lundi 7 juillet 2025

Toulouse. Halle-Aux-Grains, le 15 septembre 2012. Mozart, Chostakovitch. Menahem Pressler, piano. Orchestre National du Capitole de Toulouse.Tugan Sokhiev, direction

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Moment rare, unique, fondateur,
merveilleux
: quand un pianiste de presque 90 ans est au bras d’un chef
d’un peu plus de trente ans, que la salle vrombit d’applaudissements
nourris et que l’orchestre lui même applaudit. L’interprétation du
concerto pour piano n°17 en sol majeur K. 453 a été magique !

Mais
bien plus, elle scelle le socle de la musique vivante qui se sert du
temps pour faire œuvre d’art. Menahem Pressler est tout simplement un
Trésor Vivant, un artiste précieux qui a fondé le Beaux-Arts-Trio, fait
une carrière de chambriste inouïe et de soliste acclamé en sa longue vie
et plus encore de Master Pédagogue adoré par ses très nombreux élèves.
En somme, il a offert des moments de rêves à plusieurs générations de
mélomanes.


La musique est intemporelle

Sa venue à Toulouse est un événement que Medici.tv a
rendu immortel par une magnifique captation. Toulouse avec la
conjonction de Piano aux Jacobins et l’ouverture de la saison
symphonique de la Halle-Aux-Grains a ainsi créé l’événement. Que
personne ne boude son plaisir avec la visualisation d’un concert
historique magnifiquement mis en image par Jean-Pierre Loisil ! Que dire devant pareille rencontre, pareils échanges, une complicité si intense entre musiciens de si grands talents ?

Pauvres
mots… Tugan Sokhiev aime Mozart et sait en rendre la rondeur,
l’élégance, la profondeur, comme la malice avec de plus en plus de
précision. La battue est d’une lisibilité extrême, chaque phrase est
geste poétique et chaque instrumentiste est sollicité avec bonté. Mais
si cette présence pour son orchestre est attendue d’un grand chef, c’est
donc la manière dont il a porté à chaque instant le jeu du soliste qui
fait du Concerto un moment de pure grâce suspendue hors des fracas du
monde. La fragilité de porcelaine diaphane et de perles de cristal du
jeu de Pressler sont un monde à elles seules. Comment le musicien
fait-il ce son si léger et si présent à la fois ? Cette manière d’à
peine effleurer le clavier est magique, les nuances sont si subtiles,
les phrasés si émouvants que le souci de mettre en valeur cette
construction merveilleuse est bien compréhensible chez Tugan Sokhiev qui
modère ses cordes vives et fait chanter les bois et les cors en
dialogue et échos, toujours partenaires intimes du piano. Le mouvement
lent, sublime andante, semble écrit pour cet orchestre avec ses bois si
fins musiciens, unis en des individualités si belles. La flûte de
Sandrine Tilly, le hautbois de Christian Fougeroux, le basson de Lionel
Belhacene forment un ensemble chambriste d’une complicité rare avec le
piano sorcier de Menahem Pressler. Ce deuxième mouvement à lui seul est
comme le seuil de la porte du paradis pour musiciens. Le dernier
mouvement est comédie et plaisir de vivre. Avec un jeu souverain de
l’orchestre et mutin du pianiste, ils nous entraînent chez Da Ponte ou
Goldoni. Il n’est que de regarder les sourires et mimiques des musiciens
si conscients du bonheur de jouer si belle musique en si belle
compagnie.
Le succès est ensuite pur sentiment de gratitude du public
emporté dans la beauté et la poésie mozartienne intemporelle. Menahem
Pressler offre deux bis au public, l’orchestre retenant son souffle,
mais les visages expriment souvent une belle émotion, pour déguster lui
aussi le cadeau du grand musicien. Un Nocturne de Chopin étiré dans les
limbes d’une nuit chaude d’été et une Mazurka … chaloupée en une
souplesse de félin. Presque 60 années séparent le jeune chef et le
pianiste sans âge mais ils partagent le même amour et le même respect
pour la musique. Ce pacte secret a été visible lors d’une entrée sur
scène où l’ancien donne le bras au jeune chef pour passer à travers les
rails et fils des caméras. La marche descendue, c’est la force du bras
de Pressler qui entraîne à son tour le chef dans le cercle de
l’orchestre, afin de saluer avec lui dans la lumière.

Après une
si intense beauté, une force de vie si enthousiasmante et un court
entracte, le réveil aux réalités dures a été terrible. Car si nous
savions combien Tugan Sokhiev, en Russe de sang, comprend la musique de
Chostakovitch
, force est d’admettre qu’il ne cesse de progresser et
obtient de son orchestre une incroyable évolution pour rendre aux
toulousains toute la puissance, la violence, la douleur terrassante de
cette 5° symphonie de Chostakovitch.

Sans en dire trop,
rappelons qu’elle a été écrite dans une urgence primordiale, pour sauver
sa vie et celle de sa famille, au moment des purges staliniennes,
suite aux attaques immondes contre son chef d’œuvre Lady Macbeth de
Mnensk. L’acte créateur a dû être contre nature, tant la beauté de
l’opéra et sa puissance étaient connues du compositeur qui cachait de
peur de mise à mort une quatrième symphonie de la même hauteur
d’inspiration.
Cette cinquième symphonie qui n’est pas sans intérêt a
pour nous une odeur de mort insupportable. Tugan Sokhiev en déploie la
force, une certaine beauté froide et désolée et sait mettre en lumière
les audaces d’orchestration de Chostakovitch mais qui tournent un peu à
la formule. Le largo devient un poème symphonique sinistre qui entraîne
dans les déserts glacés des goulags et la mort programmée par le vide
intérieur. Le final est monstrueux de fausse joie. Comme le monde est
dur par la cruauté des hommes semble-nous faire entendre Chostakovitch !
La beauté du son, la puissance des cuivres, la pureté du violon de
Geneviève Laurenceau, sublime d’implication, ne font que renforcer le
malaise existentiel mis en musique. Tous les pupitres de l’orchestre
sont somptueux et semblent jouer leur vie dans ce grand moment de
tension et de douleur.

L’ interprétation semble dépasser
largement celle entendue ici en 2007 par ces mêmes artistes, témoignage
de la belle évolution d’un orchestre et de son chef dans un travail de
fond qui porte des fruits merveilleux.

Le concert ouvre une
saison qui s’annonce passionnante avec des musiciens en pleine forme et
un chef qui atteint des sommets de musicalité dans une gestuelle de plus
en plus belle.

Toulouse.
Halle-Aux-Grains, le 15 septembre 2012. Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791)
: Concerto pour piano n°17 en sol majeur K. 453 ; Dimitri Chostakovitch
(1906-1975) : symphonie n°5 en ré mineur, op.47. Menahem Pressler,
piano. Orchestre National du Capitole de Toulouse. Direction : Tugan
Sokhiev.

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