mardi 29 avril 2025

Toulouse. Cloître des Jacobins, le 17 septembre 2010. Schumann, Liszt, Chopin, Stravinski… Kathia Buniatishvili, piano.

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Séduction totale !
Il
est des concerts qui laissent exsangues, tant chaque auditeur est certain
d’avoir vécu un moment phénoménal, découvrant un artiste total. Ainsi Martha
Argerich devait sidérer son premier public avant que le monde sache qui elle
était. Kathia Buniatishvili possède une présence qui captive dès son entrée en
scène. Divinement belle, moulée dans une robe fourreau au dos-nu vertigineux,
elle s’installe élégamment au piano et ensuite la musique envahit le cloître et
le critique reste bien pauvre avec ses simples mots pour décrire un tel
phénomène artistique. La Fantaisie un ut majeur de Schumann est abordée avec
panache puis, une extraordinaire sensibilité diffuse permettant une
interprétation théâtrale et fantasque de cette partition si complexe. Ce qui
caractérise le jeu de cette artiste est l’engagement total de tout son corps
dans la musique. Faisant un avec le piano, parfois les cheveux devant les yeux, on devine que c’est la
vision intérieure de l’univers du compositeur qui la guide. Schumann cherche
dans cette œuvre à rendre hommage au géant beethovénien mais sa vie intime et
son amour contrarié pour Clara irriguent la partition. La jeune pianiste (23
ans !) fait preuve d’une maturité étonnante dans son interprétation et
l’âme tourmentée de Schumann est convoquée bien souvent. Les nuances sont
audacieuses et les sonorités d’une richesse insoupçonnable avec une main gauche
invincible. La plus grande délicatesse s’y oppose à la force virile d’une âme
amoureuse révoltée. La construction est globale et ce n’est pas le sens du
détail qui subjugue (pourtant toutes les nuances sont bien là) mais une
conception d’ensemble claire de cette œuvre qui peut paraître si hétéroclite.
La
Mephisto-valse
ensuite, est tout simplement diabolique. Un tempo rapide fait fuser les notes et laisse
l’auditeur sans voix. La technique est si parfaite qu’on se demande quelle
marge de progression peut bien lui rester !
En
deuxième partie de programme la deuxième Sonate de Chopin est rythmiquement
parfois à la limite de la brutalité et on ne retrouve pas la fusion avec le
génie du compositeur comme dans Schumann. Mais cette sonate est sous ses
doigts, tout à fait grandiose, avec une marche funèbre sans alanguissement, que
rien n’arrête. À certains moments, la jeune pianiste semble embrasser son
instrument n’hésitant pas se lever, les mains plaquées sur le clavier. Il émane
de l’interprétation de cette sonate un sentiment de force et de puissance
inouïe.
La Sonate n°7 de Prokofiev permet à la jeune musicienne russe de proposer une
interprétation idiomatique de cette œuvre visionnaire et volontaire écrite
pendant la deuxième guerre mondiale. La précision de jeu est irréelle sans que
la fougue et la flamme ne l’entachent jamais. La virtuosité est ici faite
musique et l’instrument roi se laisse oublier tant ce qui reste en mémoire à la
fin du concert est cet engagement musical total comme très peu d’artistes
peuvent le vivre. Tout est d’une séduction irrésistible, mais sans jamais rien
de joli ou de facile. On devine une éthique implacable qui exige un don total
de soi à l’art. Un concert historique retransmis en direct sur Radio Classique
qui aura eu ainsi le vaste public qu’il mérite. Les prochaines apparitions de
Kathia Buniatishvili sont à surveiller de prêt de même qu’un premier album
solo. À nouveau Catherine d’Argoubet a su inviter tôt à Piano aux Jacobins une
artiste d’exception en sa prime jeunesse. Heureux public de Piano aux
Jacobins !
Toulouse.
Cloître des Jacobins, le 17 septembre 2010. Robert Schumann (1810-1856) :
Fantaisie en ut majeur, op.17 ; Frantz Liszt (1811-1886) :
Mephisto-Valse ; Frédéric Chopin (1810-1849) : Sonate n°2 en si bémol
majeur,op. 35 ; Sergueï Prokofiev (1891-1953) : Sonate n°7 en si
bémol majeur, op. 83. Kathia
Buniatishvili
, piano

Illustration : © Julia Wesely
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