau travail sur les portés permet au couple d’offrir des moments élégiaques. Maria Gutierrez en Donna Ines est une amoureuse sensible et touchante mais au destin scellé d’avance malgré sa grâce infinie.
Le Roi de Valerio Mangianti est très surprenant, mélange de faiblesse et de soudaine force quasi invincible. Les grands moments de danse qui porteront l’émotion de la soirée sont les pas de deux entre père et fils avec des portés d’une rare violence et d’une grande puissance. Le dernier, au cours duquel le fils tue le père, est très dramatique. Les scènes dans lesquelles interviennent les sbires sont aussi d’une belle originalité dans leur sauvagerie assumée. La scène du meurtre du prêtre est sobre mais terrible.
Le choix des diverses musiques de Tchaïkovski est somptueux. La tendresse et la puissance s’enchaînent avec une belle efficacité dramatique. L’orchestre est chauffé à blanc par la direction très dramatique de Vello Pähn. De beaux moments solistes permettent aux instrumentistes de briller. La direction du chef estonien est à la fois tenue et souple permettant aux danseurs d’évoluer en toute sécurité sans renoncer au lyrisme des partitions qui respirent avec aisance. De superbes nuances sont obtenues qui renforcent l’effet dramatique. Nous tenons là assurément un très grand chef de ballet. Tous les pupitres de l’orchestre sont merveilleux avec une somptuosité toute particulière des bois, capables de nuances les plus délicates. Cuivres et cordes, dans les nuances forte, apportent beaucoup d’épaisseur au drame. Le choix d’extrait de Roméo et Juliette se révèle judicieux musicalement d’autant qu’il porte aussi le drame à merveille offrant une symétrie entre l’histoire des amants de Vérone et celle de la cour du Portugal. La fin assez macabre de la pièce de Montherlant voit le régicide monter sur le trône et imposer à la cour de couronner sa femme devenue Reine Morte et de baiser la main du cadavre…
Après l’extrême violence du dernier pas de deux mortel entre le père et le fils, Kader Belarbi n’arrive pas à chorégraphier l’horreur de cette fin avec originalité, laissant tout porter à la beauté des décors et des lumières, mais cela fonctionne bien ainsi.
Les décors de Bruno de Lavenère sont simples et stylisés et réservent leur meilleur pour ce dernier tableau. Les costumes d’Olivier Bériot sont classiques et les lumières de Sylvain Chevallot sont habiles à créer des ambiances variées avec un très bel effet lors de la danse des spectres.
Le corps de ballet et les trois bouffons sont très honorables. Mais on l’aura compris ce sont surtout les quatre personnages principaux qui portent l‘action. Une mention toute particulière pour l’orchestre qui insuffle beaucoup de vie à ce drame, grâce à la direction enflammée de Vello Pähn. Le Théâtre du Capitole signe là une belle production qui mérite de voyager.
Toulouse. Théâtre du Capitole. Le 30 octobre 2011. La Reine Morte, ballet en deux actes inspiré de la pièce d’Henry de Montherlant. Création mondiale. Adaptation, chorégraphie et mise en scène : Kader Belarbi. Musique de Piotr Illich Tchaïkovski. Décors : Bruno de Lavenère. Costumes : Olivier Bériot. Lumières : Sylvain Chevallot. Le Roi Ferrante : Valerio Mangianti ; Dona Ines de Castro : Maria Gutierrez ; Don Pedro : Kazbek Akhmedyarov ; L’Infante : Paola Pagano ; Ballet du Capitole, direction de la danse Nanette Glushak. Orchestre National du Capitole. Direction : Vello Pähn.
Illustrations: D.Herrero 2011